La légalisation de l’IVG en France fête ses 38 ans avec le vote, fin 2012, de son remboursement à 100%. Une réforme promise par le candidat François Hollande élu président de la République. Et pourtant, cette avancée révèle encore bien d’autres obstacles à l’avortement, un droit parfois encore difficilement respecté. Claudine et Marion témoignent pour TV5Monde de l’IVG pratiquée avant et après la légalisation. Deux témoignages en forme d’actes militants.
Trente huit ans après sa légalisation par la loi Veil du 17 janvier 1975, le droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) reste "un combat permanent". Ce sont les mots de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes et porte-parole du gouvernement. Ce jeudi 17 janvier, elle visitait avec Marisol Touraine, ministre de la Santé, la maternité des Lilas, en banlieue parisienne. "
Un lieu important dans l’histoire des femmes, dans le droit des femmes", a déclaré la ministre.
Cette maternité est en effet un modèle du genre dans l’accueil et la prise en charge des femmes souhaitant avorter (écouter ci-dessous) le reportage de France Culture, voir ci-contre). "
Ici, on accueille n’importe quelle femme de n’importe quel âge," raconte une sage-femme. Aussi bien la jeune fille de 13 ans qui vient pour une information que la mère de famille qui ne veut pas d’une nouvelle grossesse. "
Celles qui viennent au service d’orthogénie sont d’ailleurs souvent les mêmes que celles qui reviennent à la maternité", souligne une psychologue.
Plus de 200 000 femmes avortent chaque année en France, un chiffre qui se stabilise depuis plusieurs années mais qui
progresse chez les 18-25 ans, comme le souligne un rapport publié récemment par le professeur Isräel Nisand.
100% remboursé
Si l’avortement est devenu plus accessible aux femmes qu’avant (écouter le témoignage de Claudine) grâce à sa dépénalisation en 1975, des freins existent encore, notamment financiers.
Bien avant le
débat en France sur les
risques de certaines pilules contraceptives, l’Assemblée nationale a voté, le 26 octobre 2012, un amendement du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) validant la prise en charge à 100% de l’IVG pour toutes le femmes et le remboursement de la contraception pour les mineures de 15 à 18 ans.
Jusqu'à présent, seules les IVG pour les mineures étaient totalement prises en charge et remboursées entre 70% et 80% pour les majeures. Ce vote fait la fierté de la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui rappelle que la gratuité est « un enjeu important pour les femmes et les centres qui pratiquent l’IVG ». Ce remboursement devrait aider les femmes les plus défavorisées et celles qui « auront enfin la liberté de ne plus être dépendante financièrement de leur mari », explique le docteur Réda Si Salah, gynécologue à la maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis. « Dans ce département, des femmes arrivent chez nous entre 12 et 13 semaines de grossesse car elles n’avaient pas les moyens de faire tous les examens avant de venir », souligne-t-il.
Mais les spécialistes de la santé émettent une réserve. Selon eux, ce remboursement à 100% de l’IVG n’est valable que si l’ensemble des actes (examens biologiques, échographie…) lié à l’avortement sont pris en charge.
Rentabilité financière des hôpitaux
En dépit de cette nouvelle avancée, qui lève le frein financier, de nombreux obstacles entravent toujours l’accès à un avortement. En premier le lieu, le nombre décroissant de centres locaux d’avortement au profit de grands établissements hospitaliers où l’attente est encore plus longue. Dans certains départements, cinq semaines, au lieu des huit jours recommandés par la loi, peuvent s’écouler entre l’acte et la première consultation.
"Il y a un désinvestissement du privé parce que ce n’est pas rentable", explique Carine Favier, présidente du mouvement français pour le Planning familial.
La ministre de la Santé a annoncé lors de sa visite, jeudi 17 janvier, à la maternité des Lilas, que "le tarif qui sera payé [par la sécurité sociale] aux établissements de santé pratiquant l'IVG sera revalorisé de 50%" afin de les encourager, alors que cet acte est aujourd’hui peu valorisé."
