Fil d'Ariane
“For the third year in a row, the @Visapourlimage...comes to Paris. "Sugar Girls", one of 13 exhibits... highlights the..hysterectomies suffered by women working on India's sugarcane plantations” In this intvu on @RFI_En, @Sharrock_Chloe speaks to the work https://t.co/2fvPrq0HZQ
— Jean-Francois Leroy (@jf_leroy) September 23, 2020
Chloé Sharrock explique ce qu'elle a découvert dans les villages pauvres du district de Bid, dans l'ouest du sous-continent : "Les médecins du secteur privé font pression sur des femmes encore jeunes pour qu'elles se fassent opérer et générer des profits." Pauvres et illettrées, les journalières agricoles, qui vivent dans des conditions d'hygiène précaires, se laissent convaincre de subir une opération qui, pensent-elle, leur facilitera la vie en les privant de menstruations. Car lorsqu'elles migrent vers le sud, vers la sugar belt du Karnataka, les familles des coupeurs de cannes vivent pendant six mois de façon quasi nomade. "Les voyages sont éprouvants, dans des camions en plein soleil, et les conditions de vie rudimentaires, sur la terre sèche, sous des tentes sommaires, sans sanitaires," rapporte Chloé Sharrock, qui a suivi la migration des coupeurs.
Dans les champs de cannes, les ouvrières agricoles exercent un travail particulièrement pénible sur le plan physique. Leurs articulations, entre autres, sont mises à rude épreuve pendant des journées de travail de 12 à 16 heures. La coupe des cannes à sucre se pratiquant de façon "informelle", elle n'est pas réglementée : "Aucune législation, aucun syndicat ne défend ces femmes. Elle n'ont pas de sécurité sociale pour s'arrêter si elles sont malades ou enceintes - mariées très jeunes, elles enchaînent les maternités - et pas question de se reposer quand elles ont leurs règles," explique Chloé Sharrock. Au contraire, elles sont punies d'une amende pouvant atteindre 500 roupies pour une journée de travail manquée.
Alors quand elles vont consulter un médecin, celui-ci n'a aucun mal à les convaincre qu'elles ont besoin d'une hystérectomie, souvent en brandissant la menace du cancer. "En général analphabètes, ces femmes ne connaissent pas leur propre corps dans un pays où l'intime est tabou. Alors elles croient aveuglément les paroles des médecins et se laissent opérer, pensant qu'elles n'ont pas le choix, raconte la photojournaliste. En Inde, on ne parle pas des règles, de sexualité, ni de ce qui a trait à la vie reproductive." D'où la méconnaissance des femmes des phénomènes intimes - "elles n'ont même pas de mots pour désigner les pertes blanches, par exemple."
La coupe des cannes à sucre faisant partie de l'économie "informelle", elle n'est pas réglementée : "Comme les coupeuses n'ont aucune couverture sociale, l'opération est entièrement à leur charge, explique la photojournaliste." Elles ne peuvent invoquer aucune législation, aucun syndicat pour se défendre. Ces femmes qui vivent déjà dans le dénuement doivent donc emprunter l'argent nécessaire pour payer le chirurgien. "Pour optimiser leur productivité, les gérants des plantations les y encouragent et leur avancent l'argent, moyennant des intérêts astronomiques", témoigne Chloé Sharrock. Opérées à la va-vite, "elles retournent tout de suite aux champs, sans avoir les moyens d'observer le repos nécessaire pour se rétablir," poursuit-elle. Ces opérations vont laisser les coupeuses de cannes marquées, très affaiblies, prématurément vieillies et sans recours.
Chloé Sharrock a rencontré Asha, 29 ans, mariée à 12 ans, mère à 14 ans, qu'elle dit représentative de toutes ces femmes abusées et de la spirale d'endettement et de complications médicales qui les enfonce encore plus dans la pauvreté : "Asha a subi une hystérectomie il y a deux ans, raconte-t-elle, suivie de grosses complications qui ont occasionné des frais importants. Elle n'a bénéficié d'aucun suivi par son médecin, qui a refusé de la voir."
