Un an et demi après son arrivée au pouvoir, Jacinda Ardern est en première ligne pour faire face à la tragédie dans son pays meurtri par la tuerie de Christchurch. Réaction immédiate : appeler tous les Néo-Zélandais à rendre leurs armes et à ne pas prononcer le nom du terroriste. Retour sur le parcours de la troisième femme à occuper la fonction de Premier ministre en Nouvelle-Zélande, mais aussi l'une des plus jeunes personnes de tous les temps à se frotter à de telles responsabilités.
Au pouvoir depuis 18 mois, Jacinda Ardern doit faire face à l'un des actes terroristes les plus traumatisants jamais subis par un peuple :
le massacre de Christchurch où, le 15 mars 2019, 50 musulmans ont été tués dans des mosquées. Le jour-même, elle s'est coiffée d'un voile et est allée à la rencontre des survivants et des familles de victimes. Puis à Wellington, la capitale, elle a rejoint la communauté musulmane. "
Vous ne m'entendrez jamais prononcer son nom. C'est un terroriste. C'est un criminel. C'est un extrémiste. Mais quand je parlerai, il sera sans nom," a-t-elle déclaré.
Mais Jacinda Ardern ne s’en tient pas aux démonstrations de solidarité. Elle a d'ores et déjà annoncé que la loi sur la possession d’armes en Nouvelle-Zélande allait changer.
Solidarité, proximité, empathie - les qualités qu'elle déploie dans l'onde de choc de la tragédie de Christchurch semblent alimenter une popularité qui ne se dément pas depuis qu’elle est au pouvoir.
Depuis son élection, en octobre 2017, sous son impulsion et celle de ses consoeurs au gouvernement, les femmes, en Nouvelle-Zélande, s'exposent, pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Elles vont de conquête en conquête. Ce n'est pas inédit dans ce pays du Pacifique, très prisé des jeunes occidentaux en mal de nature sauvage, qui fut pionnier des droits des femmes. Le gouvernement de Wellington fut le premier à accorder le bulletin de vote à ses citoyennes, en 1883 - à toutes les femmes du pays, y compris aux Maories (une attention aux peuples autochtones peu fréquente en ce 19ème siècle colonisateur...).
Première ministre, ministre, parturientes, accouchées
La Première ministre, jeune, travailliste, à la tête du "cabinet", comme on désigne le gouvernement à Wellignton, multiplie les signes et les mesures pour l'égalité des femmes, en particulier au travail. Déjà en se posant en exemple. Elle est la deuxième femme à la tête d'un exécutif à accoucher durant ses fonctions, à prendre son congé maternité et à revenir tranquillement aux manettes du pays quelques semaines après. Seule la Pakistanaise Benazir Bhutto l'avait précédée en 1990.
Certes d'autres ministres, mais pas des "Premières", avaient fait parler d'elles en affichant leur grossesse et leur accouchement. En Espagne, on se souvient de Carme María Chacón Piqueras, la toute jeune ministre de la Défense socialiste en Espagne, enceinte de 7 mois alors qu'elle passait en revue deux rangées de soldats au garde-à-vous, en avril 2008, sur une base militaire d'Afghanistan. Une image qui avait choqué une partie des Espagnol.e.s avant de les émouvoir neuf ans plus tard quand sa mort (d'une malformation cardiaque) avait été annoncée au pays.
En France, Ségolène Royal, ministre de l'Environnement en 1992, puis la Garde des Sceaux Rachida Dati en 2008 avaient beaucoup agacé en s'abstenant de congé maternité avant l'accouchement, et en reprenant leur portefeuille quatre jours après l'accouchement pour la première, trois pour la deuxième... Quant aux Britanniques, ils suivent en direct les accouchements royaux, n'oublions pas qu'Elisabeth II, si elle est reine, est aussi cheffe d'Etat et même de plusieurs lointaines anciennes colonies en vertu des règles du Commonwealth.
Mais à Wellington, les exploits des femmes se dissimulent aussi dans les détails. Julie Anne Genter, écologiste et ministre des Femmes a fait encore mieux que sa patronne : le jour j, elle est allée accoucher à la maternité à 1 km de son domicile... en vélo.
"
Mon partenaire et moi avons pédalé parce qu'il n'y avait pas assez de place dans la voiture", a-t-elle commenté sur les réseaux sociaux, en postant une photo d'elle avec son vélo. "
Mais cela m'a également permis d'être d'aussi bonne humeur que possible (pour l'accouchement, ndlr) !"
Jacinda Ardern lui a aussitôt exprimé ses félicitations avec humour : "
Très heureuse d'apprendre l'arrivée d'un nouveau membre pour le groupe de jeu du Parlement."
Les deux jeunes femmes, 38 ans, ont cependant fait des choix différents pour l'après accouchement : retour immédiat au travail pour la Première ministre (qui cumule aussi les portefeuilles "des Arts, de la Culture et du patrimoine" ainsi que ceux de la "Réduction de la pauvreté des enfants" et "des services de renseignements") - mais elle avait pris ses six semaines prénatales ; trois mois de congé maternité pour la ministre des Femmes, exemplarité oblige sans doute...