Actuellement, en France, un avortement coûte jusqu’à 450 euros, selon la méthode utilisée et le lieu où il est réalisé. Depuis janvier 2013, l’IVG est donc remboursé à 100%. Mais les coûts s’envolent quand il s’agit de partir à l’étranger comme Marion (écouter son témoignage ci-dessous). "Avec la réorganisation du système de santé, poursuit Carine Favier, on perd les petites structures de proximité pour aller vers de plus grandes où on va faire beaucoup d’actes mais où il n’y aura pas forcément une prise en charge globale, un accompagnement sur la contraception après, une discussion pour faire progresser la situation et déceler un certains nombre de difficultés."
Un combat de tous les jours
Outre l’aspect financier, ce sont les convictions personnelles des médecins qui remettent aussi en cause l’avortement. Il y a ceux qui lors d’une échographie pour une IVG, par exemple, font écouter le cœur de fœtus à la mère. "Il y a une façon des médecins d’être réticents, d’essayer de persuader les filles en disant ‘vous êtes sûre de ne pas vouloir le garder ?’Autant de tentatives pour les déstabiliser, les raisonner", explique Carine Favier.
La ministre de la santé Marisol Touraine déplore l’augmentation des IGV médicamenteuse par rapport à l’intervention chirurgicale, et reconnaît que le choix est rarement donné aux femmes.
Et pour les médecins qui pratiquent l’avortement, c’est un combat de tous les jours dans les hôpitaux : "L’orthogénie, c’est le parent pauvre de la médecine, explique le gynécologue Réda Si Salah. Dans un centre, l’IVG passe après. Il faut se battre pour avoir un bloc opératoire."
Les préjugés qui avaient cours dans la France des années 1970 ont encore la vie dure dans le corps médical et ailleurs. Durant la campagne présidentielle de 2012, Marine le Pen évoquant "l’IVG de confort", prônait alors le déremboursement de cet acte.
Des mots qui ont révolté Marion et Claudine, deux générations de femmes unies dans la volonté de témoigner de la réalité d’un geste pas toujours facile à assumer, à livrer, à partager. Hier comme aujourd’hui, l’avortement n’est jamais un acte anodin. Regards croisés sur l’avortement entre passé et présent.
Témoignage de Claudine
Claudine Luscher, 64 ans, a dû avorter en 1971 alors que l’IVG n’avait pas encore été légalisée. Arrivée de Genève, elle s’installe à Paris dans les années 1970. En Suisse, elle prend déjà la pilule, mais en France, son gynécologue n’a pas voulu lui donner. Enceinte, elle consulte un médecin avorteur illégal, puis rencontre une faiseuse d’anges et se ravise pour finalement se faire avorter médicalement en Suisse. Elle raconte son parcours rocambolesque dans une France encore très conservatrice. Pour elle, il est toujours important de témoigner : "Pourvu que cela puisse servir à celles qui hésitent, ne savent pas, culpabilisent, subissent le poids de la société".
Témoignage de Marion
Marion (qui préfère rester anonyme) a 29 ans et vient de terminer ses études de DUT communication. Elle prend la pilule depuis qu’elle a 16 ans. Malgré des moyens de contraception, elle fait deux dénis de grossesse découverts à 16 semaines (en 2007 et 2010). Elle a dû avorter en Espagne, ayant dépassé le terme légal de 14 semaines d’aménorrhée pour une IVG en France. Avec l’aide de sa mère, elle parvient à payer les 2 500 euros nécessaires à son avortement là-bas. Marion a décidé de témoigner pour les autres filles, pour celles qui n’ont pas eu le choix. Avorter dans les années 2000 : elle raconte pour que les autres n’aient plus honte.
08.11.2012
La maternité des Lilas est l’un des rares établissements hospitaliers de France à avoir mis en place un accueil spécialisé pour les avortements.
Le ministère des Droits des femmes a annoncé début janvier 2013 la création prochaine d'un site internet et un numéro de téléphone officiels sur l'avortement afin de pallier le manque d'informations fiables disponibles sur internet actuellement.