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©TV5monde/AP Photo/R.S. Iyer
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Inde : Sabarimala, le temple qui n'est plus interdit aux femmes, vraiment ?

Et de trois ! Une troisième femme est parvenue à rentrer dans le temple de Sabarimala, dans le sud de l'Inde. Deux premières femmes avaient réussi cet exploit quelques jours plus tôt, sous escorte policière, dans ce sanctuaire interdit aux femmes pendant des siècles, mais plus aujourd'hui. Cette courte visite avait suffi pour embraser toute une nation, l'une des plus peuplées de la planète.

Le signe d'un commencement qui ne pourrait jamais s'interrompre ? Une troisième femme a réussi vendredi 4 janvier 2019 ce que deux autres avaient été les premières à réaliser trois jours plus tôt. "Elle est entrée dans le temple tard jeudi soir. Elle a 47 ans et est venue pour prier. Nous sommes au courant et surveillons la situation", a annoncé Balram Kumar Upadhyay, un responsable de la police de l'Etat de Kerala, où se trouve le temple de Sabarimala. 

Mercredi 2 janvier, c'est alors qu'il faisait encore nuit, à l’insu des gardiens fondamentalistes du lieu et sous escorte policière, que Bindhu Ammini et Kanaka Durga, toutes deux âgées d’une quarantaine d’années, avaient réussi ce qui semblait jusqu'alors impossible. Car depuis des mois, d'autres avaient tenté de pénétrer dans ce sanctuaire depuis que les femmes y sont autorisées, sans y parvenir, empêchées par ces mêmes gardes. Cette fois, la police et les autorités locales avait pris partie pour les deux femmes, le chef du gouvernement local du Kerala, Pinarayi Vijayan avait même déclaré : "La police doit offrir sa protection à toute personne qui désire prier dans le temple".

Cette "petite" visite va bien au-delà de l'acte symbolique, elle a pris une incroyable ampleur, déclenchant une véritable tempête politique partout dans le pays. Depuis mercredi, des manifestations ont lieu, notamment devant le siège du parlement de l'Etat, à Thiruvananthapuram, et des heurts avec la police, faisant au moins un mort et plusieurs blessés.

De la bataille religieuse à la bataille politique

Quelques heures après l’exploit des deux femmes, le dirigeant local du BJP (Bharatiya Janata Party, le parti nationaliste hindou au pouvoir) avait dénoncé une "conspiration" anti-hindoue. Des responsables locaux du parti ont annoncé qu'ils organiseraient deux jours de manifestations dans cet Etat, dirigé par une alliance de gauche. Au coeur de ces rassemblements de colère, les membres du Corps national des volontaires (RSS), une organisation fondamentaliste réputée inspirer la politique du gouvernement fédéral actuel, dirigé par le nationaliste hindou Narendra Modi, comme nous le précise Le Monde. Cette affaire, qui intervient au moment où la plus grande démocratie du monde entre en campagne pour les législatives du mois d’avril, prend donc une tournure qui semble dépasser le simple prétexte réligieux.

Le temple de Sabarimala était depuis toujours interdit aux femmes, dites "réglées", soit de âgées 10 à 50 ans. La société indienne conservatrice et patriarcale considère les femmes ayant leurs règles comme étant "impures" . Si la plupart des temples hindous n'autorisent pas les femmes à entrer lorsqu'elles ont leurs règles, Sabarimala était l'un des rares à interdire toutes celles entre la puberté et la ménopause. Cette interdiction levée en septembre 2018 par la Cour suprême indienne avait déjà au moment de cette décision, soulevé une immense polémique, et surtout l'ire des fidèles ultra-traditionalistes. De nombreux groupes hindous ainsi que le parti du Premier ministre Narendra Modi avaient dénoncé le choix de la Cour suprême.

Ce temple situé dans l'Etat du Kerala, dans le sud de l'Inde, n'est pas qu'un simple lieu de prières, il est l'un des sanctuaires indiens les plus sacrés de l'hindouisme. Dédié à Ayyappan, un dieu vénéré pour son ascétisme et sa chasteté, c'est un haut lieu de pélérinage qui fait l’objet d’une bataille juridique depuis des années.
 

Créé en 2016, ce jeu vidéo baptisé Darshan Diversion, met en scène des prêtres hindous qui tentent d'empêcher des femmes qui ont leurs règles d’entrer dans un temple. 
 

Le mur des femmes

Mais face à ces défenseurs acharnés de la tradition, les femmes se serrent les coudes, ou plutôt les mains. Le 1er janvier, une immense chaîne humaine de trois à cinq millions de femmes, selon les sources, s'est formée sur une distance de 620 kilomètres à travers tout le Kerala.
 

Cette manifestation appelée "Mur des femmes contre le 'menstruation ban'" était soutenue par le gouvernement du Kerala. Des fonctionnaires du gouvernement ont même pris part à la manifestation, les écoles s'étaient vu accorder une demi-journée de fermeture et les examens universitaires avaient été retardés afin que les étudiants puissent se joindre à la manifestation, rapporte l'agence Press Trust of India.


"Regarder les images les montrant pénétrer dans le sanctuaire me fait pleurer de joie. Que de temps de temps il a fallu pour avoir notre place...", observe sur Twitter l'auteure féministe Meena Kandasamy. Une joie relayée un peu partout à travers la twittosphère.


"Notre rêve s’est enfin réalisé",  a déclaré Bindu Ammini dans une interview accordée au quotidien Hindustan Times. Cette militante d’extrême gauche, diplômée de droit, précise qu'elle et son amie étaient des pèlerins et non des activistes. Dans cet entretien, elle raconte comment elles ont dû se cacher pendant des semaines et ne dévoiler leurs plans à personne, sauf au chef de la police locale, qui les a aidés à entrer.

Et du soutien, Bindhu Ammini et Kanaka Durga vont encore en avoir besoin. Menacées, elles ont été déplacées avec leurs familles vers un lieu tenu secret, sous haute protection des forces de l’ordre. Les prochaines semaines s'annoncent à haut risque, la Cour suprême a été saisie d’un recours en appel de sa décision d'ouvrir le temple aux femmes. Les juges réexaminent le dossier le 22 janvier.
 

Jeudi 3 janvier, des opérations "ville morte" étaient organisées dans toute la région. De nouveaux affrontements étaient signalés autour du site et ailleurs dans le Kerala. Ces violences ont déjà fait un mort et plus d'une quinzaine de blessés.