Fil d'Ariane
Une chose est sûre : l'Islande bat un nouveau record européen, et détrône la Suède. Avec 47,6% de députées, elle occupe la première place. Sur les 63 sièges de l'Althingi, le millénaire Parlement islandais, 30 seront occupés par des femmes. Avant le recomptage, elles devaient en occuper 33... Les législatives du 25 septembre auraient donc pu faire de l'Islande le premier pays en Europe à présenter une assemblée majoritairement féminine.
Un nouveau comptage a changé quelques voix dans une des six circonscriptions du pays, du fait du très complexe système électoral islandais. Conséquence : trois femmes ont perdu le siège qui leur était promis. "Ces quelques votes de différence entraînent ces grands chambardements", a dû préciser Ingi Tryggvason, le président de la commission électorale locale. Personne ne l'avait demandé, mais "nous avons décidé de recompter parce que le résultat était si serré", a ajouté le responsable électoral de la circonscription du nord-ouest.
[À LA UNE À 17H45] L'Islande est devenue le premier pays d'Europe à élire une majorité de femmes au Parlement, selon les résultats des élections, marquées par la position fragilisée de la Première ministre Katrin Jakobsdottir au sein d'une coalition gouvernementale #AFP 3/5 pic.twitter.com/JpTnoWZnmt
— Agence France-Presse (@afpfr) September 26, 2021
Avant ce coup de théâtre, responsables et simples citoyens s'étaient félicités de voir la petite Islande (370 000 habitants) entrer dans l'histoire politique européenne. Aucun pays d'Europe n'a jamais franchi la barre symbolique des 50% de femmes dans un Parlement.
"J'ai 85 ans, j'ai attendu toute ma vie que les femmes soient majoritaires (...), et je suis vraiment très contente", commentait Erdna, une habitante de Reykjavik, avant le recomptage.
Une certaine incertitude règne encore toutefois car un possible recomptage dans une autre circonscription du sud du pays pourrait à nouveau avoir des conséquences.
Cette "petite" nation nordique est régulièrement présentée comme une championne du monde en terme d'égalité des genres. Et si aucune loi n'impose de quota de femmes pour les législatives, plusieurs partis réservent d'eux-mêmes une part minimale de femmes parmi leurs candidats.
Parmi les plus grands faits d'armes féministes islandais : la grande grève féministe d'octobre 1975, un mouvement inédit pour demander de meilleurs salaires et une plus grande place pour les femmes. En 1980, l'Islande devient le premier pays à élire démocratiquement une femme cheffe de l'Etat. Plus récemment, il applique depuis 2018 une loi avant-gardiste sur la parité salariale. Depuis 12 années consécutives, il trône en tête du classement du Forum économique mondial en matière d'égalité femmes-hommes.
L'égalité de revenus n'est pas la seule avancée féministe d'Islande comme s'en réjouit Katrin Jakobsdottir, celle qui dirige l’Islande depuis trois ans et demi. "Oui, et je pourrais ajouter d’autres exemples comme l’égalité de revenus. On se débrouille pas mal par rapport à la moyenne de l’OCDE. Et je crois que tout cela se tient. Comme on est un tout petit pays, on a tous le sentiment d’être partie prenante dans la construction de la société. Je pense que c’est une des raisons qui expliquent pourquoi nous sommes aussi égalitaires, même si j’aimerais qu’on le soit encore plus. Nous sommes un des pays les plus égalitaires au monde", a confié la Première ministre islandaise d'un entretien sur la chaine française France 3.
Cette "presque" parité parlementaire est également saluée par le chef de l'Etat Gudni Johannesson qui a déclaré à l'issue du scrutin : "C'est un nouvel exemple du chemin que nous avons accompli sur la route de l'égalité complète des sexes (...) Je souhaite à ce Parlement un grand succès" .
Malgré la portée du symbole, Katrin Jakobsdottir sort fragilisée de ce scrutin. Son parti de gauche écologiste, le mouvement Gauche-Verts a perdu trois sièges et est passé, avec 12,6% des voix, derrière ses deux actuels alliés de droite.
Le parti conservateur de l'ex-Premier ministre Bjarni Benediktsson reste le premier parti d'Islande avec 24,4% des voix, gardant ainsi son contingent de 16 sièges quand les sondages lui prédisaient un recul. Bjarni Benediktsson futur Premier ministre ? "Je ne réclame pas cela", a assuré à la télévision publique RUV le chef des conservateurs, qui a déjà occupé le fauteuil de Premier ministre en 2017, selon qui "il faut s'efforcer d'être en quête de solutions".
Car la surprise est surtout venue du parti du Progrès (centre-droit) qui remporte 13 sièges, soit cinq de plus que lors des dernières élections de 2017, avec 17,3% des voix. La liesse régnait dans la nuit au QG du parti "de retour au premier plan de la scène politique", a lancé sous les vivas son dirigeant Sigurdur Ingi Johannsson, qui se retrouve lui aussi en position de Premier ministrable.
Avec un total de 37 sièges, les trois partis alliés confortent donc au total leur majorité, mais la droite se retrouve en position de force. Avec l'option de se trouver un autre troisième partenaire plus proche idéologiquement, par exemple les partis centristes de la Réforme (cinq sièges) ou du Centre (trois députés). Jamais depuis la faillite spectaculaire des banques islandaises en 2008 et la grave crise qui s'en était suivie, un gouvernement islandais sortant n'avait conservé sa majorité. Il faut remonter à 2003 pour trouver un précédent.
Des discussions doivent avoir lieu entre les trois chefs de partis. La question du futur locataire de Stjornarradid, la modeste maison blanche où siègent les chefs de gouvernement islandais, se posera nécessairement, et il y a fort à parier que la réponse sera masculine.