Irlande du Nord : l'adieu à la journaliste Lyra Mac Kee

Des centaines de personnes, personnalités politiques, anonymes, ou militant.e.s LGBTI sont venues saluer la mémoire de Lyra McKee ce mercredi à Belfast. Tuée par balles dans l'exercice de sa profession à Londonderry en Irlande du Nord, cette journaliste de 29 ans était une experte du conflit nord-irlandais. Par voie de presse, un groupe dissident républicain, La Nouvelle IRA, a endossé la responsabilité de sa mort en présentant ses "sincères excuses".
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©Niall Carson/PA via AP
L'hommage des Nord-Irlandais à la journaliste Lyra McKee, inhumée à Belfast, le mercredi 24 avril 2019.
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©captureecran/Facebook
Lyra McKee, 29 ans, journaliste nord-irlandaise tuée par balles jeudi 19 avril 2019 à Londonderry, alors qu'elle couvrait des affrontements entre forces de l'ordre et militants indépendantistes.
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©LyraMcKee/facebook
Lyra mcKee, 29 ans, journaliste nord-irlandaise tuée jeudi 18 avril 2019 à Londonderry.
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Au mauvais endroit, au mauvais moment ? C'est la version avancée par La Nouvelle IRA. Le site du journal The Irish News déclare avoir reçu un message codé du groupe dissident, dans lequel il déclare présenter "ses sincères et entières excuses à la partenaire, à la famille et aux amis de Lyra McKee pour sa mort".

Dans le même communiqué, La Nouvelle IRA se justifie : "cette jeune femme de 29 ans a été "tragiquement" tuée, le jeudi 18 avril 2019, alors qu'elle se "tenait à côté des forces ennemies", évoquant des forces de l'ordre "lourdement armées", qui auraient "provoqué les émeutes" précédant la mort par balle de la journaliste. Ce drame rappelle les heures sombres des "Troubles" qui ont déchiré la province britannique de l'Irlande du Nord pendant trois décennies, lit-on encore.
 

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Les fleurs s'amoncellent sur les lieux où la journaliste Lyra mcKee a été tuée.
©Brian Lawless/PA via AP

Selon le commissaire en chef adjoint de la police nord-irlandaise, Mark Hamilton, Lyra McKee a été tuée par un homme qui a ouvert le feu contre des policiers qui intervenaient dans le quartier de Creggan, où une cinquantaine d’engins incendiaires ont été lancés contre la police et deux véhicules incendiés. Le correspondant de RFI à Dublin, Julien Lagache, confirme que la police de Derry venait de perquisitionner un lotissement du quartier catholique, où elle soupçonnait des dissidents républicains de cacher des armes en vue d'actions violentes lors du weekend de Pâques.

Une femme de 57 ans a été arrêtée pour le meurtre de la journaliste. Elle est interrogée au Serious Crime Suite du PSNI au commissariat de Musgrave à Belfast. Deux hommes, âgés de 18 et 19 ans, avaient été interpellés en fin de semaine.

Le quotidien britannique The Guardian nous apprend que Lyra McKee se tenait aux côtés des civils près des véhicules de la police lorsqu'elle a été abattue. Sur des images, une personne semble ramasser quelque chose sur le sol. D'autres images filmées depuis un téléphone portable montreraient le meurtrier présumé se penchant et semblant tirer. La police a publié ces images dans l'espoir que le public aiderait à identifier le meurtrier. Le chef de la police a déclaré que l'attitude de la communauté avait radicalement changé, ce qui s'est traduit par un "soutien sans précédent" à la police dans ses recherches.

Pas en notre nom. RIP Lyra

La mort de Lyra McKee a suscité une vive émotion au sein de la population locale, qui a manifesté sa colère devant les bureaux du parti Saoradh, réputé proche de la Nouvelle IRA. Sur l'emblématique mur du "Free Derry Corner", symbole des revendications séparatistes, a été inscrit le message "Pas en notre nom. R.I.P. Lyra".
 