Congés payés pour violences conjugales
Plus sérieusement, depuis qu'elles sont en exercice, la travailliste et l'écologiste ont associé leurs forces pour améliorer les droits des Néo-Zélandaises. Le 25 juillet 2018, elles appuyaient le vote par le Parlement d'
une loi créant un congé rémunéré spécifique pour les victimes de violences conjugales, une mesure destinée à les aider à échapper à leur domicile cauchemardesque : dix jours pour leur permettre d’avoir le temps d’assister à des audiences en justice, de déménager ou de trouver de nouvelles écoles pour leurs enfants.
Paradoxalement, malgré son histoire de pionnière de l'égalité entre les sexes, la Nouvelle Zélande affiche un taux très élevé de violences conjugales : le taux d’homicide commis au sein de la famille y est plus de deux fois plus élevé qu’en Australie, au Canada ou en Grande-Bretagne. Avec cette loi, Wellington imite Manille : les Philippines avaient voté en 2004 ce congé de dix jours pour les victimes de violences conjugales.
Congés de deuil pour fausses couches
L'autre proposition de loi est venue de la députée travailliste Ginny Andersen :
un congé de deuil payé de trois jours pour les femmes et leurs partenaires après une fausse couche (ou l'accouchement d'un mort né) sera bientôt examiné par le Parlement néo-zélandais. Un "
sujet tabou" selon l'élue qui propose "
un congé payé pour pleurer la perte d'un bébé - à n'importe quel stade de la grossesse". Selon le ministère de la Santé de Nouvelle-Zélande, les fausses couches sont "assez courantes" - une femme enceinte sur dix est concernée.
Il faut cependant espérer que cette idée ne vienne pas donner des arguments aux adversaires du droit à l'avortement. Lesquels sont toujours virulents dans ce pays qui autorise l'IVG (depuis 1977) mais avec parcimonie : l'avortement peut être pratiqué jusqu'à 20 semaines de grossesse, mais il est en principe limité à cinq cas, comme nous l'explique
lepetijournal.com : si mener à terme une grossesse met en danger la vie de la mère ; si la santé mentale de la mère est en danger ; en cas de malformation du foetus ; après un inceste, un crime sexuel ou certains facteurs sociaux comme l'âge. On imagine donc les pro-vie se régaler de cette possibilité institutionnalisée de faire le deuil d'un foetus même à peine conçu...
En 2017, Jacinda Ardern, alors porte-parole du Labour Party, avait refusé de s'exprimer sur l'extension demandée par beaucoup du droit à l'avortement, dont sa famille politique, qui exprimait la volonté de former une commission de révision d'un texte trop restrictif. Depuis sa nomination en tant que Première Ministre, elle soutient cependant la mise en place d'une commission en vue d'un nouveau projet de loi.
La Nouvelle-Zélande n'est pas le premier pays au monde à faire progresser la législation sur les congés pour fausse couche. En Inde, les femmes peuvent obtenir jusqu'à six semaines, mais comme beaucoup ne sont pas salariées "légales", elles y renoncent. Dans l'Ontario, au Canada, si une femme perd un bébé à partir de 17 semaines avant la date prévue pour l'accouchement, elle a droit à 17 semaines de congé de maternité, mais sans solde. Et au Royaume-Uni, une fausse couche avant la fin de la 24ème semaine de grossesse ne donne pas droit à un congé de deuil, mais un enfant mort-né après presque six mois de grossesse donnent droit à un congé de maternité et à la rémunération correspondante. A l'égal de celles qui mènent une grossesse à terme et sans accroc.
Maternité, immobilier, mais pas parité...
Au sommaire des dispositions impulsées par Jacinda Ardern, on notera encore celle-ci, d'inspiration sociale :
il est désormais interdit aux étrangers, à quelques exceptions près, d’acheter des résidences. Le but affiché est de lutter contre la spéculation immobilière dans l’archipel, promesse de campagne de Jacinda Ardern, qui s’était engagée avant son élection à rendre l’immobilier plus abordable pour ses concitoyen.nes.
Les prix de l'immobilier résidentiel auraient augmenté de 30 % en cinq ans, une hausse deux fois supérieure à la croissance des salaires, et même quatre fois plus forte à Auckland, la ville la plus peuplée du pays. Avec pour conséquence un taux de propriétaires au plus bas depuis soixante ans. Une mesure démagogue et dangereuse pour certains, et qui viserait d'abord les investisseurs chinois, mais pas les Australiens ou les Singapouriens qui bénéficient d'un régime spécial en Nouvelle-Zélande.
Certes, les ministres et la première d'entre elles mènent de front carrière et maternité. Mais les femmes de ce gouvernement ne sont que 11 sur 31. Assez loin de la parité et des efforts déployés un peu partout.
Pour avoir une idée des progrès accomplis en Nouvelle-Zélande vers la parité, on regardera, presque sans commentaire, les deux clichés ci-dessous, pris à 36 ans d'écart : autour de la Reine d'Angleterre, 100 % de messieurs en 1981 ; autour de la Gouverneure générale Patsy Reddy, en octobre 2017, ils représentent encore les deux tiers. En 2008, Helen Clark, travailliste et cheffe de gouvernement, elle aussi, comptait six femmes (elle inclue) dans un gouvernement de 25 ministres, soit moins du quart...
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