Fil d'Ariane
« Est-ce que beaucoup d'entre vous estiment que voir un homme voilé est humiliant pour les hommes ? Je suis iranien et voici une photo de moi portant le voile. Beaucoup d'entre vous estiment que voir un homme voilé est humiliant pour les hommes. Creusons un peu alors : si c'est une humiliation pour les hommes, que penser de ces millions de femmes forcées de le porter ? »
Ce post, daté du 22 juillet 2016, est le premier d'une série d'autoportraits d'hommes iraniens arborant fièrement un voile et le mot-clé #meninhijab (« hommes en hijab ») sur la page Facebook « My Stealthy Freedom » (« Ma liberté furtive » en français). Cette page, suivie par plus d'un million de personnes, a été créée en 2014 par la journaliste et militante en exil Masih Alinejad. Il s'agit pour elle de dénoncer le port obligatoire du voile dans la République islamique, en vigueur depuis la révolution de 1979. Jusqu'au 22 juillet, seules des photographies de femmes étaient publiées. Des femmes qui, le temps de prendre la pose, avaient choisi d'ôter leur voile dans des lieux publics.
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Cette fois, Masih Alinejad a lancé un défi aux hommes : comment se sentent-ils en portant un hijab ? Quelques dizaines d'Iraniens lui ont répondu par l'envoi de clichés (qu'elle met en ligne sur sa page) ou leur publication sur Instagram. « La plupart des hommes soutenant #MenInHijab vivent en Iran et ont été témoins de la souffrance des femmes de leur famille entre les mains de la police des mœurs et des humiliations imposées via le hijab obligatoire », écrit-elle.
Pourquoi ce défi ? Pour répondre au ministre iranien des Affaires étrangères, explique-t-elle. Le 22 juin, celui-ci était auditionné par la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat français. À la question de la sénatrice Michelle Demessine « Ne craignez-vous pas que le fait d'imposer une tenue vestimentaire aux touristes femmes étrangères ne nuise à l'ouverture ? », le ministre a rétorqué : « L'Iran est un pays qui veut développer son tourisme à l'international. Le respect des traditions iraniennes favorise ces échanges culturels. Les touristes qui viennent en Iran sont pour l'instant tout à fait prêts à respecter les lois iraniennes. D'ailleurs, je vous remercie pour le respect que vous avez manifesté à leur égard lorsque vous êtes venus. »
Choquée, Masih Alinejad publie sur Facebook le 21 juillet (22 juillet pour sa version francophone) un photomontage du ministre… voilé. Et l'interpelle par la même occasion : « M. Zarif, pendant votre carrière diplomatique vous avez souvent argumenté contre les lois injustes. Par exemple, vous avez déclaré que les sanctions des Nations Unies contre l'Iran étaient injustes et vous ne les avez pas acceptées. C'est exactement ce que nous essayons de faire : défier la loi du hijab obligatoire parce qu'elle est injuste. Alors ne nous dites pas que la loi c'est la loi et qu'on doit respecter la loi. Souvenez-vous, l'esclavage était la loi et si des femmes et des hommes courageux ne s'étaient pas dressés contre lui l'esclavage légal existerait encore aujourd'hui. ».
Maris, oncles, frères et pères, jeunes ou vieux, seuls, entre amis ou en famille, se mobilisent depuis, couvrant leurs cheveux du voile de leurs proches. Ils posent souvent en compagnie de femmes tête nue et accompagnent parfois leur cliché de commentaires personnels, détaillant les raisons de leur mobilisation.
« Depuis des années, de l'enfance à l'âge adulte, on nous a forcées à porter le hijab obligatoire et pendant toutes ces années nous avons du subir la perte de notre dignité. Beaucoup d'hommes se sont habitués à voir les femmes sous le hijab obligatoire tous les jours et pensent que c'est normal. Mais pour des millions d'Iraniennes ce hijab obligatoire est une insulte à leur dignité. Dans notre société, l'existence et l'identité d'une femme sont directement liées à l'intégrité d'un homme et dans trop de cas les sermons des autorités religieuses et des représentants du gouvernement sous-tendent l'idée erronée que toutes les femmes appartiennent aux hommes. Je considère donc comme fantastique d'inviter les hommes à soutenir les droits des femmes », commente Masih Alinejad sur sa page.
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En Iran, les femmes qui ne respectent pas l'obligation de se voiler (ou sont « mal voilées » en laissant paraître trop de cheveux au grand jour) risquent des amendes et la prison, rappelle un rapport d'Amnesty International dédié à la situation des femmes dans ce pays et paru en 2015. Il indique : « Les femmes qui défient le code vestimentaire obligatoire sont systématiquement empêchées de jouir pleinement et équitablement de leur droit d'accès à l'éducation et au travail, et de prendre part à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays. Les filles âgées de plus de sept ans ne peuvent pas, par exemple, aller à l'école sans porter de voile et d'uniforme couvrant leur tête, leur cou, leurs bras et leurs jambes. Les femmes ne peuvent entrer ni utiliser la quasi-totalité des endroits, y compris les universités, les bureaux officiels, les lieux de travail ou de loisir et les aéroports, sans porter de voile et de tenue ample. »
L'une des vidéos postées sur la page « My Stealthy Freedom » présente des affiches publicitaires présentant les supposés bienfaits du port du hijab, comparant par exemple les femmes à des bonbons sucrés qui, une fois dépossédés de leur enveloppe protectrice, attirent les mouches...
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S'appuyant sur des statistiques officielles, le rapport d'Amnesty poursuit : « De mars 2013 à mars 2014, plus de 2,9 millions de femmes ont reçu un avertissement de la police pour avoir manqué d'observer le code vestimentaire islamique. 207 053 femmes supplémentaires se sont vues obligées de signer une déclaration écrite promettant de ne pas commettre de nouvel “outrage” de “voile inconvenant” (bad-hijabi). 18 081 autres femmes ont été poursuivies et sanctionnées par les autorités judiciaires. »
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