Mais Jacinda Ardern ne s’en tient pas aux démonstrations de solidarité. Elle a d'ores et déjà annoncé que la loi sur la possession d’armes en Nouvelle-Zélande allait changer.
Solidarité, proximité, empathie - les qualités qu'elle déploie dans l'onde de choc de la tragédie de Christchurch semblent alimenter une popularité qui ne se dément pas depuis qu’elle est au pouvoir.
Depuis son élection, en octobre 2017, sous son impulsion et celle de ses consoeurs au gouvernement, les femmes, en Nouvelle-Zélande, s'exposent, pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Elles vont de conquête en conquête. Ce n'est pas inédit dans ce pays du Pacifique, très prisé des jeunes occidentaux en mal de nature sauvage, qui fut pionnier des droits des femmes. Le gouvernement de Wellington fut le premier à accorder le bulletin de vote à ses citoyennes, en 1883 - à toutes les femmes du pays, y compris aux Maories (une attention aux peuples autochtones peu fréquente en ce 19ème siècle colonisateur...).
Première ministre, ministre, parturientes, accouchées
La Première ministre, jeune, travailliste, à la tête du "cabinet", comme on désigne le gouvernement à Wellignton, multiplie les signes et les mesures pour l'égalité des femmes, en particulier au travail. Déjà en se posant en exemple. Elle est la deuxième femme à la tête d'un exécutif à accoucher durant ses fonctions, à prendre son congé maternité et à revenir tranquillement aux manettes du pays quelques semaines après. Seule la Pakistanaise Benazir Bhutto l'avait précédée en 1990.

Una imagen que nunca olvidaremos. Carme Chacón, in memoriam pic.twitter.com/iODgNCHNqR
— Toño Fraguas (@antoniofraguas) 9 avril 2017
Mais à Wellington, les exploits des femmes se dissimulent aussi dans les détails. Julie Anne Genter, écologiste et ministre des Femmes a fait encore mieux que sa patronne : le jour j, elle est allée accoucher à la maternité à 1 km de son domicile... en vélo. "Mon partenaire et moi avons pédalé parce qu'il n'y avait pas assez de place dans la voiture", a-t-elle commenté sur les réseaux sociaux, en postant une photo d'elle avec son vélo. "Mais cela m'a également permis d'être d'aussi bonne humeur que possible (pour l'accouchement, ndlr) !"
Jacinda Ardern lui a aussitôt exprimé ses félicitations avec humour : "Très heureuse d'apprendre l'arrivée d'un nouveau membre pour le groupe de jeu du Parlement."
Congratulations @JulieAnneGenter ! So pleased to hear of the safe arrival of the newest addition to the parliamentry play group. Hope you enjoy those very special first few days.
— Jacinda Ardern (@jacindaardern) 21 août 2018
Congés payés pour violences conjugales
Plus sérieusement, depuis qu'elles sont en exercice, la travailliste et l'écologiste ont associé leurs forces pour améliorer les droits des Néo-Zélandaises. Le 25 juillet 2018, elles appuyaient le vote par le Parlement d'une loi créant un congé rémunéré spécifique pour les victimes de violences conjugales, une mesure destinée à les aider à échapper à leur domicile cauchemardesque : dix jours pour leur permettre d’avoir le temps d’assister à des audiences en justice, de déménager ou de trouver de nouvelles écoles pour leurs enfants.Paradoxalement, malgré son histoire de pionnière de l'égalité entre les sexes, la Nouvelle Zélande affiche un taux très élevé de violences conjugales : le taux d’homicide commis au sein de la famille y est plus de deux fois plus élevé qu’en Australie, au Canada ou en Grande-Bretagne. Avec cette loi, Wellington imite Manille : les Philippines avaient voté en 2004 ce congé de dix jours pour les victimes de violences conjugales.
