Lorsque j’étais enfant, j’aimais dessiner. Je ne pense pas que j’étais très talentueuse mais j’aimais en particulier dessiner une fille vêtue d’une robe brodée de princesse, et chaussée de pantoufles de vair comme Cendrillon. Parvenue en 5ème classe (à l’âge de 10 ans), il y avait un cours de dessin, et j’espérais bien y exercer mes talents. Je passais la moitié du temps de la leçon à dessiner cette fille dans sa robe brodée, qui avait mis un ruban rouge dans ses cheveux et à ses pieds des chaussures rouges assorties au ruban. Elle était si belle et si élégante, cette fille. Je finis mon dessin et l’apportais à ma professeure, m’attendant à des louanges… Elle était supposée aimer cette fille puisqu’elle ressemblait à Cendrillon, et nous aimons tous Cendrillon, n’est ce pas… La professeure sourit et me dit : « Vous devez absolument tracer une ligne sur son cou, afin qu’elle ne puisse pas se présenter au jour du jugement dernier et vous demander de lui donner une âme pour qu’elle puisse vivre, puisqu’il est tabou de représenter les créatures d’Allah. Mais si vous dessiner cette ligne à travers son cou, vous indiquez ainsi qu’elle n’est pas vivante mais seulement une esquisse ». Je ne comprenais rien : Pourquoi devais-je étrangler cette belle fille à la robe brodée ? Pourquoi Allah devait-il me punir si j’avais fait quelque chose de faux ? Je ne faisais que dessiner quelque chose proche des dessins animés que j’avais vus à la télévision, mais comme tous écolier obéissant, je traçais une ligne à travers le cou de la fille, comme si je l’exécutais. Je n’ai plus eu envie de dessiner aucune autre fille… Je ne voulais pas détruire mes rêves. « Allez venez tous pour écouter dans la cour de l’école la conférence donnée par notre directrice ! » nous lançait l’un des professeurs qui tenait un long bâton pour nous faire accélérer vers la cour. Et nous sommes restés là des heures et des heures, sous le soleil. J’avais alors 13 ans, à l’aube du lycée, ne comprenant pas un traitre mot à ce que racontait la directrice. Ce que je réussis à saisir malgré tout c’est qu’il y avait un peuple en Bosnie Herzegovine qui haïssait l’islam et que nous devions le combattre. J’ai eu un étourdissement, et ma tête explosait presque sous la chaleur solaire, alors je demandais au professeur : « puis-je me retirer pour retourner à l’intérieur s’il vous plaît ? Je suis fatiguée… » L’enseignant me répondit aigrement : « vous ne pouvez pas rester deux heures sous le soleil, pendant que chaque jour quelqu’un meurt pour l’amour de la religion ? » Ce qu’elle me dit me saisit tant, qu’aussitôt je refoulais ma demande et restait sous le soleil dans l’espoir que cette attitude aiderait ceux qui se battaient en Bosnie-Herzegovine…. C’est une Université réservée aux filles. On m’a dit que je devais y étudier parce que c’est la meilleure au Yemen. Je suis tirée de ma rêverie quotidienne par la voix de l’enseignante, tandis qu’au milieu de son cours, elle s’écarte de l’objet de sa leçon et commence à parler de choses qui n’ont rien à voir avec ce que nous étudions et que sa tonalité soudainement aiguë révèle qu’elle va annoncer quelque chose d’importance. J’écoute alors attentivement, dans l’espoir d’en tirer avantage. La professeure demande : « Savez-vous pourquoi, les montres occidentales sont toujours présentées dans les publicités arrêtées à 10h10 ? » Nous répondîmes tous non ! Et elle poursuivit : « c’est parce qu’ils ont vaincu les musulmans lors d’une bataille à cette heure précise. » Je ne me souviens plus du nom de la bataille mais j’étais perplexe : comme avaient-ils su qu’il était 10h10 ? Mais personne ne dit un mot, elle se replia dans le silence, et nous restâmes aussi silencieux que possible. Dans la cour de l’Université, une étudiante lance très excitée : « Savez-vous que les médicaments que nous recevons des pays occidentaux sont empoisonnés, mais nous n’en mourrons pas parce que nous sommes musulmans ! » Je suis stupéfaite mais je vois que d’autres ne sont pas convaincues. L’une d’elles dit : « Qu’est ce c’est que ces mythes ? » L’étudiante répond : « Veux-tu dire que tu ne crois pas que l’islam nous protège du mal ? » Cette phrase fut suffisante pour réduire ma camarade au silence – elle était musulmane et très effrayée d’avoir à justifier de sa loyauté à l’islam… Le policier tourne mon passeport en tous sens et souffle en grognant dessus : « Vous êtes yéménite ? » Puis il me regarde et me demande : « Etes-vous une Palestinienne qui a reçu un passeport yéménite ? Vous ne ressemblez pas à une yéménite. » Je dis : « Je suis une Yéménite née d’un père et d’une mère yéménites. » Il passe alors le passeport à un collègue en lui chuchotant à l’oreille, et le collègue s’empare du passeport et disparaît. Je me tourne vers l’officier et demande en souriant : « Pensez-vous que je sois une terroriste parce que je suis yéménite ? » Alors il me répond : « Bien sûr que non, vous n’êtes pas une terroriste, c’est juste la procédure habituelle. » Je regarde ma montre, et elle m’indique qu’il est 10h10, l’heure fatale de la défaite, alors je souris intérieurement et me dis « ouh là là, comment ai-je fait pour ne pas devenir une terroriste ? ».