Islam et pays arabes : quand les hommes combattent pour l’émancipation des femmes
Suite aux « printemps arabes », souvent suivis d’un triste hiver plein de déceptions, en particulier sur la condition féminine, un mouvement de révolte récent a explosé sur la toile, rassemblant des femmes mais aussi des hommes. Une initiative qui rappelle des tentatives anciennes d’émancipation.
Il est intéressant de noter qu’à travers les messages qui circulent sur les réseaux sociaux, hommes et femmes expriment haut et fort leur désir de changement. Tous ont conscience du rôle important que les femmes arabes devraient avoir pour assurer un meilleur équilibre de la société. Beaucoup soulignent que l’Islam a fait de la femme l’égale de l’homme et a fait progresser sa condition, alors que les coutumes folkloriques et conservatrices ont fini par détourner le sens fondamental du texte sacré et opérer un retour en arrière, vers une certaine misogynie qui ne correspond pas au vrai Message de l’Islam.
Hisham en Tunisie.
Pire et plus grave, des égarés ont une interprétation déviante et ont détourné le sens de certains versets coraniques afin d’imposer une mentalité rétrograde qui remonte parfois au temps de la Jahiliya (période préislamique terme qui veut dire littéralement : Ignorance). Il y a donc un risque de voir remis en question les droits accordés à la femme et de retour en arrière par ignorance ou par machisme.
Heureusement, les messages fusent de partout, du Yémen à la Tunisie, en passant par l’Egypte, la Syrie, la Palestine, le Liban, mais aussi d’Australie ou des Etats-Unis. Notamment par le biais de Facebook où une page The Uprising of arab women (Le Soulèvement des femmes arabes) s'est créée. Souvent signés par de jeunes hommes, ils nous rappellent l’engagement de nombreux intellectuels arabes à partir du milieu du XIXème siècle.
Aux origines de l'émancipation féminine
En effet, avec le déclin de l’empire Ottoman qui dominait la plupart des pays arabes, sauf le Maroc (qui englobait alors la Mauritanie), et à partir de l’expédition d’Egypte de Bonaparte, les pays arabes du sud de la Méditerranée se sont retrouvés face à un monde européen hégémonique. C’est dans ce contexte qu’un courant de renaissance culturelle, linguistique et sociale allait se développer au Levant et en Egypte. Ce fut la Nahda, la Renaissance. Ce mouvement a été porté à la fois par des intellectuels arabes chrétiens (Boutros el Boustani, Nasser el Yazigi) et musulmans (Rifa’a Rafi al Tahtawi, Ahmed Farès el Chidiac qui est d’ailleurs un chrétien converti à l’Islam).
Mohammed Abdou
C’est Rifa’a Rafi al Tahtâoui qui fut le pionnier du combat pour la revalorisation de la condition de la femme. Il explique que la renaissance doit concerner toute la société, donc les femmes qui sont tombées dans une situation inférieure en raison du sous-développement et d’une interprétation erronée de l’Islam. Il défend aussi l’idée que l’Islam des origines a émancipé la femme et que ce sont des interprétations tardives et sclérosées qui ont conduit à réduire son statut. En 1869, il écrit un premier ouvrage invitant à promouvoir l’égalité des sexes dans l’éducation et le travail, puis, en 1872, son fameux livre Le manuel juste pour l’éducation des filles et des garçons (traduit en français édition Al Bouraq, 2000), qui est un plaidoyer en faveur de l’émancipation de la femme musulmane.
A la fin du XIXe siècle et durant le premier tiers du XXe, se développa un grand mouvement intellectuel en faveur de la réforme (Islah) dans les sociétés musulmanes. Ce mouvement inspiré de la tradition islamique de la réforme (La tradition islamique de la réforme, Charles Saint-Prot, CNRS édition, 2010), connu sous le nom de Salafiya, illustré par Jamal al Dîn al Afghani, Mohammed Abdou, Abd al-Rahman al Kawakibi, Rachid Rida et bien d’autres, voyait dans la condition faite aux femmes une des causes du retard pris par les pays arabes et musulmans.
Au sein du mouvement réformiste, c’est Kassem Amîn (1863-1908) qui consacra le plus d’efforts à la question de la femme. Ce juriste publia un premier ouvrage, en 1899, La libération de la femme, puis un second en 1901, La femme nouvelle. Selon lui, il existe un lien de corrélation entre le changement de la situation de la femme et l’évolution de la société. En réalité, il s’agit de retrouver le véritable sens progressiste du message de l’Islam. Il affirme « imposer le hijab à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage ».
Ainsi, l’amélioration du sort de la femme fut le leitmotiv de tous les réformistes et de tous les progressistes qui se sont inscrit dans le sens du vrai Message émancipateur de l’Islam. Assistons-nous aujourd’hui à travers les réseaux sociaux à l’ébauche d’une nouvelle Nahda et d’un nouveau Islah ?
Zeina el Tibi, note biographique
Chercheuse et essayiste, spécialiste des questions relatives au dialogue des civilisations et des sociétés méditerranéenne. Journaliste et rédactrice en chef du magazine al Ayam, présidente de l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication à Paris. Membre d’Euro-Med Women Network du Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe. Présidente déléguée de l’Observatoire d’études géopolitiques. Auteure de plusieurs ouvrages dont à paraître en 2013 L’Islam et la femme, aux éditions DDB.