"Ici et ailleurs": les chroniques de vies "ordinaires" de Florence Aubenas

En terrain de guerre, femme de ménage ou auprès d'une jeune femme reclue dans les Cévennes, Florence Aubenas observe et raconte le monde, de la grande histoire aux petites. Ses articles publiés dans Le Monde au cours de ces huit dernières années sont rassemblés dans l'ouvrage Ici et ailleurs.
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Florence Aubenas, grand reporter et écrivaine raconte les histoires ordinaires de gens "comme tout le monde", une quarantaine de ses articles du Monde sont rassemblés dans Ici et Ailleurs (L'Olivier).
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Qu'elle promène son stylo dans l'Ukraine assaillie ou dans un hypermarché de Lozère, la grande reporter du Monde Florence Aubenas prend le pouls d'un "monde en désordre", en s'attachant à l'"ordinaire" et ses petites histoires qui font la grande. Attentats, crise des "gilets jaunes", confinement... Le tumulte des huit dernières années agite les pages d'Ici et ailleurs, recueil d'articles de la journaliste parus dans Le Monde entre 2015 et 2022, désormais en librairie.

Une période où "le mot guerre revenait sans cesse", explique Florence Aubenas à l'AFP, lunettes de vue relevée sur sa tête blonde, dans le bureau parisien des éditions de L'Olivier. "Cela revenait pour le Covid, pour les attentats, pour l'agriculture, pour l'Ukraine évidemment... Et donc on a travaillé autour de ce fil rouge, l'entrecoupant d'histoires qui n'avaient rien à voir et tenaient en elles-mêmes". Comme celle de cette trentenaire vivant seule dans les bois dans les Cévennes, qui lui a valu le plus grand nombre de courriers de lecteurs de toute sa carrière.

Des hommes et des femmes comme tout le monde

"On vit dans un monde en désordre", constate la reporter née à Bruxelles, il y a 62 ans. "On me demande souvent si la guerre ne me fait pas peur, mais le temps au front doit représenter 20% du temps que je passe en Ukraine", ajoute-t-elle au retour de sa cinquième mission sur place, où elle compare son travail à celui d'une "fourmi" ou d'un "ver de terre".

Parler de l'ordinaire, c'est une chose qu'on n'arrive pas à faire, ou difficilement, dans la presse.
Florence Aubenas, grand reporter, écrivaine

Raconter l'Histoire par le "biais des hommes et femmes" comme tout le monde, la démarche s'applique aussi loin des conflits armés, comme lorsqu'elle retrace la descente aux enfers d'un agriculteur français tué par des gendarmes. Ou s'immerge plusieurs semaines dans un Hyper U à Mende (Lozère) en 2019, une initiative saluée à l'époque par la profession.

"Parler de l'ordinaire, c'est une chose qu'on n'arrive pas à faire, ou difficilement, dans la presse, concède-t-elle. Aujourd'hui, il y a d'énormes manifestations en Angleterre (...) mais on le voit moins que les obsèques de la reine d'Angleterre et c'est un peu dommage".

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Le CV de Florence Aubenas lors de son enquête comme femme de ménage, qui a donné le livre Le quai de Ouistreham (L'Olivier).
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"Colère populaire hors cadre"

Le mouvement des gilets jaunes, "cette colère populaire hors de tout cadre", était "compréhensible, on aurait pu le deviner en sortant un peu plus", juge la journaliste, elle-même "surprise" à l'époque.

Le milieu journalistique manque-t-il de diversité ? "Oui, bien sûr, même si la barrière existe des deux côtés", répond Florence Aubenas, qui a coordonné pendant quatre ans la "Monde Académie", lancée par son journal pour former des jeunes d'horizons variés et renouveler le profil des rédactions.

L'autrice du Quai de Ouistreham, où elle s'est fait passer pour une chômeuse et a travaillé comme femme de ménage, adapté sur grand écran par Emmanuel Carrère, a récemment connu un grand succès en librairie avec L'inconnu de la Poste. Cette enquête sur le meurtre d'une postière de l'Ain, pour lequel l'acteur disparu Gérald Thomassin fut un temps soupçonné, s'est écoulée à 220 000 exemplaires depuis 2021 et se lit comme un roman.

L'Irak, le passé silencieux

Pas de quoi la ranger dans la catégorie "littérature", assure celle qui est passée par Libération et le Nouvel Observateur et est "comblée" par son statut de "journaliste", malgré "la crise de confiance" à l'égard de la presse, qui doit selon elle "se réinventer".

Elle n'a jamais écrit sur son enlèvement en Irak, qui l'a révélée au grand public en 2005. Par "orgueil" et pour ne pas rendre ce service à ses geôliers, qui lui disaient qu'elle "publierait un livre à sa sortie et serait célèbre comme Lady Di". "J'ai rarement éprouvé de la haine mais, là, je suffoquais de rage", relate-t-elle. Et la journaliste de rappeler qu'elle n'a été otage que "157 jours" alors que les Ukrainiens "sont en guerre depuis un an" : leur condition est souvent "bien pire que la mienne".