Liberté cachée

Iraniennes : "Vivre quand même !"

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"Iran In/out" couverture

Dans son livre Iran In/Out, publié aux éditions Plon, Sarah Doraghi évoque la vie quotidienne des Iraniens et Iraniennes aujourd’hui.

©Plon éditions
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Comment continuer à vivre en Iran quand on est femme ? À l'abri des regards, dans l'intimité des maisons, ou dans la rue grimées en homme avec une fausse moustache, les Iraniennes contournent les règles, comme un souffle de liberté face à la dictature des mollahs. C'est ce que montre à travers ses photos, Sarah Doraghi, autrice et journaliste franco-iranienne, dans son livre Iran In/out. Rencontre.

Séduire, s'embrasser, rire, danser... En Iran, ces actes ordinaires sont devenus des gestes de résistance. Au travers de photographies exclusives, Sarah Doraghi illustre avec tendresse, humour et poésie le courage et la force des Iraniennes et des Iraniens. 

La plupart des photos ont été prises avec un Iphone. Elles racontent des histoires de vie, de quotidien, de lutte. Depuis la mort de Mahsa Amini, la colère des femmes pour leur liberté s'exprime au fil des mois et des réseaux sociaux. Les victimes aussi. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui ont osé braver et s'opposer au régime publiquement et qui aujourd'hui peuplent les prisons, notamment celle d'Evin à Téhéran, où est détenue la Prix Nobel de la Paix Narges Mohammadi. Malgré les risques, le mouvement ne faiblit pas même s'il disparait ou réapparait au gré des évènements qui animent l'actualité du monde. 

Au jour le jour, les familles contournent les interdits, simplement, symboliquement, pour continuer à dire leur liberté. C'est ce que raconte le livre de la journaliste franco-iranienne, qui a dû fuir à l'âge de 9 ans, la guerre et la révolution iranienne en 1983. 

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Terriennes : comment vous est venue l'envie de faire ce livre ? 

Sarah Doraghi : c'est le cri du coeur, c'est l'appel du peuple iranien qui est déjà là depuis 45 ans, mais beaucoup plus présent depuis la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. C'est vrai que les réseaux sociaux ont joué un grand rôle car le monde entier a pu avoir accès à des images qui n'étaient pas celles de la télévision d'Etat. Plus personne ne pouvait dire qu'on ne savait pas. Les populations ont toujours été du côté du combat juste, celui des femmes notamment, mais les gouvernements ont caché ça. 

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Quand j'ai décidé de faire ce livre, j'ai voulu dire "ça, c'est la vie des Iraniens de l'intérieur". Non seulement la souffrance, mais pas que, c'est aussi l'espoir, la force d'une conviction, de savoir qu'on arrive en fin de cycle de l'islamisme, avec ou sans l'aide extérieure. 

Souvent, les Iraniens avec lesquels j'ai parlé me disent "Ne nous aidez pas, mais s'il vous plait, ne les aidez pas". Leur seule arme c'est la culture. Voilà le message le plus important des Iraniens : "Nous n'avons pas d'armes, mais nous avons la culture, la poésie, la danse". Que ce soit par des rimes et des proses écrites sur des murs, juste cela, ça a suffit au régime islamiste pour condamner, exécuter, violer, pendre la jeunesse iranienne qui a osé manifester dans la rue au côté des femmes iraniennes. Et aussi des hommes, et  c'est un échec du régime, et je tiens à le dire, les hommes iraniens ont rejoint le combat des femmes, et ça c'est extraordinaire.

Femme rue Iran

Dans son ouvrage Iran In/out, Sarah Doraghi montre des photos prises avec son portable, sur le quotidien des femmes iraniennes.

©Sarah Doraghi

Justement depuis la mort de Mahsa Amini, qu'est ce qui a changé ? 

