« Il y avait urgence à légiférer sur l'enseignement des questions de genre »

Repérée grâce à son premier film La Naissance des Pieuvres, la cinéaste française Cécile Sciamma a transformé son essai avec Tomboy. Ce film raconte l'histoire d'une jeune fille de 10 ans, Laure, qui, le temps d'un été, va se faire passer pour un garçon nommé Michaël.

A l'occasion de la sortie en DVD du film le 21 septembre, la réalisatrice nous parle de la genèse de cette histoire pas commune, des enjeux du tournage, et de la polémique autour de l'enseignement de la théorie des genres dans les lycées français.
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« Il y avait urgence à légiférer sur l'enseignement des questions de genre »
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« Il y avait urgence à légiférer sur l'enseignement des questions de genre »
Céline Sciamma, réalisatrice des films La Naissance des Pieuvres et Tomboy (TV5MONDE)
Comment est née l'histoire de Tomboy ?

La genèse du film, c'est avant tout cette idée d'une petite fille qui a envie de se faire passer pour un petit garçon. A partir de là, c'est une envie de faire un film très rapidement. C'est difficile de le distinguer de la façon dont il a été produit.  Je l'ai écrit très vite, en un mois, et il a été tourné deux mois plus tard, dans une forme d'urgence. L'écriture et la conception ont été faites dans un geste énergique et rapide, assez vital.

Les questions de genre me passionnent, dans la vie de tous les jours et même de façon assez intime. J'estime avoir de la chance de pouvoir m'y intéresser de très près, de ne pas avoir trop le choix de ne pas m'y intéresser, parce que ce sont des opportunités de fiction assez dingues ! On est exactement dans des formes classiques de duplicité, de mensonge, de secret, qui sont de vrais moteurs narratifs. Par ailleurs, et c'est surtout valable pour les filles, ce sont des histoires peu racontées. Il y a comme ça une saveur d'inédit en plus, qui est toujours excitante pour un auteur. On s'aventure sur un terrain qui n'a pas été défriché 25 fois.

Je voulais pouvoir faire un film qui milite à un endroit où ça allait fonctionner, où je n'allais pas m'adresser à des gens déjà convaincus, parce qu'il y a une promesse de cinéma derrière. J'ai le souci de ces équilibres : il faut toucher un maximum de gens avec des messages subversifs et politiques. Pour ça, il faut se soucier de la forme. Contrairement à Boys Don't Cry, un film qui était sur le même sujet, mais qui traite plus du fait divers à l'âge adulte, le fait de situer l'histoire dans l'enfance, c'est aussi une façon de s'adresser à plus de monde, et de traiter de ce sujet qui peut être polémique à un endroit où il y a de la légèreté.

Zoé, la jeune actrice qui interprète Laure/Michaël, joue un rôle ambigu. Comment l'avez-vous dirigée, pour arriver à cette justesse de jeu ?

Avec Zoé, tout a été une question d'instants. Quand je l'ai rencontrée, elle avait déjà des attitudes de garçon manqué. La seule véritable question décisive a été la transformation physique : on lui a coupé les cheveux (elle avait les cheveux très longs) ; c'est tellement radical que ça aide à basculer dans un personnage. Ça autorise à habiter son corps de façon différente.

Ensuite, c'est un rôle sans préparation, sans répétition. Donc ça a beaucoup été une question de moments et d'engagements. C'est dur parce que c'est un travail d'actrice, et c'est une collaboration entre nous. Trouver l'équilibre a été compliqué : il ne fallait pas singer le garçon. Comme elle avait ce passif de petite fille un peu sportive, qui vit au grand air, il y a des choses qui sont venues naturellement. Par exemple, la scène du foot, c'est impossible de faire semblant. Elle avait déjà des atouts comme ça pour le rôle, et on a construit cette chose ensemble. La dynamique a toujours été physique. Comme le film n'est pas psychologique, je n'ai jamais cherché à lui expliquer pourquoi le personnage agissait comme ça. On était plutôt dans une logique de "comment elle fait ?". Il est aussi évident qu'elle est très talentueuse...

Une des premières questions que je lui ai posée était "Il y aura une scène de foot où tu joueras torse nu..." Tout de suite, ça l'a fait marrer. Elle était dans cette androgynie de l'enfance qui permet de s'exposer en réalité. Je pense que, comme pour le personnage, c'était la dernière fois qu'elle pouvait faire ça. Il y avait donc une part de plaisir un peu libérateur.

« Il y avait urgence à légiférer sur l'enseignement des questions de genre »
Zoé dans son personnage de Laure/Michaël, héro(ïne) de Tomboy (Dark Star)
La Naissance des Pieuvres et Tomboy sont deux films où le thème de la transition est prédominant. Qu'est-ce qui vous fascine dans cette thématique ?

La Naissance des Pieuvres comme Tomboy se déroulent à des moments charnières. C'est ce qui m'intéresse dans ces récits d'initiation : les personnages sont à la frontière, il y a un côté "maintenant ou jamais". Il s'agit aussi de "premières fois", donc il n'y a pas de précédent. D'ailleurs, les films se situent l'été, il n'y a pas d'école, pas de règles du quotidien. On est toujours dans des moments flous, de transition. Et là aussi, il y a création de fiction.

La sortie de Tomboy en DVD se fait dans un contexte un peu particulier en France, avec une polémique autour de l'enseignement de la théorie des genres et l'identité sexuelle, sujet que le film aborde largement. Quelle est votre position par rapport à cette question ?

Je suis bien évidemment tout à fait en faveur de ces enseignements. Je trouve même ça fou qu'il y ait une polémique ! C'est complètement dingue ! En France, on est tellement en retard sur ces questions... Globalement, politiquement, et du point de vue législatif, on est tellement à la traîne par rapport au reste de l'Europe. Cette polémique vient l'illustrer.

Il y avait urgence à légiférer sur le sujet. Et c'est important que ça soit à l'école que ça se passe : le plus tôt le mieux. Lors de l'accompagnement lors des séances scolaires, j'ai vu que les enfants ont une parole assez libre sur ces questions, mais sont aussi dans des schémas très forts de rapport à leur genre. Par exemple, lors d'un débat, les 10 mains qui se lèvent sont des mains de garçons, et les filles se taisent. Déjà, ils sont dans des schémas de pensée qu'il convient de casser le plus tôt possible.

Le film le montre très bien dans les rapports garçons/filles : c'est le collectif, le groupe, l'action. Pour le personnage de Laure, devenir garçon, c'est s'offrir des possibilités d'épanouissement. C'est pas forcément une question d'identité profonde : l'occasion fait le larron, et peut-être que c'est plus marrant pour moi d'être un garçon cet été là.

Comment Tomboy peut porter ce message ?

Dans cet extrait sonore, Cécile Sciamma explique la portée pédagogique de Tomboy, et l'aspect ludique de l'apprentissage par le film.

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