Fil d'Ariane
Dans son premier long-métrage multi-primé, le réalisateur et scénariste guatémaltèque Jayro Bustamante porte à l’écran des personnages féminins forts comme Maria. Cette adolescente rebelle qui refuse le mariage arrangé par ses parents se retrouvera rattrapée par les traditions d’une société encore très patriarcale. Rencontre avec un réalisateur féministe.
La quiétude des magnifiques paysages guatémaltèques filmés par Jayro Bustamante cache la colère sourde de Maria contre la destinée que ses parents ont tracée pour elle. Cette adolescente est l’enfant unique d’un couple maya pauvre qui vit d’agriculture dans la montagne. A 17 ans, elle se retrouve mariée de force au fils d’un propriétaire terrien.
Tout se décide lors d’un déjeuner entre les deux familles. « Elle cuisine bien, plante bien les caféiers ». La mère de Maria vante les qualités domestiques de sa fille à son futur gendre Ignacio. « Et l’amour dans tout ça ? », lance la future belle-mère de l’adolescente. Un lourd silence s’installe autour de la table, des regards gênés sont échangés. « Mais bien sûr qu’elle l’aimera ! », s’exclame la mère de Maria.
Tout le monde rit de sa sortie autour de la table, comme si c’était évident qu’un couple uni par un mariage arrangé finira par s’aimer… Ou comme si la question, finalement, ne se posait pas ou ne devait pas être soulevée... trop taboue. Ce mariage, après tout, représente un échange d’intérêts pour les deux familles. Peu importent les sentiments.
Ce mariage arrangé va engendrer un sursaut de révolte chez Maria. Dans les plantations de caféiers, elle s’est entichée d’un garçon de son âge, El Pepe. Lui rêve de quitter la montagne pour rejoindre la ville. Il lui propose de l’accompagner, Maria hésite encore. C’est peut-être une phrase qu’El Pepe lui lance qui va la pousser à prendre son destin en main : « C’est à cause de gens comme toi que le pays reste bloqué ! » Sous-entendu : ton immobilisme comme celui des autres ne nous fera pas avancer.
Alors Maria décide d’agir et de choisir. Un soir, elle trouve le courage dans un peu d’alcool pour perdre sa virginité avec El Pepe complètement saoul. Alors que ce dernier lui promet de quitter la montagne avec elle, il s’en va sans la prévenir, la laissant, seule et enceinte. Tout d’abord vilipendée par sa mère, qui la pousse à avorter par diverses méthodes, elle finira par trouver en cette dernière un soutien.
Rejetée par son père au début, puis par la belle famille, Maria croit perdre son bébé après avoir été mordue par un serpent et, avec cet enfant, ses velléités rebelles s’évanouissent.
Mariage forcé, avortement, mythes autour des femmes, société patriarcale... Autant de thèmes, parfois tabous dans son pays, que le réalisateur et scénariste guatémaltèque aborde dans son long métrage. Parler des femmes était évident pour lui et la rencontre avec la « vraie » Maria l’a convaincue de réaliser ce film intitulé Ixcanul (le volcan). Lauréat de l’Ours d’argent au prestigieux festival de Berlin, il a également été plusieurs fois primés dans de multiples rencontres cinématographiques internationales.
Le cinéaste, au discours féministe, rend compte dans son film des paradoxes de la société guatémaltèque. Les femmes y tiennent des rôles forts dans la cellule familiale mais restent encore trop opprimées par le patriarcat. Comme le volcan omniprésent qui gronde au loin pendant tout le film sans jamais entrer en éruption, les femmes n’ont pas encore réussi à se libérer des traditions.
TV5MONDE : Pourquoi teniez-vous à parler des femmes dans votre premier long métrage ?
Jayro Bustamante : C’est absurde d’avoir une force féminine gaspillée dans le pays ! La femme doit mettre en place tellement de stratégies pour atteindre son but que toute cette force qu’elle perd, une société pourrait l'utiliser pour autre chose. Si on mêlait les femmes à toutes les décisions d’un pays on serait deux fois plus forts.
Je me suis toujours demandé pourquoi il fallait tenir les femmes…un peu enchaînées. L’histoire de Maria (future mère célibataire, ndlr) est très marquante dans un pays où il y a tellement de problèmes non résolus. Si vous ajoutez à cela qu’au Guatemala, il y a une majorité d’Indiens qui vivent sous une oppression terrible… Si vous êtes femme, pauvre et célibataire, ça devient un poids insoutenable. C’était ce sujet-là dans l’histoire de la vraie Maria que j’ai rencontrée qui m’a inspiré.
Vous y abordez aussi les tabous du mariage forcé et de l’avortement…
Le film n’est pas ethnographique. Je ne raconte pas l’histoire des Mayas mais je parle d’une femme, d’une famille, d’une société qui sont confrontés à ce type de problèmes. Le mariage forcé, ça n’arrive évidemment pas à tout le monde. Mais dans les situations si précaires dans lesquelles vivent mes personnages, il représente tout simplement une arme de plus pour s’en sortir. C’est un échange pour monter d’échelon. Quant au sujet de l’avortement, ce n’est pas non plus lié à une culture mais c’est une façon de résoudre le problème.
La façon dont vous dépeignez les femmes dans votre film, des personnages forts et parfois subversifs comme Maria, sont-ils révélateurs de la place des femmes au Guatemala ?
Pourquoi était-il important pour vous de porter à l’écran un personnage rebelle comme celui de Maria qui se retrouvera rattrapée par le destin ?
Quel a été l’accueil reçu par votre film au Guatemala ?
Les femmes ont adoré être dépeintes comme des femmes avec des désirs et une sexualité. Parce qu’elles en ont marre d’être cataloguées comme fille, mère, vendeuse sur les marchés ou bonne parce que c’est vraiment le rôle qu’elles jouent dans cette société métis.
Vous disiez récemment dans une autre interview que la culture cinématographique n’était pas encore très développée au Guatemala. Que souhaitez-vous donc apporter au cinéma de votre pays ?
Le Guatemala connaît une cinématographie émergente. L’école de cinéma existe à peine depuis 8 ans. J’ai dû partir étudier le cinéma en France.
C’est le cas des autres réalisateurs ou des autres personnes qui travaillent actuellement dans le cinéma. C’est tout petit, ce sont des projets menés par les réalisateurs dont chacun devient aussi producteur. Dans le cas d’Ixcanul, on a une place privilégiée parce que c’est le premier film qui a été en compétition dans un festival international aussi important que Berlin. Et c’est le premier film qui a remporté un prix si prestigieux (Ours d’argent, ndlr). On en a remporté 25 autres dans différents festivals internationaux. La presse internationale nous a énormément soutenus. C’était très important pour le pays.
Aujourd’hui, le film est considéré comme une fierté nationale. Je ne crois pas qu’un seul film puisse faire une différence. Mais je pense qu’Ixcanul a ouvert une porte qui je l’espère, et vraiment sans prétention, puisse être une porte par laquelle vont passer tous les autres films.