Ce qui a changé, c'est cette force internationale de savoir que maintenant tout le monde sait. Il y a pas mal de monde qui s'est moqué de ces actrices et de ces personnalités du monde de la culture qui se sont coupées une mèche de cheveux en soutien aux Iraniennes. Beaucoup ont dit que ce qu'elles faisaient ne servaient à rien. Ce n'est pas vrai, cela leur a donné une force incroyable, cela leur a fait un bien fou. Ce qui a aussi changé, c'est de réaliser que les Iraniens de l'extérieur étaient avec les Iraniens de l'intérieur. Quand on voit un jeune qui est pendu, c'est comme notre frère. C'est insupportable. Notre rôle c'est d'alerter les médias, les gouvernements, et de leur dire "ne laissez pas ce combat se noyer". 

 

Niloufar Benisadr

La photographe iranienne Niloufar Benisadr, prise en photo par Sarah Doraghi, de dos, faisant face à l'une de ses photos lors d'une exposition à Paris. 

©Sarah Doraghi

Dans votre livre, vous montrez un monde, un pays sous surveillance mais aussi des gestes de quotidien, qui sont une mince faille de liberté ... 

J'ai montré ce monde avec les photos que j'avais dans mon portable. Il n'y a rien de plus criant de vérité que la réalité figée. Ce sont des moments de vie, en Iran, mais aussi des photos d'Iraniens à Paris, c'était pour montrer comment on prend les moments de la vie, les problèmes auxquels on est confrontés tous les jours, et comment on arrive à contourner ces violences-là et à trouver des itinéraires bis pour trouver un chemin de liberté et vivre quand même. 

C'est ce que les Iraniens d'Iran font. Ils vivent quand même. Sarah Doraghi

C'est ce que les Iraniens d'Iran font. Ils vivent quand même. Quand aux Iraniens exilés, nous aussi, on vit quand même, avec la douleur de ceux qui sont restés sur place. Avec la distance. La diaspora iranienne, ce sont des Iraniens déchirés de leurs racines, de leur famille. Ne pas être là, ne pas serrer les gens qu'on aime dans nos bras. Sans avoir peur de la police qui peut débarquer à tout moment, sans besoin de mandat. Ne jamais avoir cette tranquillité, soit on arrête de vivre, soit on vit quand même. Le seul risque, c'est de vivre finalement.

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En légende d'une photo montrant une femme nue portant le voile et que l'on voit de dos face à sa propre photo, vous écrivez : "Elles trinquent sans boire au retour du mot "choix" dans le glossaire de la femme iranienne" ... 

Il s'agit d'une photographe iranienne, Niloufar Banisadr, qui avait commencé bien avant tout le monde à réaliser des autoportraits avec le haut du visage couvert et elle montrait la dualité de cette société, où en dessous de ce que l'on cache, il y a une sexualité, une sensualité, une féminité. C'était lors de l'une de ses expositions à Paris, je l'ai photographiée, évidemment sans hijab, en train de regarder sa propre photo. C'est ce que chaque femme iranienne vit. On arrive à se sortir de soi-même, à regarder l'image que les autres ont de nous, alors que nous, nous sommes autre chose. Nous avons une vie comme n'importe quelle femme de pays libre.

On n'a pas beaucoup le droit de parler, on n'a pas beaucoup le droit de se montrer. Donc ce qu'on a le droit de montrer est censé tout exprimer, notre existence même. Sarah Doraghi

"Etre soi " : en Iran, les femmes disparaissent... Vous montrez une femme, au naturel, cheveux détachés, qui est-elle ? 

