Inconduites sexuelles : au Québec #MeToo #MoiAussi, les femmes politiques témoignent

Au Québec, après les comédiennes, les journalistes, ou les étudiantes, c’est au tour des femmes politiques, députées et ministres de raconter les mille et une façons de harceler voire d’intimider et d’agresser les élues dans leur travail quotidien. Elles rejoignent ainsi #MeToo, ces intrépides qui viennent d'être saluées par Time pour sa "personnalité de l'année 2017".
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Karine Vallières, députée libérale de Richmond, à gauche, et Manon Massé, élue du Québec solidaire, les deux courageuses parlementaires qui ont témoigné des agressions sexuelles subies par elles-mêmes ou leurs collègues

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Un sondage mené par la Presse canadienne auprès des députées et ministres québécoises, dans la foulée du mouvement #MoiAussi #Me Too, nous apprend que les comportements d’inconduite sexuelle polluent également l’atmosphère de l’Assemblée nationale du Québec : des mains baladeuses aux propos désobligeants, en passant par l’intimidation voire l’agression, les coulisses du pouvoir sont bien glauques pour les politiciennes d’ici…
 

Près de 2 élues sur 3

Le sondage, comprenant une trentaine de questions, a été envoyé à 37 élues : 24, 18 députées et 6 ministres du gouvernement actuel, ont répondu (les femmes représentent moins de 30% de l'Assemblée nationale du Québec). Sur ces 24 répondantes donc, 63% disent avoir subi des comportements d’inconduite sexuelle au cours de leur carrière de politicienne, comportements parfois à répétition. Et 42%, soit près d’une élue sur deux, avoue avoir subi du harcèlement sexuel avant d’avoir sauté dans l’arène politique. Deux ministres ont aussi reconnu avoir subi de l’intimidation, et deux élues disent avoir été agressées sexuellement.``
 

Des pratiques sans couleur ni hiérarchie

Qu’elles soient ministres ou simples députées, et peu importe la couleur du parti pour lequel elles militent, ces femmes ont donc subi au cours de leur carrière de politicienne toutes sortes de comportements inadmissibles : des avances peu subtiles, des remarques désobligeantes ou autres sur leur apparence physique faites dans les réseaux sociaux ou en personne, la main sur la cuisse ou ailleurs, de l’intimidation, des comportements agressifs…

Ainsi, 58% des élues participantes ont rapporté subir régulièrement des « remarques déplacées à caractère sexuel », 54% dénoncent des commentaires sur les réseaux sociaux, 21% font état de gestes déplacés et 8% disent recevoir des « sms embarrassants ».

12% des répondantes affirment que ces comportements inappropriés proviennent soit d’un député ou d’un ministre issu de leur parti, 17% disent qu’ils viennent plutôt d’un collègue d’une autre formation politique. Mais l’ensemble de ces inconduites sont le fait d’hommes qui ne sont pas dans les milieux politiques.
 
Partout sur la planète, il y a juste une façon qu’on va pouvoir s’en sortir, ici même au parlement, c’est si les femmes se tiennent main dans la main et on dit : " Les boys, c’est assez ! "
Manon Massé, députée de Québec solidaire
Bref, 67% des répondantes ont déclaré que l’Assemblée nationale du Québec est un lieu de travail « ni meilleur ni pire » qu’un autre secteur d’activités dans le triste domaine des inconduites sexuelles. Et elles regrettent l’espèce de « banalisation » de ces comportements qui fait en sorte qu’ils ne sont pas assez pris au sérieux au sein de nos sociétés et qu’une victime a du mal à faire entendre sa version si elle porte plainte. « Il faut que les gens sachent que cette situation de banalisation se vit aussi dans le milieu politique » a dit une députée.

Selon ce sondage, près d’une élue sur deux (42%) estime au demeurant qu’une « culture du viol » existe au Québec, par contre 38% ne sont pas d’accord avec cette affirmation, parmi lesquelles cinq des six ministres qui ont répondu au questionnaire. 

Deux élues témoignent publiquement

Toutes ces révélations ont été faites anonymement par les élues, sauf la députée libérale Karine Vallières et celle du parti Québec solidaire Manon Massé qui ont accepté de témoigner publiquement de leur expérience. Karine Vallières a raconté qu’elle avait été agressée par une « mascotte » au cours d’un événement public qui avait lieu dans sa circonscription : lors d’une photo, l’homme sous la mascotte lui a pris une fesse en lui soufflant dans l’oreille « viendrais-tu m’aider à enlever mon costume ? »… On donne dans la grande subtilité là en effet… Elle a aussi expliqué qu’en pleine commission parlementaire sur l’étude d’un projet de loi, un participant s’est permis de lui dire « C’est de valeur que vous soyez ronde parce que vous avez un joli visage », illustrant ainsi l’impression qu’ont souvent ces élues d’être jugée non pas en fonction de leurs  compétences mais selon leur apparence physique et/ou leur code vestimentaire.

De son côté, la députée Manon Massé, cible régulière du machisme le plus grissier sur les réseaux sociaux, s’insurge contre la loi du silence qui fait en sorte que ces comportements perdurent et que les victimes se taisent, de peur de perdre leur emploi, nuire à leur carrière ou de subir toute autre discrimination supplémentaire. « Tu fermes ta gueule parce que tu as envie de travailler jusqu’à la fin de tes jours » a déclaré la députée de Québec solidaire, réputée pour son franc parler, qui a ajouté : « Partout sur la planète, il y a juste une façon qu’on va pouvoir s’en sortir, ici même au parlement, c’est si les femmes se tiennent main dans la main et on dit : « Les boys, c’est assez! ».

88% des élues qui ont participé à ce sondage estiment d’ailleurs que le mouvement #MoiAussi #MeToo est un « tournant décisif et durable » pour briser le silence qui a maintenu en place pendant trop longtemps ces comportements d’inconduite sexuel et de harcèlement en tout genre. La très grande majorité de ces politiciennes – 88%-  estiment également que des cours d’éducation sexuelle obligatoire dans les écoles et la mise en place de campagne de sensibilisation sont nécessaires pour lutter contre ces pratiques. 67% pensent également qu’il faut offrir plus de financement aux organismes qui viennent en aide aux victimes et 50% estiment qu’il faut mieux former les policiers.