"Ils étaient venus pour tuer des mères" : un mois après l'attaque, MSF ferme sa maternité à Kaboul

L'attaque d'une maternité en plein coeur de Kaboul a choqué au-delà des frontières afghanes. C'était le 12 mai 2020, vingt-cinq personnes ont été tuées dont 16 femmes, certaines étaient en train d'accoucher. Selon Médecins sans frontières (MSF), qui gère ce centre, l'intention des assaillants était claire : il s'agissait de tuer des mères, de sang-froid. Un mois après, l'ONG a pris la décision de fermer l'établissement.  
Image
maman afghane
Une maman nourrit son nouveau-né à l'hôpital Atatürk de Kaboul. Elle et son bébé ont survécu à l'attaque qui a fait une vingtaine de morts le 12 mai 2020 dans la maternité gérée par Médecins sans frontières, aujourd'hui fermée.
©AP Photo/Rahmat Gul
Partager6 minutes de lecture

"Ils sont entrés dans les chambres de la maternité, en tirant sur les femmes qui étaient dans leurs lits. C'était méthodique. Les murs étaient criblés d’impacts de balles, il y avait du sang sur le sol des chambres", rapporte Frédéric Bonnot, responsable des programmes de Médecins sans frontières en Afghanistan.  

"Il est devenu clair que cette attaque était ciblée contre une maternité dans le but de tuer des mères de sang-froid", écrit l'organisation. Cette attaque a fait 24 morts, dont des nouveau-nés, des mères, des infirmières. Voici ce qu'on peut lire dans le communiqué de MSF qui gère l'unité de soins maternels Dasht-e-Barchi située dans l'ouest de Kaboul, cible d'une attaque particulièrement meurtrière mardi 12 mai.  

L'attaque a duré près de quatre heures. Les assaillants sont rentrés dans l'hôpital par la porte principale et se sont rendus directement à la maternité, témoigne le personnel de MSF présent lors de l'attaque.
 

Après une enquête interne approfondie, l’ONG a annoncé, lundi 15 juin, la fermeture de l’établissement.

Des mères tuées "de sang-froid"

Au moment de l'attaque, 26 mères étaient hospitalisées. "Onze ont été tuées, dont trois étaient dans la salle d’accouchement sur le point de donner naissance à leur bébé, et cinq autres ont été blessées", poursuit l'organisation. "Parmi les morts figurent deux jeunes garçons et une sage-femme afghane qui travaillait avec MSF. Deux nouveau-nés ont été blessés", précise MSF. L'un des nourrissons a reçu une balle à la jambe.


Il n’y a pas de mots pour exprimer l’horreur de ce qui s'est passé.
Frédéric Bonnot, responsable des programmes de MSF en Afghanistan

Après avoir entendu l'alarme, une sage-femme, qui a parlé à l'AFP sous couvert d'anonymat, s'est réfugiée avec dix des mamans dans une "pièce sécurisée" — une salle spécialement conçue pour protéger ses occupants en cas de tirs et explosions.

Elles entendaient les tirs alors que les assaillants allaient de pièce en pièce à la recherche de nouvelles victimes. L'une d'elles accouchait. "La mère souffrait, mais tentait de ne pas faire de bruit.(...) Nous l'avons aidé à mains nues, nous n'avions rien d'autre dans la pièce que du papier toilette et nos foulards", raconte la sage-femme.

"Lorsque le bébé est né, nous avons coupé le cordon ombilical avec nos mains. Nous avons enroulé le bébé et la mère dans les foulards que nous avions sur nos têtes, continue-t-elle. La mère a même mis son doigt dans la bouche du nouveau-né pour l'empêcher de pleurer".

