Fil d'Ariane
"29 personnes" ont été "arrêtées et remises à la justice" parce qu'elles "perturbaient l'ordre social" - c'est par ce communiqué succinct et laconique que la police de Téhéran annonce les arrestations, sans précision sur leur moment précis. Toujours est-il qu'elles interviennent après le partage, sur les réseaux sociaux, de photos apparemment prises en Iran de femmes tête nue au vu et au su de tous, leur voile pendu au bout d'une perche comme une bravade.
L'idée, c'est de grimper sur un monument public - fontaine, muret, coffrage - pour un maximum de visibilité. Ces actions de contestation s'inspirent de l'initiative d'une femme, arrêtée fin décembre après être montée tête nue sur une armoire électrique dans une artère animée de Téhéran, brandissant son voile au bout d'un bâton.
Encore des #femmes à Téhéran qui protestent avec courage contre le voile obligatoire. Les femmes sont le moteur du changement en #Iran
— csdhi.org (@CSDHI) 29 janvier 2018
De gauche à droite : rue enghelab. Rue Enghelab, rue Ferdoussi, rue Vali-Asr pic.twitter.com/7tbiRpI930
L'initiative de cette jeune femme a fait boule de neige, et elles sont de plus en plus nombreuses à suivre son exemple au péril de leur liberté. Des femmes , mais aussi des hommes, en signe de solidarité :
La loi en vigueur en Iran depuis 1979 impose à toutes les femmes, iraniennes ou étrangères, et quelle que soit leur religion ou croyance, de sortir tête voilée et le corps couvert d'un vêtement ample plus ou moins long. Toutefois, le zèle de la police des mœurs sur ce sujet a nettement diminué ces vingt dernières années, et un nombre croissant d'Iraniennes, à Téhéran et dans d'autres grandes villes, laissent apparaître nettement leur chevelure.
Dans certains quartiers de la capitale, les conductrices sont nombreuses à laisser glisser leur foulard sur les épaules, estimant que la voiture fait partie de leur espace privé.
Les commandants de police et les gouverneurs de toutes les provinces d'#Iran ont lancé des menaces sévères contre les femmes mal-voilées, en particulier celles qui se débarrassent du voile en voiture. #ViolencesFaitesAuxFemmes #NeRienLaisserPasser pic.twitter.com/QeeCYOtlr6
— CNRI Femmes (@CNRIfemmes) 25 novembre 2017
La jeune femme arrêtée en décembre à Téhéran a été libérée après environ un mois de détention, selon l'avocate Nasrin Sotoudeh, figure de l'activisme en faveur des droits humains en Iran. Maître Sotoudeh indique que la justice exige une caution d'un montant rédhibitoire pour la libération d'une autre contestatrice arrêtée cette semaine, estimant que cela révélait une ferme intention des autorités de dissuader les contestataires :
Me Sotoudeh a indiqué que la justice a fixé à près de 90 000 euros (138 000 $ CA) la caution pour la libération d'une autre contestatrice arrêtée cette semaine, estimant que cela montrait « l'intention » des autorités de la maintenir en détention". https://t.co/FEP9ls7SWn
— Jean-Pierre Dubé (@jeanpierre_dube) 3 février 2018
Le 31 janvier, le procureur général de la République islamique Mohammad Jafar Montazeri qualifiait la remise en cause de l'obligation du port du voile par quelques femmes de "puérile", minimisant l'importance de la contestation. "Il s'agit d'une affaire insignifiante qui n'a rien de préoccupant", avait-il déclaré en ajoutant que les manifestantes solitaires avaient "agi par ignorance" et qu'"elles pourraient avoir été influencées à partir de l'étranger". Les autorités accusent des groupes "contre-révolutionnaires" basés hors d'Iran d'être à l'origine de cette campagne contre le voile islamique.
A l'approche du 39e anniversaire de la Révolution islamique, le 11 février, des Iraniens se mobilisent contre cette campagne de contestation en publiant sur les réseaux sociaux des photos où ils brandissent le drapeau national.
میخ اسلام رو در سرزمین کفر فرو کرد تمام pic.twitter.com/w9ZQOtvvra
— جِـــــنلى (@J1nne) 1 février 2018
"A une époque, nous imposions des restrictions aux femmes et nous les mettions sous des pressions inutiles, cela a provoqué ces révoltes pour que des femmes enlèvent leur foulards dans la rue. Cela est le résultat de nos erreurs", déclare Soheila Jelodarzadeh, une députée réformatrice.
Le vice-président du Parlement, Ali Motahari, connu pour ses positions critiques contre certaines politiques du pouvoir, lui, minimise le phénomène : "Il n'y a aucune contrainte en ce qui concerne le voile, et beaucoup de femmes se baladent dans la rue comme elles le veulent. Le fait qu'une poignée de femmes agitent en l'air leur foulard n'est pas un événement important", dit-il. "Le problème du pays n'est pas le voile. Nous ne voulons pas faire preuve de sévérité", ajoute-t-il.
Même si elles sont largement sous-représentées dans la classe politique, les femmes sont de plus en plus présentes dans la société iranienne. Elles sont majoritaires parmi les quatre millions d'étudiants de ce pays de 80 millions d'habitants et sont de plus en plus impliquées dans les activités économiques, en particulier dans le secteur privé.
L'actuel président Hassan Rohani, un religieux modéré élu en 2013 et reconduit l'an dernier, prône une plus grande ouverture politique et sociale du pays, notamment en ce qui concerne le respect du code vestimentaire.