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Au Japon, les historiens font monter la pression. Avec une belle unanimité, ils exhortent le Premier ministre Shinzo Abe à reconnaître la culpabilité japonaise dans l’exploitation des 200 000 femmes asiatiques enrôlées de force dans les bordels de l’armée impériale. Une prise de position
Cette fois, les historiens japonais ne ce sont pas embarrassés de métaphores. Ce lundi 25 mai, ils ont écrit au gouvernement du Premier ministre Shinzo Abe : "Comme des études historiques récentes l’ont démontré, les victimes ont été soumises non seulement à un enrôlement de force, mais également à des conditions d’exploitation sexuelle qui ont violé leurs droits humains fondamentaux."
La suite est plus cinglante : "En continuant à adopter une attitude irresponsable consistant à nier l’existence de l’esclavage sexuel au sein de l’armée japonaise pendant la guerre, certains politiciens et une partie des médias font passer le message au reste du monde que le Japon ne respecte pas les droits de l’Homme".
Et cette fois, impossible pour le gouvernement de Shinzo Abe de ne pas entendre. Le communiqué a été signé par seize organisations académiques incluant quatre des plus importantes associations universitaires du pays, fortes chacune de plus de 2000 membres.
Au total, 13.800 historiens ont donc signé cette déclaration. "Elle représente la position générale de tous les historiens du Japon " résume Toru Kubo, président de la Société historique des sciences du Japon.
Plus jeunes elles sont, meilleure est la qualité
Tous exhortent le Premier Ministre à reconnaître la responsabilité du Japon dans l’exploitation des "femmes de réconfort"- terrible euphémisme japonais - c'est à dire à reconnaître sa pleine responsabilité concernant le sort de ces 200 000 femmes, souvent des adolescentes, enrôlées de force dans les bordels de l’armée impériale nippone. Elles étaient Coréennes, Birmanes, Indonésiennes, Chinoises,
Singapouriennes et Philippines.
La machine, elle, était parfaitement rodée.
Aso Tetsuo, médecin militaire japonais, avait en charge la bonne gestion de ces bordels à Shanghai. Sans ciller, il écrit dans un rapport qu'il transmet alors à sa hiérarchie : "C'est un contraste intéressant de voir parmi les Coréennes beaucoup de jeunes débutantes sans expérience... plus jeunes elles sont, meilleure est la qualité. Les femmes trop usées doivent être exclues sans scrupules. Quel que soit leur état de santé, elles représentent un cadeau bien douteux à offrir aux soldats de l'armée impériale."
La publication de ce communiqué au vitriol ne doit rien au hasard.
Shinzo Abe doit célébrer le 70e anniversaire de la fin (côté japonais) de la seconde guerre mondiale le 15 août prochain et, misant sur les célébrations à venir, la société civile accentue la pression pour que les autorités reconnaissent les drames engendrés par la situation coloniale d'alors, quand la violence sexuelle était collectivement organisée.
Il y va de la dignité de ces femmes dont le destin fut broyé par cette machine à opprimer. Celles qui ne moururent pas des suites de ces violences furent rejetés par leurs familles, voisins et amis, des malheureuses emmurées vivantes dans un mutisme fait de honte et de culpabilité. Ignorées, mises à l'écart, stigmatisées pour avoir couché avec l'ennemi.
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- Quand le pouvoir japonais salit la mémoire des femmes de réconfort
L'affaire des "femmes de réconfort" est un caillou dans la chaussure du pouvoir japonais depuis la révélation de ce scandale, en 1993, par Yoshimi Yoshiaki, un chercheur japonais.
Pour Shinzo Abe, difficile, sinon impossible, de poursuivre son chemin diplomatique sans qu'on lui rappelle ce passé qui ne passe décidément pas.
Le 23 avril dernier à Washington, lors d'une conférence de presse avec Barack Obama à la Maison Blanche, évoquant le sort de ces malheureuses, Shinzo Abe s'était dit "profondément peiné" par le sort de ces femmes "qui ont subi des souffrances incommensurables en tant que victimes du trafic d'êtres humains. (...) Le Japon a déjà pris différentes initiatives pour apporter une aide réaliste aux "femmes de réconfort".
Une compassion, certes, mais aucune excuse officielle. Et la présence deux jours plus tard, de Lee Yong-soo, 86 ans, une ancienne esclave sexuelle coréenne, devant le Congrès américain venue pour assister au discours du Premier ministre japonais ne semblait pas l'avoir ému plus que cela.
Il y a pourtant urgence à reconnaître ces crimes de guerre.
Park Geun-Hye, la Présidente de Corée du Sud déclarait : "Cette année, deux femmes de réconfort sont décédées sans avoir pu guérir de leurs cicatrices qui ont blessé profondément leur vie. Nous avons maintenant seulement 53 survivantes âgées en moyenne de 90 ans. Le temps pour rétablir leur honneur nous est compté."
Toru Kubo, le président de la Société historique des sciences du Japon, a lancé comme un avertissement après la divulgation de ce communiqué historique : "Les politiciens et les autres ne devraient pas parler ou de se comporter de façon irresponsable, sans tenir compte désormais de faits confirmés par les historiens".
A bon entendeur ?