Fil d'Ariane
Leonor Espinosa a été reconnue comme "meilleure cheffe au monde" par le 50 Best. Elle n'a pas encore de page sur @Wikipedia_fr mais vous pouvez la créer par exemple en traduisant la page espagnole. #LSPafaire #letsfillthegendergap https://t.co/HD7TSJf4rg
— les sans pagEs (@lessanspagEs) May 20, 2022
Dans ce pays plus connu pour ses décennies de conflit interne et son statut de premier producteur de cocaïne de la planète, Leonor Espinosa est finalement la toute première à inscrire l'extraordinaire biodiversité de sa terre sur la carte de la gastronomie mondiale. "Je poursuis simplement le rêve que le nom Colombie soit prononcé devant le monde entier", se réjouissait la presque sexagénaire, tenue décontractée et air réfléchi.
Ce qui me fait peur, ce n'est pas la vie mais ces personnes fausses, doubles, hypocrites.
Leonor Espinosa
Née dans le village de Cartago, dans le sud-ouest de la Colombie, Leonor Espinosa a grandi à Cartagena, dans le nord, sur les rivages de la mer des Caraïbes. Etudiante en économie et beaux-arts, elle apprend à cuisiner en autodidacte. Après plusieurs années d'une vie trépidante et étourdissante dans la publicité, elle fait le grand saut à l'âge de 35 ans, change de vie. "Je n'ai pas peur. Ce qui me fait peur, ce n'est pas la vie mais ces personnes fausses, doubles, hypocrites, des personnes qui ne sont pas authentiques, qui ne vivent pas ce qu'elles sont", confie-t-elle au site hispanophone Lavangardia".
Théâtre, écriture, arts plastiques... A l'époque, elle se rêve artiste : "Je venais d'exposer, dans des galeries locales, mais aussi au salon d'art national, qui était le plus important. Disons que j'aurais pu avoir un avenir en tant qu'artiste, mais que cela ne me permettait pas de subvenir aux besoins de ma fille, que je devais élever seule," confie-t-elle à Lavangardia".
En 2005, elle inaugure son restaurant, Leo Cocina y Cava.
Lorsque la pandémie met un frein aux projets du restaurant, en 2020, la cheffe ne panique pas. Au contraire, avec son associée et cheffe sommelière de fille, Laura Hernandez-Espinosa, elle en profite pour réfléchir et faire murir ses idées – non sans proposer des menus à emporter.
Lorsque Leo rouvre ses portes, en juin 2021, désormais installé dans le quartier huppé de Chapinero, à Bogota, c'est avec deux concepts sous un même toit : la salle de Leo, où la cheffe présente ses menus de dégustation créatifs, et la salle à manger de Laura, où sa fille retravaille les mêmes ingrédients colombiens dans des préparations plus décontractées, accompagnées de Territorio, la ligne de spiritueux et de cocktails indigènes qu'elle a développée.
"Les gens meurent et les recettes disparaissent avec eux. C'est grave pour la mémoire gastronomique", confiait Leonor Espinosa à nos confrère de La Croix il y a quelques années, convaincue que sa passion pour le patrimoine culinaire de son pays fait d'elle "une sorte de sociologue et d'anthropologue".
A travers sa cuisine, la cheffe revendique ce travail d’anthropologue et d'artiste. Depuis quinze ans, elle parcourt les coins les plus reculés de son pays, à la recherche d'histoires humaines, d'ingrédients locaux et de recettes traditionnelles méconnues, car souvent invisibilisées par la violence qui sévit dans ces régions. Elle puise son inspiration dans ses rencontres avec les différentes ethnies de Colombie, des ramasseurs de coquillages de la côte Pacifique aux métis du Golfe d'Uraba, à la frontière du Panama, en passant par les indiens des contreforts de la cordillère andine.
Le menu dégustation est basé sur les saveurs locales, uniquement composé d’ingrédients d'origine colombienne, où chaque plat découle du concept "Ciclo-Bioma". Formulé par Leonor Espinosa, il se concentre sur les différents écosystèmes de Colombie et explore les façons dont les nouvelles espèces peuvent être utilisées en cuisine, comme le mojojoy, un vers amazonien considéré comme un superaliment pour lutter contre la faim dans le monde, ou la langue piracurú, un poisson d'Amazonie.
