Il ne fait pas toujours bon être femme dans le monde des jeux vidéos

Dans Minecraft, les personnages féminins papouillent les animaux, tandis que les garçons les exterminent à l'épée. Dans GTA, les garçons courent après les "plans cul" avec des strip-teaseuses aux seins en polygones. Et dans LOL, les filles jouent "support", c'est bien connu. Ce sexisme apparent dans les jeux vidéo ne serait pourtant que la pointe visible de l'iceberg. Un sexisme violent et impitoyable pour les uns, mais faux problème pour les autres. Retour sur une polémique nommée GamerGate
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Il ne fait pas toujours bon être femme dans le monde des jeux vidéos
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Un amoureux bafoué se défoule dans son blog contre son ex, arriviste, infidèle et incompétente, suggère-t-il, qui l'a trompé. Ce pourrait n'être qu'un règlement de compte peu élégant. Mais dirigé contre une conceptrice connue de jeux vidéo, Zoe Quinn, cet hargneux déballage touche un point sensible dans cet univers très masculin : la place et le rôle des femmes et des filles sur et derrière l'écran. Dernière en date d'une longue série d'affaires de harcèlement sur la planète jeux vidéos, cette affaire a déclenché une vague d'hystérie sur les réseaux sociaux, avec menaces, insultes, réactions et lettres ouvertes - notamment sur Twitter sous le mot-dièse #Gamergate, derrière lequel se cache une nébuleuse antiféministe. Et ce qui n'est, somme toute, qu'une banale histoire d'adultère au travail devient le révélateur de l'intolérance et du sexisme de toute une communauté. On se souvient aussi des menaces de mort et de viol adressées via Twitter à Anita Sarkeesian, parce que cette critique média avait osé publier sur son site une vidéo (en anglais ci dessous) où elle s'interrogeait sur le sexisme dans les jeux vidéo.
 


Viols, insultes, maltraitances : des stimulis masculins ?

De fait, un tiers seulement des joueurs sont des joueuses. "Alors comme au salon de l'automobile, où l'on vend des voitures avec des filles allongées dessus parce qu'on s'adresse à un public essentiellement masculin, on vend, dans les salons de videos, des jeux présentés par des 'babes'", constate Benjamin, gamer et concepteur de graphisme. Mais dans les jeux, le sexisme ne s'arrête pas là : il n'est pas rare de voir des filles violées, tuées ou maltraitées pour stimuler les personnages masculins. Des clichés effrayants qui sont aussi le lot d'autres univers à dominante masculine, comme les mangas et la fantasy. Si d'aucuns tirent la sonnette d'alarme sur la violence et le machisme qu'ils peuvent éveiller ou cultiver chez les joueurs, les études sont partagées. Selon une enquête du Psychological bulletin, en 2010, par exemple, rien n'indique que les jeux vidéos rendent les garçons plus homophobes, violents, machos que ne l'étaient les générations précédentes... au contraire.

Toujours est-il que, pour les "gameuses", dont le nombre augmente deux fois plus vite que celui des joueurs, la pilule est amère. Pour pointer du doigt les dérives sexistes qu’il avait pu constater dans Call of Duty, le célèbre jeu de R&D (recherche et destruction), un joueur a lancé une partie en réseau sous un pseudonyme féminin. Objectif : enregistrer d’éventuelles réactions sexistes venant de certains joueurs masculins. Cette vidéo édifiante a été mise en ligne sur YouTube fin août 2014 :



Michaela est une jeune Danoise de 17 ans. Elle a commencé les jeux vidéos à l'âge de 7 ans, aux côté de son grand frère, et joue en compétition depuis deux ans. "L'ambiance se durcit, constate-t-elle. Les garçons ont tendance à me cataloguer soit 'mauvaise', soit 'en recherche d'attention'. J'accuse le coup à chaque fois qu'un joueur me déprécie ou m'insulte." Sa parade, c'est de prendre du recul et de positiver : "J'ai décidé de tout prendre comme un compliment – si je les énerve, c'est peut-être qu'il se sentent menacés... Alors je prends cela avec le sourire et je laisse les aigris se défouler. C'est parfois frustrant, voire insupportable, mais cela me donne le plaisir de pouvoir les détromper en les battant aux manettes !"


