Inna Modja, marraine de la Maison des femmes, met #UnPiedDansLaPorte

Inna Modja, chanteuse, comédienne, mais pas que. A 33 ans, cette artiste malienne cumule les mandats. Entre deux concerts, et quelques escales chez elle à Bamako, histoire de redonner un peu d’eau à ses racines, Inna Modja porte haut la parole des femmes. Marraine de la Maison des femmes de Saint-Denis, au nord de Paris, elle mène la campagne #UnPiedDansLaPorte, pour récolter des fonds et permettre d’agrandir cette structure d’accueil. Rencontre.
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Capture Instagram officiel Inna Modja
Inna Modja, chanteuse et militante engagée dans la lutte contre l'excision.
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Inna Modja, marraine de la Maison des femmes de St Denis, près de Paris.
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Depuis quelques années déjà, Inna Modja évoque dans les médias, son passé de petite-fille, excisée à l’âge de 4 ans et demi, ainsi que son cheminement d’ex-victime, de la réparation à l’engagement pour lutter contre cette mutilation génitale. Car l’engagement est évidemment pour elle aussi un moyen de se reconstruire, et de vivre sa vie de femme.

Une évidence donc que de répondre sans hésiter à l’appel de la Maison des femmes de Saint-Denis dont elle est devenue la marraine. « Lorsque vous croisez le chemin d’une femme comme Ghada Hatem, on a envie de la suivre, son engagement et sa passion sont contagieuses », nous confie-t-elle.

Ouverte en juin 2016, installée à l’entrée du centre hospitalier Delafontaine, cette structure prend en charge toutes les femmes vulnérables ou victimes de violences de toutes sortes, comme l’excision. Avec près de 11 000 consultations en un an, elle souffre aujourd’hui de son succès. La maison est trop petite, il faut l’agrandir. « Nous ne sommes plus en mesure d’accueillir dans de bonnes conditions toutes celles qui le souhaitent », explique sa fondatrice Ghada Hatem.
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Un nouvel espace en projet pour agrandir la Maison des Femmes.
Capture d'écran/Twitter

Le projet d’agrandissement prévoit la construction de 120 m2 supplémentaires « dans le prolongement de la grande halle centrale, souhaite Ghada Hatem. Cela correspond à six bureaux plus une salle dédiée à l’avortement médicalisé », précise la gynécologue, qui recherche actuellement 200 000 € auprès de partenaires privés et publics pour mener à bien ce projet. Elle souhaite le voir aboutir au printemps 2018. Une souscription a également été lancée sur la plate-forme Gofundme. Objectif : rassembler 30 000 €.

#UnPiedDansLaPorte

Ainsi nait l’opération #UnPiedDansLaPorte, pour que les femmes victimes de violences ne trouvent pas une porte fermée !  Inna Modja en devient naturellement l’ambassadrice et entame une tournée automnale, cette fois hors des salles de concerts, mais dans les médias et même jusqu’à l’Elysée. 
 

L’idée est simple, il s'agit de récolter des fonds via une plateforme internet, et créer une chaine de mobilisation via les réseaux sociaux. Le principe : se prendre en photo un pied dans la porte, poster et surtout partager.
 
Des jolis mocassins dorés de la marraine, en passant par une botte masculine, une basket, jusqu’au petit pied en pyjama accompagné de doudou, chacun à sa manière passe son pied dans la porte…
 

A ce jour 18 500 euros ont été recueillis sur les 30 000 attendus… A bon.ne entendeur.s.e, à vos pieds !

Inna Modja, une pas si "mauvaise fille"

« Modja » veut dire mauvaise en bambara, c’est ainsi qu’on l’appelle chez elle depuis toute petite. Non pas parce qu’elle était une mauvaise fille, mais plutôt parce que hyperactive, elle n’avait pas la langue dans sa poche, plutôt un atout dans une fratrie de sept, dix avec les trois cousines élevées avec elle. Cet aspect de sa personnalité est resté une force. C’est sans doute ce qui lui a donné l’idée, le courage, toute jeune, d’aller sonner directement à la porte du célèbre musicien malien Sélif Keita, en lui demandant de chanter pour lui. Ce fut le coup d’envoi de sa carrière de chanteuse.
 
A 33 ans, elle affiche trois albums, dont le dernier Motel Bamako est sorti en 2015. Dans une chanson, Tombouctou, elle évoque la guerre et la situation des femmes, elle y  rassemble d’ailleurs dans le clip trois générations, sa grand-mère, une jeune nièce et elle-même.
 
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"En tant que victime moi-même d'excision, je suis devenue une survivante"
Inna Modja
          
Terriennes : Comment se traduit concrètement votre mission en tant que marraine de la Maison des femmes ?