Sentiment partagé du côté politique. Les six principaux partis politiques d'Irlande du Nord - y compris les unionistes et les républicains incapables depuis plus de deux ans de se mettre d'accord pour former un gouvernement à Belfast - ont également publié une rare déclaration commune : "Le meurtre de Lyra constitue une attaque contre tous les membres de cette communauté, une attaque contre la paix et le processus démocratique".

Plusieurs médias locaux ont fait part de leur soutien à la journaliste tuée, comme ici à Limerick : "Nous sommes avec Lyra", peut-on lire sur cette pancarte publiée sur twitter.
 

"McKee aurait tout aussi bien pu écrire sur son assassin", estime la journaliste Rory Caroll dans The Guardian. Le journal cite les témoignages d'habitants du quartier de Creggan, "Ils n’ont aucun espoir. Ils se sont laissés entraîner dans le paramilitarisme, ils ont été jetés dans la merde",  déclare une femme de 49 ans, "parmi une foule de résidents rassemblés sur Fanad Drive, où McKee a été abattue".
 

La Nouvelle IRA, dissidente et pro-violence

Ce groupe a été créé entre 2011 et 2012. Il fait partie des républicains dissidents, luttant pour la réunification de l'Irlande, y compris par la violence, et qui restent toujours actifs aujourd'hui.
La Nouvelle IRA avait revendiqué l'explosion en janvier 2019 d'une voiture piégée à Londonderry. Un attentat auquel a succédé la découverte de plusieurs paquets contenant des petits engins explosifs, retrouvés notamment dans des bâtiments des aéroports de Londres City et Heathrow. Des actes également revendiqués par la Nouvelle IRA.
Opposant républicains nationalistes (catholiques), partisans de la réunification de l'Irlande, et loyalistes unionistes (protestants), défenseurs du maintien dans la Couronne britannique, ces violences avaient fait quelque 3.500 morts avant de prendre fin grâce à l'accord du Vendredi saint de 1998. Cet accord avait imposé un retrait des forces britanniques et le désarmement de l'Armée républicaine irlandaise (IRA). Londonderry est particulièrement connue pour le siège de Derry en 1689 et l'épisode tragique du Bloody Sunday, le 30 janvier 1972.

Des airs d'ado, et une enquêtrice hors pair

Sur les réseaux sociaux et dans la presse, les hommages se succèdent. Ainsi celui du journaliste Barry Mc Caffey, qui publie une tribune intitulée "Ce que j'ai appris de mon amie Lyra McKee" sur le site d'informations Metro news. "J'ai rencontré Lyra pour la première fois à l'été 2011 - raconte-t-il- à l'époque, elle ressemblait à une adolescente. La dernière fois que je l'ai vue le 1er mars dernier, elle n'avait pas changée".

"Nous sommes en 2019. Des choses comme celle-ci ne sont pas censées se produire. C'était censé être une chose du passé (...) Pourquoi, 25 ans plus tard, une jeune femme de 29 ans avec toute la vie devant elle est-elle morte?", questionne-t-il. "Pendant l'époque des 'Troubles', il y avait un code non écrit que toutes les parties - républicaines, loyalistes et forces de sécurité - respectaient. Les journalistes étaient protégés et non visés. (...) Mais les anciennes règles ne semblent plus exister", conclut Barry Mc Caffey.

Autre hommage, sur le site The Bookseller, celui rendu par la maison d'édition Faber et Faber pour laquelle Lyra MacKee avait signé un contrat de deux livres, dont The Lost Boys, enquête sur les disparitions d'un certain nombre d'enfants et de jeunes hommes au cours des affrontements en Irlande du Nord qui devait paraître en 2020.
"Nombre d'entre eux n'étaient apparemment pas victimes de l'IRA ou de l'UVF. Certains étaient des enfants qui avaient quitté la maison pour aller à l'école et ne rentrèrent jamais chez eux. La police n'a jamais résolu leurs disparitions. McKee voulait enquêter sur ce qui leur est arrivé", explique Laura Hassan, directrice éditoriale. Et Alex Bowler, éditeur chez Faber, d'ajouter : "Lyra était une écrivaine dotée de dons et d'une compassion exceptionnels, une chercheuse de la vérité inspirante et déterminée et le plus aimé des êtres humains. Nous sommes honorés d'être son éditeur."