Amena, bébé miraculé

Amena avait à peine à peine 15 heures de vie au moment de l'attaque, qui a coûté la vie à sa maman. Une balle lui a traversé la jambe. A trois reprises, Amena a été opéré par un médecin franco-afghan de la Chaîne de l'espoir. Eric Cheysson, chirurgien et président de l'ONG Chaîne de l'espoir, évoque sur dans le 64' de TV5MONDE ce 20 mai la difficulté de soigner un nouveau-né, d'autant que les médecins afghans, s'ils ont l'habitude des blessures de guerre, sont désemparés devant les blessures d'un bébé. Malgré les difficultés, le bébé va pouvoir garder sa jambe. Eric Cheysson raconte aussi comment Amena est devenue un symbole de résistance et de la solidarité en Afghanistan.
 

Une attaque non revendiquée

"Les violences contre la population sont malheureusement trop fréquentes en Afghanistan. Mais il n’y a pas de mots pour exprimer l’horreur de ce qui s'est passé mardi", ajoute le responsable de MSF. 

Selon les autorités afghanes, les trois assaillants qui ont commis l'attaque ont ensuite été tués par les forces gouvernementales. 

Le bâtiment se trouve à Dasht-e-Barchi, un quartier de l'ouest de Kaboul habité par la minorité chiite Hazara, plusieurs fois prise pour cible par la branche afghane du groupe Etat islamique ces dernières années. Le gouvernement afghan a accusé l'EI ainsi que les talibans. Ces derniers ont cependant démenti avoir participé à l'attaque. 

L'émissaire américain pour l'Afghanistan Zalmay Khalilzad a déclaré sur Twitter que l'EI était responsable. L'EI, selon lui, "favorise ce type d'attaques odieuses contre des civils", "s'oppose à un accord de paix" entre le gouvernement afghan et les talibans, et "tente d'encourager une guerre sectaire comme en Irak et en Syrie".

Cette attaque survient à un moment où l'Afghanistan fait face à de nombreux défis, dont l'intensification de l'offensive des talibans contre les forces gouvernementales et la propagation du coronavirus.

kaboul attaque
Pendant quatre heures, des hommes armés ont tiré sur des futures mamans ou des femmes qui venaient d'accoucher dans une maternité d'un hôpital de Kaboul, le 12 mai 2020. Ici, les forces de l'ordre évacuent les nouveaux nés.
©AP Photo/Rahmat Gul

Un élan de solidarité des mamans de Kaboul

"Vingt bébés ont été amenés à l'hôpital Atatürk. L’un d’eux a été envoyé à l’hôpital de santé pour enfants pour un traitement orthopédique, précise Jannat Gul Askarzada, médecin-chef de l’hôpital sur le site de la chaîne d'information afghane Tolonews.

Dans un long reportage publié dans le New York Times, un journaliste relate de la difficulté d'identifier ces bébés survivants, au moment de leur évacuation par les forces de l'ordre. "En Afghanistan, une société conservatrice dominée par les hommes, les hommes s’offusquent de la simple mention du nom de leur femme en public. Il est extrêmement rare pour une femme de prendre des décisions juridiques pour son enfant en l'absence d'un homme. Mais cette fois, les hommes rassemblés dans la foule à l'extérieur de l'hôpital ont écouté attentivement la liste des bébés identifiés par le nom de leur mère", raconte Mujib Mashal. En revanche, une jeune femme d'une vingtaine d'années se présentant comme la soeur d'une des mamans victimes n'a pu récupérer le nouveau né - les autorités lui ont demandé de revenir accompagnée d'un homme, rapporte également le journaliste. 

Cette attaque a suscité une vive émotion dans la capitale. Au cours des jours qui ont suivi, plusieurs mamans se sont portées volontaires et se sont rendues à l'hôpital pour allaiter les nouveaux-nés orphelins. A l'initiative de ce mouvement, Feroza Omar, mère d'un bébé de 14 mois. Elle est allée à l'hôpital quelques heures seulement après le carnage. Cette jeune maman, qui travaille au ministère de l'Economie, a appelé d'autres mamans à faire de même. Un geste salué sur les réseaux sociaux comme "symbole de l'unité nationale des Afghans", lit-on encore sur Tolonews. "Nous avons tous été meurtris par des criminels qui détruisent l'humanité en Afghanistan. J'en fais partie", confie-t-elle.