La compétition : de gros enjeux

Au-delà de ces difficultés, certaines choses sont plus faciles pour les filles : "La reconnaissance vient plus vite pour nous. Il est plus facile de trouver des sponsors, par exemple. Les filles accèdent plus facilement à la compétition et aux revenus qu'elle génère". Les concours et les prix à la clé sont dignes d'un sport de haut niveau, avec des récompenses allant jusqu'à 10 millions de dollars. Les préparations de compétition sont calquées sur celles des rencontres d'athlétisme, avec des entraînements à heure fixe dans les "gaming houses" supervisés par des "coachs", et des cérémonies d'ouverture de championnat. Evincer les filles revient aussi à écarter une catégorie de concurrents qui, contrairement aux disciplines physiques, pourraient être gênantes.
Il ne fait pas toujours bon être femme dans le monde des jeux vidéos


Face à l'hostilité ambiante, des tournois exclusivement féminins sont organisés pour attirer davantage de filles au niveau de la compétition. Pour Benjamin, c'est "quand les garçons sont exclus que le sexisme devient palpable, des garçons qui, pourtant, ont le même niveau !" Pour le jeune homme, le sexisme et le Gamergate est un faux problème. "Regardez Tomb Raider", l'héroïne est une sorte de d'Indiana Jones au féminin, et c'est un jeu qui a marqué son époque." 

Attention un féminisme peut en cacher un autre

Conceptrice de jeux vidéos à Ottawa, au Canada, Angélique, elle, juge le phénomène Gamergate "totalement hors de proportion". "Je n’ai jamais ressenti de sexisme ni de misogynie plus prononcés dans les vidéos que dans d’autres domaines artistiques ou professionnels," continue-t-elle.

Il est plus facile aussi de lier connaissance et de trouver des partenaires. Beaucoup de garçons cherchent à jouer contre des filles pour frimer face à leurs copains.

La Gamergate reflète un sexisme qui déborde parfois, dans les jeux video comme ailleurs. Mais il reflète surtout les spécificités d'un univers où tout va très vite et qui ne connaît pas la demi-mesure : "Soit on vous adore, soit on vous déteste," assure Michaela.

Cette "jeuvidéosphère" anti-femmes qui se cache derrière ce terme de Gamergate s'est trouvé une nouvelle égérie, Christina Hoff Sommers, une philosophe qui se proclame féministe, en réalité très néoconservatrice, mais qui combat les mouvements féministes qu'elle trouve trop hostiles aux hommes. Dans une vidéo qui fait le buzz, elle vient au secours de ses amis de la Gamergate : "Depuis des années, des jeux comme GTA et Call of Duty sont accusés de rendre violents, même si personne n'a pu établir de corrélation claire", dénonce-t-elle. Ajoutant qu'une "nouvelle armée de critiques, des activistes du genre, des hipsters avec un diplôme en médiation culturelle prétend que les jeux véhiculent une imagerie 'hétéro-patriarco-capitaliste'".

Avec son petit ton moralisateur, la seule "féministe" qui a rallié le monde machiste des adorateurs de jeux vidéos, nous donne qu'une envie : de la voir se désintégrer dans une de ces aventures qu'elle défend avec tant de naïveté (en anglais ci dessous)...


Scarlett, transgenre, pas mieux lotie que femme ou fille

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Scarlett, championne et transgenre est la nouvelle coqueluche de l'e-sport nord-américain après un parcours remarquable en championnat. De son vrai nom Sasha Hostyn, la Canadienne de 20 ans est régulièrement en butte à des commentaires désobligeants, voire à des insultes.

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