En baisse depuis une trentaine d'années «
Cela ne date pas d'hier, explique
France Prioux, directrice de recherches à l'INED (Institut national des études démographiques).
La fécondité italienne est en baisse depuis une trentaine d'années. Cela correspond à un réveil des femmes qui ne veulent plus se sacrifier. Dans la structure familiale à l'italienne, trop de charges reposent sur elles. Et il est de plus en plus difficile de concilier l'entretien de la maison, l'éducation des enfants et la vie professionnelle. » A cause du manque de crèches et de l'absence d'allocations, avoir un enfant signifie trop souvent que la mère délaisse son travail, surtout que les femmes sont souvent les premières victimes de la précarité. Cette natalité en berne est inversement proportionnelle à la courbe du chômage, en hausse : chez les moins de 35 ans, il atteint 15,9% au niveau national. Et le taux peut monter à environ 28 % dans le sud de l'Italie.
Le phénomène des « bamboccioni »,
"Tanguy" à l'italienne Au-delà de ces motifs économiques, c'est tout le modèle traditionnel à l'italienne qui traverse une crise. Le problème s'enracine dans un contexte socio-culturel particulier : pessimisme en l'avenir, manque d'autonomie, insécurité professionnelle... Sans oublier un phénomène en plein essor : les « bamboccioni ». Ces jeunes adultes - souvent diplômés - continuent de vivre chez leurs parents, pour des raisons de confort et - de plus en plus - pour des raisons économiques. Ce mode de vie concerne aujourd'hui 71,4% des jeunes femmes et 83,2% des jeunes hommes (de 18 à 29 ans). Comme Manuela ou Marco, ils ont parfois quitté le nid familial pour aller étudier dans de grandes villes (Rome, Bologne, Milan...), mais ils choisissent d'y revenir, pour une durée illimitée. «
Pourquoi louer un appartement, alors que chez mes parents, j'ai tout ce qu'il me faut ? Cela me permet d'économiser un loyer et de rester proche de ma famille », explique Marco, dentiste en Calabre, 32 ans. Les jeunes Italiens ne refusent pas les responsabilités, mais ils les reportent. «
En Italie, avoir un travail et prendre son envol ne vont pas forcément de pair ! On quitte les parents pour se marier, souvent le plus tard possible », analyse la démographe France Prioux. Pour des motifs culturels et religieux, le schéma familial reste classique : pas de bébé sans vie à deux, pas de cohabitation hors mariage, et pas de mariage sans emploi. Or les effets de la crise et l'immobilisme de l'Etat freinent la mise en route de cette mécanique familiale, c'est le "syndrome du retard". Les femmes sont entrées sur le marché du travail, mais l'organisation sociale tarde à prendre en compte leur désir de travailler. En Italie, faire des enfants reste une affaire privée : aux antipodes du modèle suédois, l'Italie continue de se démarquer en ne créant que très peu de crèches. De même, la répartition sexuelle du travail domestique continue de défavoriser les femmes.
Les traumatismes du fascisme... Les grands-parents, quand ils le peuvent, aident les jeunes couples: la solidarité familiale et les systèmes d'aide informelle sont des remèdes aux carences de l'Etat. France Prioux estime encore que "
les Italiens, très malthusiens, n'ont pas pris conscience du problème. Une vraie politique démographique coûterait cher et l'Etat n'est pas prêt à débourser de l'argent pour relancer la natalité ! De plus, une politique volontariste aurait des relents fascistes, ce qui serait mal perçu. » L'Italie se contente d'une politique familiale minimaliste et néglige ses conséquences néfastes sur le vieillissement de la population, le dynamisme économique ou l'avenir des retraites. De passage à Paris en 2006, Rosy Bindi, ministre italienne des Politiques de la famille, avait annoncé une « Conférence nationale de la famille », affirmant qu' «
investir dans la famille, c'est investir pour tout le pays ». Cinq ans plus tard, l'Italie est toujours « démographiquement sinistrée ». Et si, sur les dernières années, on a noté une légère amélioration, c'est uniquement grâce aux immigrés ! Les Italiennes, elles, continuent à faire très peu de « bambini ».