Congés de deuil pour fausses couches
L'autre proposition de loi est venue de la députée travailliste Ginny Andersen : un congé de deuil payé de trois jours pour les femmes et leurs partenaires après une fausse couche (ou l'accouchement d'un mort né) sera bientôt examiné par le Parlement néo-zélandais. Un "sujet tabou" selon l'élue qui propose "un congé payé pour pleurer la perte d'un bébé - à n'importe quel stade de la grossesse". Selon le ministère de la Santé de Nouvelle-Zélande, les fausses couches sont "assez courantes" - une femme enceinte sur dix est concernée.Il faut cependant espérer que cette idée ne vienne pas donner des arguments aux adversaires du droit à l'avortement. Lesquels sont toujours virulents dans ce pays qui autorise l'IVG (depuis 1977) mais avec parcimonie : l'avortement peut être pratiqué jusqu'à 20 semaines de grossesse, mais il est en principe limité à cinq cas, comme nous l'explique lepetijournal.com : si mener à terme une grossesse met en danger la vie de la mère ; si la santé mentale de la mère est en danger ; en cas de malformation du foetus ; après un inceste, un crime sexuel ou certains facteurs sociaux comme l'âge. On imagine donc les pro-vie se régaler de cette possibilité institutionnalisée de faire le deuil d'un foetus même à peine conçu...
En 2017, Jacinda Ardern, alors porte-parole du Labour Party, avait refusé de s'exprimer sur l'extension demandée par beaucoup du droit à l'avortement, dont sa famille politique, qui exprimait la volonté de former une commission de révision d'un texte trop restrictif. Depuis sa nomination en tant que Première Ministre, elle soutient cependant la mise en place d'une commission en vue d'un nouveau projet de loi.
La Nouvelle-Zélande n'est pas le premier pays au monde à faire progresser la législation sur les congés pour fausse couche. En Inde, les femmes peuvent obtenir jusqu'à six semaines, mais comme beaucoup ne sont pas salariées "légales", elles y renoncent. Dans l'Ontario, au Canada, si une femme perd un bébé à partir de 17 semaines avant la date prévue pour l'accouchement, elle a droit à 17 semaines de congé de maternité, mais sans solde. Et au Royaume-Uni, une fausse couche avant la fin de la 24ème semaine de grossesse ne donne pas droit à un congé de deuil, mais un enfant mort-né après presque six mois de grossesse donnent droit à un congé de maternité et à la rémunération correspondante. A l'égal de celles qui mènent une grossesse à terme et sans accroc.
Maternité, immobilier, mais pas parité...
Au sommaire des dispositions impulsées par Jacinda Ardern, on notera encore celle-ci, d'inspiration sociale : il est désormais interdit aux étrangers, à quelques exceptions près, d’acheter des résidences. Le but affiché est de lutter contre la spéculation immobilière dans l’archipel, promesse de campagne de Jacinda Ardern, qui s’était engagée avant son élection à rendre l’immobilier plus abordable pour ses concitoyen.nes.Les prix de l'immobilier résidentiel auraient augmenté de 30 % en cinq ans, une hausse deux fois supérieure à la croissance des salaires, et même quatre fois plus forte à Auckland, la ville la plus peuplée du pays. Avec pour conséquence un taux de propriétaires au plus bas depuis soixante ans. Une mesure démagogue et dangereuse pour certains, et qui viserait d'abord les investisseurs chinois, mais pas les Australiens ou les Singapouriens qui bénéficient d'un régime spécial en Nouvelle-Zélande.
Certes, les ministres et la première d'entre elles mènent de front carrière et maternité. Mais les femmes de ce gouvernement ne sont que 11 sur 31. Assez loin de la parité et des efforts déployés un peu partout.
Pour avoir une idée des progrès accomplis en Nouvelle-Zélande vers la parité, on regardera, presque sans commentaire, les deux clichés ci-dessous, pris à 36 ans d'écart : autour de la Reine d'Angleterre, 100 % de messieurs en 1981 ; autour de la Gouverneure générale Patsy Reddy, en octobre 2017, ils représentent encore les deux tiers. En 2008, Helen Clark, travailliste et cheffe de gouvernement, elle aussi, comptait six femmes (elle inclue) dans un gouvernement de 25 ministres, soit moins du quart...