En France, Daniel Schneidermann écrit lui aussi sur cette jeune consoeur disparue : "Au petit matin, j'ai suivi pas à pas le chemin de Lyra McKee, des pubs de Belfast à l'université de Haïfa. J'ai découvert son pas, son rythme, sa musique. Mais Lyra McKee ne terminera pas cette enquête." Le rédacteur en chef de Arrêt sur Images évoque l'enquête que Lyra McKee avait entrepris "après le suicide à 17 ans de Jonny, le meilleur ami de la jeune journaliste, et qui l'a menée jusqu'à l'université de Haifa, en Israël, où des chercheurs enquêtent sur 'la transmission intergénérationnelle du trauma' de la Shoah", dans laquelle elle s'interrogait sur l'importante vague de suicides chez les bébés du cessez le feu irlandais.

Lyra McKee était devenue une spécialiste reconnue du conflit nord-irlandais. Parmi ses ouvrages les plus connus, un livre sur l’assassinat du révérend protestant Robert Bradford, militant unioniste, tué en 1981 par l’IRA.

Elle a écrit de nombreux articles dans The Independent et The Atlantic, ainsi que dans de nombreux journaux et magazines en Irlande du Nord et dans le monde. Engagée pour les droits des personnes LGBTI, elle se déclarait ouvertement lesbienne. En 2014, "La lettre à mon ado de 14 ans" , dans laquelle elle parlait de son enfance gay à Belfast était devenue virale. Ce texte avait fait l'objet d'un court métrage. "Les gens utiliseront des mots comme" génial "," cool "et" spirituel "pour vous décrire et vous oublierez les fois où les autres enfants ont dit que vous étiez" étrange" et "pas normale" ou une "gouine ", écrivait-elle alors.
 

Pour la secrétaire générale de la National Union of Journalists (NUJ), Michelle Stanistreet, Lyra McKeel était l'une des journalistes les plus prometteuses d'Irlande du Nord. Nommée jeune journaliste de l'année par Sky News en 2016, la même année, le magazine Forbes la classe, alors qu’elle n’a alors que 25 ans, parmi les 30 jeunes de moins de 30 ans qui comptent dans les médias en Europe.
 

Partageant sa tristesse sur twitter, voici ce que dit l'historienne Ruth Edwards : "Lyra McKee et moi étions des amies de longue date. Elle ne mettait aucune barrière à l'amitié, à l'exception de la bigoterie et de la méchanceté. Son engagement et son talent allaient lui apporter un succès incroyable en tant qu’écrivain et elle vivait une histoire d'amour. Quel gaspillage écoeurant, celui d'un formidable être humain et tellement talentueux !"
 
Sur les réseaux sociaux, une main rouge circule depuis ce "bloody thursday", ce triste jeudi 18 avril 2019, comme symbole contre la violence et en signe d'adieu à Lyra McKee.

Les funérailles de la jeune femme sont organisées ce mercredi 24 avril, à la cathédrale St-Anne de Belfast, ville de naissance de Lyra.
 


"Cela va être une célébration de sa vie", a posté sur Facebook Sara Canning, sa compagne, avant d'appeler les invités qui le souhaitent à se vêtir "de T-shirts en lien avec Harry Potter ou Marvel". "Je sais qu'elle aurait adoré ça."

Outre des centaines d'anonymes ou de militant.e.s LGBTI, plusieurs chefs de formations politiques se sont joints, à ces obsèques, à la Première ministre britannique Theresa May, au chef du gouvernement irlandais Leo Varadkar, au président irlandais Michael D. Higgins et au chef de file de l'opposition travailliste britannique, Jeremy Corbyn.

"Nous demandons à tous ceux qui ont connu Lyra de continuer à porter son message d'optimisme et d'espoir, en respectant sa mémoire avec dignité et respect", a annoncé sa famille dans un communiqué diffusé avant la cérémonie.

 
"Pourquoi a-t-il fallu sa mort pour que les politiciens soient rassemblés ?", a lancé le prêtre qui célébrait la cérémonie des funérailles, des paroles longuement applaudies par l'assistance.