Interdiction de la pilule abortive : "un scandale" selon son inventeur Etienne-Emile Baulieu

Vous ne connaissez sans doute pas son nom, mais son invention est au coeur de la nouvelle bataille sur l'avortement aux Etats-Unis. Il y a quarante ans, Etienne-Emile Baulieu a mis au point la pilule abortive. Sa récente interdiction par l'Etat du Wyoming aux Etats-Unis est scandaleuse, s'insurge le biologiste français. 

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Des manifestantes viennent défendre la pilule abortive devant le tribunal fédéral d'Amarillo, au Texas, où un juge fédéral conservateur doit étudier la demande d'un groupe chrétien cherchant à annuler l'autorisation, vieille de plus de deux décennies, de la RU-846.
©AP Photo/David Erickson
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Elle est au coeur de la nouvelle bataille qui fait rage aux Etats-Unis autour du droit à l'avortement. Alors que la liste des Etats interdisant la pratique de l'IVG s'allonge depuis l'annulation de l'arrêt Roe V. Wade, c'est maintenant la pilule abortive qui se retrouve dans la ligne de mire des pro-vie. Ces derniers viennent d'enregistrer une nouvelle victoire. Le 17 mars dernier, le Wyoming est devenu le premier Etat à interdire la pilule abortive.

En même temps, au Texas, le juge fédéral d'Amarillo doit bientôt rendre sa décision concernant une demande d'interdiction de cette pilule déposée par un groupe d'ultra-conservateurs chrétiens. 

Notre article ►​La pilule abortive : dernier enjeu pour le droit à l'avortement aux Etats-Unis

C'est un recul pour la liberté des femmes, surtout pour les plus précaires qui n'auront pas les moyens d'aller dans un autre Etat pour se la procurer.
Etienne-Emile Baulieu

"C'est un recul pour la liberté des femmes, surtout pour les plus précaires qui n'auront pas les moyens d'aller dans un autre Etat pour se la procurer". Etienne-Emile Baulieu ne mâche pas ses mots, lui qui a consacré une bonne partie de sa vie à l'exact opposé : "accroître la liberté des femmes".

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Une femme tient une pancarte lors d'une manifestation contre un projet de vente de pilules abortives devant le siège de Walgreens Deerfield à Deerfield, Illinois, le mardi 14 février 2023.
©AP Photo/Nam Y. Huh

Accroître la liberté des femmes

Etienne-Emile Baulieu
Etienne-Emile Baulieu, aujourd'hui âgé de 96 ans, est l'inventeur de la pilule abortive, en 1982.
©wikimedia

Fils d'un néphrologue qui meurt alors qu'il n'a que 3 ans, élevé par sa mère, féministe, il est résistant à 15 ans. Ce "médecin qui fait de la science", comme il aime se définir, se spécialise dans l'étude des hormones stéroïdes.

Invité à travailler aux Etats-Unis, il est remarqué en 1961 par Gregory Pincus, le père de la pilule contraceptive, qui le convainc de travailler sur les hormones sexuelles.

De retour en France, il conçoit une anti-hormone, qui permet de s'opposer à l'action de la progestérone, essentielle à l'implantation de l’œuf dans l'utérus. "Je voulais en faire un contragestif", explique-t-il à l'AFP, c'est-à-dire un moyen de contrer la gestation.

"La pilule de la mort" selon les pro-vie

La molécule RU-846, mise au point en 1982 avec le laboratoire Roussel-Uclaf avec qui il s'est associé, est une alternative médicamenteuse à l'avortement chirurgical, sûre et peu onéreuse.

Mais la bataille pour sa commercialisation sera rude, les puissantes ligues américaines anti-avortement l'accusant notamment d'avoir inventé une "pilule de la mort".

"Vous, juif et résistant, on vous a accablé des plus atroces injures et on vous a comparé aux savants nazis (...) Mais vous avez tenu bon, par amour de la liberté et de la science", a rappelé début mars le président Emmanuel Macron en lui remettant la Grand-Croix de la Légion d'Honneur.

"L'adversité glisse sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard, il est extrêmement solide", confie la productrice Simone Harari Baulieu, qui partage sa vie depuis plus de 30 ans.

misoprostol
Des boîtes de médicament misoprostol sont posées sur une table du West Alabama Women's Center, le 15 mars 2022, à Tuscaloosa (Etats-Unis). De plus en plus difficiles à se procurer, un réseau de femmes s'est mis en place pour fournir la pilule abortive à celles qui le souhaitent, par correspondance, ou via un médecin, et qui ne peuvent pas pratiquer l'IVG dans l'Etat où elles habitent. 
©AP Photo/Allen G. Breed, File)

Un retour en arrière entre fanatisme et ignorance

Ce "retour en arrière" décidé aux Etats-Unis trahit, selon lui, "fanatisme et ignorance".

Dans son bureau de l'unité 1195 de l'Inserm au CHU du Kremlin-Bicêtre près de Paris, qu'il continue d'occuper trois fois par semaine, et où s'entassent photos, diplômes, classeurs renfermant "le travail de toute une vie", ou encore des sculptures offertes par son amie Niki de Saint-Phalle, il a encore envie d'"être utile".

S'il arbore discrètement sa récente décoration sur son costume bleu, il assure n'avoir "jamais espéré sérieusement recevoir de tels honneurs": "ça m'a fait plaisir mais ce qui m'intéresse c'est d'améliorer la santé des gens".
 

Ses chevaux de bataille : les femmes, la santé cérébrale, la longévité.

Dans son labo, ses équipes poursuivent les recherches qu'il a entamées il y a des années pour prévenir le développement de la maladie d'Alzheimer mais aussi pour traiter les dépressions sévères: un essai clinique chez l'homme se déroule jusqu'à l'été dans une dizaine de CHU et à l'AP-HP (hôpitaux de Paris).

"Il n'y a pas de raison qu'on ne trouve pas de traitements", avance ce grand optimiste. "Ça fait du bien de trouver quand on fait ce métier", complète-t-il, énumérant ses chevaux de bataille: "les femmes, la santé cérébrale, la longévité".

"Toujours enthousiaste, il est un moteur pour nous; quand il vient on discute de nos avancées", livre Julien Giustiniani, chef d'équipe à l'Institut Baulieu, créé pour financer les recherches sur les démences séniles.

S'il doit s'aider d'une canne pour marcher, Etienne-Emile Baulieu semble infatigable. Cet utilisateur de la DHEA, une hormone naturelle dont il pense qu'elle peut retarder le vieillissement et dont il avait décrit la sécrétion par les glandes surrénales en 1963, va encore régulièrement assister à des spectacles, et avoue, l'oeil rieur, être "stimulé par les sujets difficiles". "Si je ne travaillais plus, je m'ennuierais je crois", souffle-t-il.