Interdictions du port de la burqa : l'Europe à rebours des nations

Alors que la Belgique met en application ce samedi 23 juillet le texte de loi voté en avril 2010 pénalisant le port du voile intégral dans l'espace public, le commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, réitère sa désapprobation sur la question.
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Interdictions du port de la burqa : l'Europe à rebours des nations
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Interdictions du port de la burqa : l'Europe à rebours des nations
Femme portant la burqa - photo Wiki Commons
Dans un article publié le 20 juillet sur son blog, le commissaire suédois répète que la sanction à l'encontre des femmes portant la burqa n'était pas un moyen de les ouvrir aux "standards" occidentaux qui sont la norme en Europe. S'appuyant sur une enquête de Open Society Foundations, il insiste sur le fait que ces lois répressives ont l'effet inverse : les femmes concernées sont de plus en plus ostracisées. Ce rapport, intitulé Un Voile sur les Réalité, se penche sur l'expérience de 32 musulmanes de France ayant choisi de porter le voile intégral. Ses conclusions soulignent le sentiment d'aliénation croissant de ces femmes souhaitant pouvoir vivre dans le respects des lois républicaines et coraniques depuis l'entrée en vigueur de la loi et la couverture médiatique qu'elle a pu avoir. En conséquence, elles choisissent de vivre essentiellement chez elles depuis l'entrée en vigueur du texte français, s'excluant de facto de la vie publique.

Des lois discriminantes ?

Se basant sur cette expérience, Thomas Hammarberg répète que ces lois ne sont pas une solution pour libérer ces femmes : "Faire, comme on l’a fait, des pratiques vestimentaires d’un petit nombre de femmes un problème central nécessitant d’urgence débats et initiatives législatives, c’est tristement capituler face aux préjugés des xénophobes." En votant des textes contraignant une part infime des pratiquantes de l'Islam (moins de 300 femmes portent la burqa en Belgique ; elles sont moins de 400 en France), c'est toute la communauté musulmane qui est stigmatisée (plus de 600.000 pratiquants en Belgique, entre 2,5 et 4 millions en France). Selon le rapport cité par T. Hammarberg, s'il est nécessaire que l'intégration des populations musulmanes en Europe soit pris en charge par les politiques, le fait que des lois spécifiques soient votées à leur attention renforce le sentiment de discrimination ressenti des pratiquants de l'Islam. La multiplication des textes et projets discriminatoires (en France et en Belgique, mais aussi en Autriche, aux Pays-Bas, en Italie...) traduit une réaction du pouvoir public face à un sentiment de dissolution des identités nationales, dans des sociétés de plus en plus hétérogènes et diverses, avec un effet finalement contre-productif.

Par ailleurs, le commissaire ajoute qu'il était probable que ces lois "constitu[ent] une violation des normes européennes des droits de l'Homme et en particulier du droit au respect de la vie privée et de l'identité personnelle." Il rejoint sur ce point le premier ministre turc, Recep Erdogan, qui avait tenu des propos similaires peu de temps après l'application du texte français. Dans ce sens, notons qu'un couple musulman de France a déposé une requête auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Ils estiment avoir été contraints de quitter le pays pour s'installer au Royaume-Uni afin de pouvoir continuer de pratiquer leur Islam (source AFP).

Aujourd'hui, l'entrée en vigueur du texte belge semble provoquer moins de remous qu'en France, peut-être du fait d'une couverture médiatique moins importante. Cependant, les musulmans de Belgique craignent eux aussi qu'en pénalisant ces quelques 300 femmes portant la burqa, c'est toute la communauté islamique du pays qui va être montrée du doigt.

"Une mesure de sécurité publique"

Pour la sociologue belge Anne Van Haecht, ces craintes ne sont pas justifiées. Si elle reconnaît que le texte a pu être voté en réaction à une méfiance d'un certain type de fanatisme religieux, il ne faut pas voir là une volonté des politiques de discriminer les musulmans de Belgique. "Il s'agit avant tout d'une mesure de sécurité publique. Dans un pays où la chose publique publique est essentielle, où les libertés individuelles sont très importantes (la Belgique a légalisé, entre autre, le mariage des couples homosexuels, leur droit à l'adoption, ainsi que l'euthanasie), il est logique d'avoir un minimum de respect pour la sphère publique. Or, une personne dont on ne peut voir ni le visage ni le corps est désindividualisée. C'est une négation de la personne en tant qu'individu, et du point de vue des droits humains, c'est inacceptable."

La chercheuse ajoute par ailleurs que les "communautés" musulmanes de Belgique  - "il ne faut pas voir les musulmans du pays comme un ensemble homogène ; les cas sont tous particuliers, et changent d'une famille à l'autre." - n'ont pas à craindre d'être stigmatisées de quelque façon que ce soit, la loi sur la burqa visant à mettre fin à des pratiques extrémistes incompatibles avec l'exercice de la démocratie.

Or, Islam et démocratie sont loin d'être incompatibles ! "Les seules femmes intégralement voilées qu'on peut croiser à Bruxelles sont des saoudiennes qui déambulent dans les quartiers huppés de la capitale. On voit le visage des femmes vivant dans les quartiers à forte proportion musulmane !" Mais d'ajouter finalement "Il ne me viendrait jamais à l'idée de rejeter une étudiante qui assisterait à mes cours vêtue d'un hidjab ou d'un tchador."

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le dossier de la rédaction de TV5MONDE consacré à la question du voile intégral.