Comme la plupart des femmes victimes d'hystérectomie abusive, Asha n'a pas reçu de dossier médical à la suite de l'intervention : "Il ne reste aucune preuve de l'opération, hormis la cicatrice, explique la photojournaliste. Asha n'a pas pu retourner travailler et elle doit maintenant des sommes énormes à son mukadam (contremaître, ndlr) qui lui a avancé l'argent nécessaire à l'intervention et qu'elle doit rembourser."
Aujourd'hui, Asha reste très affaiblie. Elle ne pèse pas plus de 34 kilos et depuis son hystérectomie, son état ne fait qu'empirer. "Même si les symptômes sont variables d'une femme à l'autre, les problèmes dont la plupart des femmes opérées souffraient avant l'intervention se sont accentués après, raconte Chloé Sharrock. Descente d'organes, tremblements, faiblesse générale, problèmes liés à la sexualité et à une ménopause prématurée..." Rien d'étonnant à ce que la santé de ces femmes ne s'améliore pas après l'opération, puisqu'elles sont allées consulter pour, en général, un problème qui n'a rien à voir avec l'utérus. Mais en l'absence de dossier médical, ou même d'une facture pour l'intervention, elles n'ont aucun moyen de gérer les fréquentes complications et de faire valoir leur prise en charge. Et à plus forte raison d'obtenir réparation du préjudice pour un acte chirurgical abusif...
Beaucoup de ces femmes font partie de la classe des intouchables. Or pour une intouchable, le simple fait de reconnaître qu'elle est victime reste très difficile. "Le travail des associations qui ont dévoilé le scandale des hystérectomies abusives commence par faire prendre conscience à ces femmes, qui n'ont jamais revendiqué le moindre droit, qu'elles sont des victimes", confie Chloé Sharrock. Pour les aider à gérer les complications post-opératoires, les activistes s'efforcent ensuite de récupérer les dossiers médicaux pour tenter d'obtenir une prise en charge, voire des réparations pour le préjudice corporel.
Ce sont ces associations qui, en mai 2019, ont révélé le scandale - à l'époque, elles recensaient environ 4 500 hystérectomies dans le district de Bid. Plusieurs médias se sont alors emparés de l'histoire, et le gouvernement s'est senti obligé de réagir. En juin 2019 est créé un comité d'Etat composé d'un chirurgien, d'une responsable politique et de responsables d'ONG, chargé d'enquêter, de recenser les cas d'hystérectomie dans le district de Bid et de formuler des recommandations. "Dans les faits, c'est bien, réagit Chloé Sharrock. Mais dans la réalité, ce n'est qu'un écran de fumée. D'après les activistes, le recensement a été tronqué dans la mesure où un nombre insuffisant de formulaires a été imprimés. Ainsi le nombre de femmes recensées était-il limité au nombre de formulaires."
En Inde, des coupeuses de cannes à sucre subissent des hystérectomies pour augmenter leur productivité ; mobilisation internationale pour l'avocate Nasrin Sotoudeh ; Coco Chanel au palais Galliera.https://t.co/KbtnPkEoEe pic.twitter.com/OTzNMbpdyI
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) October 1, 2020
Par ailleurs, les recommandations n'ont pas valeur de régulations : "Il n'y a pas de contrôle et il reste assez facile d'aller se faire opérer dans un district voisin, ajoute la photographe. Et puis le médecin référent chargé de valider toutes les hystérectomies pratiquées dans les cliniques privées de la région de Bid a été incapable de me dire concrètement comment il vérifie que les autorisations ont bien été demandées pour toutes les opérations et quelles sont les sanctions prévues en cas de manquement."
Le comité d'Etat a beau promettre des sommes conséquentes pour venir en aide à ces femmes, qui peut dire d'où vient l'argent, quelles seront les mesures concrètes, quel est le budget exact ? Le flou règne, qu'il s'agisse du scandale ou des réponses du gouvernement - probablement entretenu par un secteur médical privé très influent en Inde.
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