Japon : baisse du yen, tourisme et prostitution

En 2024, le Japon a attiré un nombre record de 36,8 millions de touristes, notamment grâce à la faiblesse du yen. Une tendance qui, à Tokyo, se traduit par la montée d'une industrie discrète et en pleine expansion : le tourisme sexuel.

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AP Photo/Kiichiro Sato

Quartier de Kabukicho, dans le district de divertissement de Shinjuku à Tokyo, le 31 juillet 2024.

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À Kabukicho, un quartier animé de l'ouest de Tokyo, une foule de touristes se pressent pour photographier Godzilla, monstre perché sur le toit d'un cinéma, qui gronde et crache de la fumée à intervalles réguliers. Mais dans l'ombre de cette attraction, une économie parallèle du divertissement gagne du terrain. Sous la lumière froide des écrans de téléphone, des dizaines de jeunes femmes attendent, immobiles, autour du parc Okubo, devenu le point névralgique de la prostitution à Tokyo.

Il y a une décennie, il n'était pas très courant pour des femmes japonaises de se prostituer dans la rue. Arata Sakamoto

"Il y a une décennie, il n'était pas très courant pour des femmes japonaises de se prostituer dans la rue", relève Arata Sakamoto, à la tête de l'organisation à but non lucratif Rescue Hub, qui leur offre de l'aide. Cependant, depuis la pandémie de Covid-19 notamment, "des jeunes femmes ont commencé à vendre des services sexuels à bas prix. Je pense que c'est une des raisons pour laquelle le nombre de clients étrangers a augmenté", ajoute-t-il.

Sur les réseaux, le message passe

Sur les réseaux sociaux comme TikTok ou la plateforme chinoise de vidéos Bilibili, des individus filment ces travailleuses du sexe, à leur insu et parfois en direct, pour des vidéos qui cumulent parfois des centaines de milliers de vues. Ce phénomène a transformé le parc Okubo en une "véritable attraction touristique", confie celle qui se fait appeler "Ria", une travailleuse du sexe de 28 ans.

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Selon la jeune femme, dont la moitié des clients seraient des touristes, le quartier attire davantage d'étrangers ces derniers mois. "Comme ils ne peuvent pas communiquer en japonais, ils écrivent 'c'est combien ?' sur leur téléphone" à l'aide d'un traducteur automatique, témoigne Ria, qui, comme les autres travailleuses du sexe, est à son compte.

Toujours moins cher, toujours plus risqué

Le prix moyen d'une passe se situe entre 92 et 184 euros (15 000 et 30 000 yens), mais ces tarifs diminuent "à cause du coût de la vie et de la baisse du pouvoir d'achat", explique-t-elle. A ses côtés dans le centre d'accueil de l'association Rescue Hub, Azu, 19 ans, acquiesce : "Dans le meilleur des cas, j'enchaîne un client par heure pour 20 000 yens (125 euros environ) avec préservatif, parfois un peu plus".

Ce soir-là, une dizaine de femmes se reposent dans cet appartement à la décoration cosy, avec de quoi se restaurer et charger leurs téléphones. Un moment de répit dans leur travail, où elles peuvent être confrontées à la violence dans le huis clos de la chambre d'hôtel.

Certaines femmes sont victimes de maltraitances, ou leurs actes peuvent être filmés sans leur consentement. Il arrive également qu'elles ne soient pas rémunérées pour leurs services ou que leur argent leur soit volé.Arata Sakamoto

"Certaines femmes sont victimes de maltraitances, ou leurs actes peuvent être filmés sans leur consentement. Il arrive également qu'elles ne soient pas rémunérées pour leurs services ou que leur argent leur soit volé", dit Arata Sakamoto. Il souligne également "les risques pour la santé physique et mentale, la propagation des maladies sexuellement transmissibles (MST), l'augmentation des grossesses non désirées, des avortements, des naissances non désirées".

C'est devenu plus sûr de choisir des clients étrangers plutôt que japonais car, au moins, on est certaines que ce ne sont pas des policiers en civil. Ria

Depuis décembre, la police a renforcé ses patrouilles, poussant les travailleuses du sexe à se disperser dans le quartier. La police de Tokyo confirme la hausse de la prostitution, sans donner plus de détails. "C'est devenu plus sûr de choisir des clients étrangers plutôt que japonais car, au moins, on est certaines que ce ne sont pas des policiers en civil", note Ria, en buvant son thé.

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Clients non pénalisés, banalisation de la prostitution

Au Japon, seuls les services sexuels "avec pénétration" sont prohibés. Les travailleuses du sexe encourent jusqu'à six mois de prison et une amende pouvant aller jusqu'à 1 800 euros (300 000 yens) en cas de récidive. Bien qu'il soit interdit par la loi d'en être un, aucune sanction n'est prévue pour les clients.

Selon Arata Sakamoto, "l'instauration de conséquences légales pour les clients" permettrait de dissuader la demande, y compris internationale. "Il faudrait aussi que les autorités mènent des campagnes de sensibilisation dans plusieurs langues, dans les aéroports, les hôtels et les zones touristiques", suggère-t-il. Arata Sakamoto - qui a travaillé plusieurs années au Honduras, en Russie mais aussi en Chine - craint que le développement du tourisme sexuel au Japon conduise à "la banalisation de la prostitution en dépit de son caractère illégal."

En février, sept personnes, dont un Japonais qui dirigeait un établissement de "massages sexuels" légal à Kabukicho, ont été arrêtées, soupçonnées de gérer une maison close ciblant des touristes étrangers.

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