Inna Modja : Je participe à des groupes de paroles pour les femmes victimes d'excision. L'idée c'est d'avoir un espace sécurisé, où elles peuvent parler, où il n'y a pas de honte, pour comprendre qu'il y a d'autres femmes comme elles. J’avais envie de transmettre à ces femmes qu’elles ne sont pas condamnées à être des victimes. On partage nos histoires. Moi j'ai voulu ça parce que je pensais au départ que partager mon expérience, en tant que victime moi-même d'excision, je suis devenue une survivante. Tout au long d'un parcours. J'avais envie de leur transmettre ça. De leur dire qu'elles ne sont pas comdamnées à rester des victimes. Un jour, avec beaucoup d’efforts, l’entourage et du soutien, elles deviendront des survivantes. Mais en parlant avec elles, je me suis rendue compte que ça me faisant autant de bien à moi de partager mon histoire. Aujourd’hui je n’ai plus envie d’être une survivante, j’ai envie de vivre, et ça c’est encore une autre étape.

L'excision, le combat dure depuis 20 ans, il y a des progrès mais aussi des reculs ?

C'est un problème global, l'excision. On pense que c'est un problème uniquement africain, mais elle est pratiquée ailleurs aussi, et même en France parfois, ou bien lorsque des fillettes ou adolescentes rentrent de vacances dans leurs pays d'origine. Il y a une énorme vigilance à avoir. Il y a des lois dans certains pays, mais du coup, on la détourne, et l'âge est décalé, ce sont maintenant des adolescentes qui sont excisées lors de leurs vacances dans le pays d'origine de leur famille. Mais je garde espoir car je vois que le mouvement (contre l'excision ndlr) s'est encore renforcé. Seulement, on le sait, changer les mentalités, ça ne se fait pas en une journée, et comme on l'a vu, ça ne se fait même pas en vingt ans. L'excision est considérée comme une violence faite aux femmes, en septembre j'étais aux Nations Unies pour l'Assemblée générale et ONU femmes a lancé Spotlight Initiative avec l'Union européenne, j'espère donc qu'avec des campagnes de sensibilisation locales, on arrivera à éradiquer cette pratique d'ici à 2030, comme se l'est fixé ONU femmes.

Vous êtes engagée sur le terrain mais aussi dans les médias, comment vous vivez le fait que l'on vous interroge toujours sur l'excision, et surtout sur votre excision ?

J'aimerais ne pas avoir à parler de quelque chose d'aussi intime. C'est toujours difficile. Je pense que je n'arriverai jamais à le faire avec légèreté, et heureusement car ce n'est pas quelque chose de léger. Mais c'est nécéssaire d'en parler, de sensibiliser les gens, parce qu'il y en a beaucoup encore qui ne savent même pas que l'excision existe. Moi même quand j'en ai parlé avec des amis au moment où je me suis faite opérer pour la réparation, certains ne savaient pas de quoi il s'agissait. Et puis pour les personnes qui la pratiquent, il est important de les informer des conséquences dramatiques que cette mutilation peut avoir sur la santé, physique et psychique des femmes. Dans tellement d'étapes dans la vie d'une femme, l'excision a des conséquences, je pense notamment à l'accouchement.

Dans vos chansons, l'idée de transmission revient souvent, notamment entre générations, entre femmes, pourquoi ?

Dans le clip de Tombouctou, il  y a quatre générations, ma grand-mère, ma mère, moi, et une jeune nièce. On se rend compte que toutes, on veut la même chose. Ma grand-mère s'est battue pour que sa fille aille à l'école, et qu'elle ait les mêmes droits que tout le monde. C'est ce que ma mère a voulu aussi pour moi et mes cousines, et c'est ce que moi je voudrais pour mes nièces et pour mes futures filles.  Quatre générations, et on l'a toujours pas ! Cela fait beaucoup de temps !

Que pensez-vous de l'affaire Weinstein, et des campagnes sur les réseaux comme #balancetonporc ?

Messieurs, si vous ne voulez pas qu'on vous balance, ne violez pas, n'agressez pas les femmes, tout simplement ! Il semble légitime que les victimes puissent parler. Plus la parole se libère, plus on sera au courant, car jusqu'ici, il n'y avait pas de punition. C'est comme si on pouvait faire absolument tout ce qu'on voulait avec les femmes. On comptait sur le fait qu'elles avaient trop honte pour en parler. Aujourd'hui, on se rend compte que ce n'est pas un sujet qui concerne seulement le cinéma ou la musique, ou encore la politique. Cela touche tous les domaines.

Pourquoi avoir pris le nom de modja ?

C'est comme ça qu'on m'appellait tout petite, car j'étais une peste, hyperactive, je bougeais partout dans tous les sens. Ce n'étais pas méchant. Et j'ai gardé ce surnom, car j'avais envie en tant qu'artiste de ne pas garder ma langue dans la poche ! Même si malgré tout au début de ma carrière j'étais assez timide sur scène. Et puis si ma famille m'a appelée comme ça, ça vient de l'amour !

@innamodjaofficiel

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