Il y a vraiment ces deux concepts, quand on marche dans les rues des villes en Iran, et qu'on a juste un bout de visage, ce n'est pas forcément les parties les plus gracieuses avec juste le nez qui sort, c'est terrible, ça fait juste un cercle autour du visage. C'est quand même le lieu d'expression, le visage. On n'a pas beaucoup le droit de parler, on n'a pas beaucoup le droit de se montrer. Donc ce qu'on a le droit de montrer est censé tout exprimer, notre existence même, et c'est ça qu'on maquille finalement, on ne se maquille pas pour "draguer" mais pour qu'on voit ce qu'il reste de nous. Cette femme-là fait partie de ces femmes iraniennes qui n'ont plus à se maquiller pour plaire à des hommes qui ne les regarderaient que parce qu'elles ont fait cet effort-là. Il y a encore cette dualité là dans la femme iranienne que je souligne à travers des photos opposées. Il y a celle qui séduit avec beaucoup de maquillage et celle qui refuse de séduire et qui estime - à juste titre - que "être soi" est la chose la plus séduisante qui soit. 

Cheveux iraniennes

Une Iranienne pose pour Sarah Doraghi, cheveux libres et au naturel. 

©Sarah Doraghi

On le fait pour se dire voilà je suis sortie, j'ai fait trois rues sans foulard et après je rentre chez moi, ça n'a l'air de rien, mais en terme de sensations que cela procure, c'est extraordinaire ! Sarah Doraghi

Et il y a aussi celles qui se déguisent en homme ! 

(Rires) Oui c'est arrivé énormément en Iran. Les femmes qui se déguisent en homme pour sortir, c'est arrivé beaucoup, pourquoi ? Pour avoir les même droits que les hommes, pour sentir l'air sur ses bras, dans son cou. Des choses qui semblent basiques ici. Vous avez envie de sortir et bien vous sortez, vous mettez un tee shirt, un petit haut, on voit vos bras, la naissance de votre poitrine...  On voit votre visage. Vous respirez !

Iranienne moustachue

Parfois, le temps de quelques minutes, les Iraniennes portent une fausse moustache pour sortir prendre l'air dans la rue, sans hijab, les bras découverts.

©Sarah Doraghi

Le fait de respirer, d'avoir la peau qui respire, de sentir qu'on a le droit nous aussi d'être à 100% visibles ! Et s'il faut pour cela, se coller une fausse moustache, une vieille perruque, ne ressembler à rien, mais avoir le droit d'exister l'espace de quelques instants, car ça ne dure jamais longtemps non plus, on le fait pour se dire voilà je suis sortie, j'ai fait trois rues sans foulard et après je rentre chez moi, ça n'a l'air de rien, mais en terme de sensations que cela procure, c'est extraordinaire ! 

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On vous voit aussi à l'âge de 9 ans, portant le foulard, vous étiez encore en Iran... 

C'est la seule photo que je n'ai pas prise, c'est la photo de mon passeport. C'est avec cette photo que j'ai quitté l'Iran. Cela montre le ridicule de ces interdits, de ces obligations de cette violence. Pourquoi ? Parce que vous voyez bien que sur cette photo à l'âge que j'ai, on ne pense pas quand on voit une gamine comme ça qu'elle pourrait séduire avec ses cheveux, exciter les hommes de part sa démarche, son comportement ou son physique.

Et c'est là que c'est terrible, ça veut dire qu'on punit les femmes pour ce que potentiellement elles pourraient inspirer aux hommes ! Sarah Doraghi

Et c'est là que c'est terrible, ça veut dire qu'on punit les femmes pour ce que potentiellement elles pourraient inspirer aux hommes ! Alors que ce sont les hommes qu'on devrait soigner si jamais ils éprouvent quelque chose en regardant une fille de cet âge-là sans voile. C'est ça que je voulais montrer avec cette photo. 

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Vous évoquez aussi le mariage forcé, ça existe toujours en Iran ? 

Evidemment, il y a ça encore en Iran. Il y a la polygamie, le mariage des jeunes filles, il y a vraiment énormément de pédophilie, c'est comme ça que ça s'appelle. C'est une société qui autorise, encourage ces violences-là, cette tragédie qui est insoutenable. C'est pour ça que la jeunesse iranienne, les femmes iraniennes, les hommes, c'est contre cela qu'on se bat aussi. C'est pour l'égalité, la liberté, la bonne santé mentale et physique de chacun et chacune. 

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