La propuesta CICLO-BIOMA de @Leoescocina está basada en el estudio periódico de los diferentes biomas y ecosistemas colombianos a través de la investigación de especies promisorias que pueden ser usadas en la culinaria y en el maridaje actual. Reserva ahora por DM. pic.twitter.com/QIdZ57hjss
— Le Chique (@lechiquerest) December 2, 2019
Plantains, piments, miel de canne, tubercules andins, fleurs sauvages, fourmis, escargots, coquillages, fruits de mer, café, cacao, manioc, maïs, haricots et pommes de terre d'innombrables variétés : les ingrédients qu'utilise Leonor Espinosa reflètent le jardin d'Eden colombien.
Un recorrido gastronómico sin precedentes en @leorestaurante de @Leoescocina sin palabras...#colombia y sus ecosistemas perfectamente representados en tu cocina Gracias! pic.twitter.com/bLyXYk8Nu6
— Andrews Arrieta (@AndrewsCocina) July 8, 2022
"La cuisine doit expérimenter en étant capable d'observer, de partager, de voyager", dit celle qui a été reconnue dès 2017 comme la meilleure cheffe d'Amérique latine, selon le classement britannique lancé au début des années 2000.
A travers sa fondation Funleo, créée en 2008 avec sa fille, Leonor Espinosa soutient les petits producteurs à travers des programmes encourageant l'utilisation d'ingrédients autochtones dans tout le pays et permettant à ces communautés d'accéder à la sécurité alimentaire. Ses projets d'éducation, de nutrition et de tourisme durable dans les communautés rurales oubliées, mais "d'une grande richesse bio-culturelle" permettent à la fondation d'identifier, de revendiquer et de promouvoir les traditions culinaires des communautés rurales et ethniques tout en favorisant leur bien-être et leur santé.
En 2022, Leo s'est positionné à la 48e place du classement de The World's 50 Best Restaurants, contre la 46e en 2021. Lors de l'annonce, en mai, de la récompense, le directeur du classement, William Drew, a salué une "cheffe autodidacte qui, en mêlant vastes recherches scientifiques et innovation culinaire, est toujours à la recherche de nouvelles connaissances et veut éduquer les autres".
Il lui a fallu aussi se faire un nom dans la chasse gardée masculine qu'est la haute gastronomie. Interrogée par le site d'information Lavangardia, elle affirmait que le point commun entre les femmes qui percent dans le milieu très viril de la haute cuisine, est que "ce sont des femmes qui ne sont pas sexistes. Parce que le grand problème du machisme, c'est quand il est perpétué par la femme elle-même : dans la manière dont elle éduque ses enfants, dans la manière dont elle est pogrammée et éduquée par une femme pour plaire à son mari. Et il y a très peu de femmes qui rompent avec ces schémas entretenus par les femmes elles-mêmes et qui donnent la priorité à leurs idéaux, à leurs rêves, à ce qu'elles veulent réaliser."
J'ai été très claire dès mon plus jeune âge : je n'allais pas être ce que les autres voulaient que je sois... Je suis rebelle, irrévérencieuse, curieuse.
Leonor Espinosa
Pour sa part, elle persiste et signe : "J'ai été très claire dès mon plus jeune âge que je n'allais pas être ce que les autres voulaient que je sois (...) Je suis rebelle, irrévérencieuse, curieuse". Celle qui était deuxième d'une famille de six enfants, était aussi le plus audacieux de la fratrie, confiait-elle à Lavangardia, celle qui posait tout le temps des questions, qui n'avalait rien de ce qu'on lui donnait à manger sans mâcher longuement et, encore et encore, demander pourquoi... "Et s'il n'y avait pas d'explication valable pour moi, alors je faisais le contraire de ce qu'on me demandait... J'étais le mouton noir. Et je me souviens avoir été différente depuis mon enfance : lorsque nous étions tous à la maison, j'étais dans ma bulle et je parlais de la pleine lune, des étoiles, des paysages et des belles choses. Ce n'est pas courant."
À bientôt 60 ans, elle aspire à continuer à innover. "Je vieillis chaque jour (...) et si je ne suis pas originale à ce stade de ma vie, quand le serai-je ?" dit-elle en souriant.
Lire aussi dans Terriennes :
► Avec Ardi, Rania Talala veut célébrer la culture et la gastronomie palestinienne à Paris
► Haute-gastronomie : Ana Ros, la cheffe qui fait manger de l'ours
► Gastronomie: la triple victoire de Victoire Gouloubi, grand chef, femme, noire
► Hélène Darroze : "dans la gastronomie, les femmes sont là, elles existent"
► La bière : un cas d'école du sexisme
► La vigne, de plus en plus une affaire de femmes
►Gastronomie : sous la toque, cherchez la cheffe !