Fil d'Ariane
Javier Milei va-t-il raboter à la tronçonneuse les droits des Argentines ? C'est en tout cas ce qu'a promis le nouveau président élu en Argentine, leader d'extrême droite populiste libertarien. Le droit à l'avortement, et plus largement les droits des femmes, de la communauté LGBT, tout comme l’éducation sexuelle à l’école, sont directement menacés.
Javier Milei, candidat de l'ultra-droite argentine à la présidentielle du 22 octobre, va-t-il "tronçonner" les droits des femmes, comme il veut le faire avec les services publics dans son plan "tronçonneuse" ? Fermement opposé à l'IVG, il se dit prêt à revenir sur la loi qui légalise l'avortement en Argentine depuis 2020. (Ici durant la campagne à Rio Plata, le 12 septembre 2023).
"Ce n'est pas un droit acquis". À 52 ans, Javier Milei affiche la couleur, et celle-ci ne présente aucune nuance de vert (la couleur des militants pro-avortement, ndlr). Il l'a martelé tout au long de sa campagne, s'il arrive au pouvoir, le candidat de l'ultradroite à la présidentielle argentine a bien l'intention d’interdire à nouveau l’IVG. Il a déclaré qu'il "organiserait un plébiscite" et que, si le non à l'avortement l'emportait, alors il "supprimerait la loi". Les urnes ont parlé : le dimanche 19 novembre 2023, Javier Milei est devenu le nouveau chef de l'Etat argentin, élu à plus de 56% des voix.
Ses intentions ont ravivé le débat autour du droit à l'avortement, suscitant l’inquiétude des mouvements féministes qui, après des années de lutte acharnée, ont obtenu ce droit lors d’un vote historique en décembre 2020. Une victoire qui représente une avancée significative pour les droits des femmes sur le continent latino-américain et a fait de la "vague verte" le symbole du mouvement pro-choix en Argentine. Aujourd’hui, la bataille risque de reprendre en raison des déclarations de cet homme politique sulfureux.
Militantes du droit à l'avortement, habillées en personnages de la série télévisée La servance écarlate, protestent contre l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême des États-Unis, à Buenos Aires, Argentine, le 30 juin 2022.
Javier Milei parle sans filtre. Ses multiples dérapages sur les réseaux sociaux et les plateaux télés sont sa marque de fabrique.
Connu pour ses positions politiques radicales et sa réthorique provocatrice, il s’est exprimé sur le droit des femmes à avorter. Lors d’une interview télévisée, le 15 août 2023, Javier Milei n'hésite pas à disqualifier le vote du Congrès argentin légalisant l'IVG, un texte qui, selon lui, " n'a pas été voté de manière équitable en raison de la faible qualité morale des hommes politiques argentins".
Lorsqu'on part d'un principe moral erroné, le résultat est immonde – comment peut-on considérer comme un droit acquis le fait de pouvoir tuer d'autres êtres humains ? Javier Milei
Lorsqu'on part d'un principe moral erroné, le résultat est immonde – comment peut-on considérer comme un droit acquis le fait de pouvoir tuer d'autres êtres humains ? En tant que libéral, je crois au droit illimité à la vie d'autrui, fondé sur la défense de la vie, de la liberté et de la propriété. Je défends la vie qui commence dès la conception", ajoute-t-il.
El Loco (le fou), ainsi l'appelait-on au lycée en raison de son humeur agressive. Des décennies plus tard, ces mêmes excès ont fait de lui l'économiste préféré de la télévision.
Dans mon gouvernement, il n'y aura pas de marxisme culturel. Et le ministère de la Femme, je l’éliminerai. Je ne m'excuserai pas d'avoir un pénis. Je n'ai pas à avoir honte d'être un homme blanc, blond, aux yeux bleu clair. Javier Milei, candidat à la présidentielle argentine
Tout au long de sa campagne, celui qui aujourd'hui a remporté la Présidentielle, a cristallisé le débat à coups de phrases choc. "Dans mon gouvernement, il n'y aura pas de marxisme culturel. Et le ministère de la Femme, je l’éliminerai. Je ne m'excuserai pas d'avoir un pénis. Je n'ai pas à avoir honte d'être un homme blanc, blond, aux yeux bleu clair", déclarait-il lors d’une présentation au salon du livre en mai 2022.
Ses affirmations ont fortement retenti fortement dans l’opinion publique : Javier Milei est le symbole d'un vote de colère, de rejet et d'indignation, un ras-le-bol généralisé dans une société accablée.
Le ciel risque de s'assombrir pour les droits des Argentines. Javier Milei, qui admire Donald Trump et s'est fait un nom en criant contre la "caste politique" argentine à la télévision, a remporté avec 56% des voix l'élection présidentielle.
Sa popularité s’appuie sur la déception suscitée par les deux forces politiques traditionnelles qui se sont succédé ces 20 dernières années, le péronisme-centre gauche et la droite, avec un bilan économique fatal menant à une dégradation des conditions de vie des Argentins. Il se positionne en "Messie", habité par la "mission divine de devenir président". Devenu "influenceur", il cartonne chez les jeunes, avec plus d’un million d'abonnés sur son compte TIK TOK, devenu sa tribune médiatique.
Pour Noelia Noya, sociologue argentine, doctorante à EHESS, "aucune des deux grandes forces qui ont organisé le système politique argentin après 2001 n'a été capable de s'attaquer à certains des problèmes centraux de ces dernières années dans le domaine économique. Le principal étant, sans aucun doute, l'inflation".
Ce contexte, un taux d’inflation de 12,4% ces derniers mois, répercussion d’une dévaluation et le pire indice mensuel depuis trente-deux ans, met les gens à l’épreuve et "a fait naître l'idée qu'"il ne peut y avoir de pire scénario que celui que nous avons" et que "je n'ai pas grand-chose à perdre". Cela induit ceux qui votent pour Milei à "minimiser" d'autres propositions. "Tout son électorat n'est pas d'accord avec tout ce qu'il dit, mais ces conditions sont probablement secondaires par rapport à la question principale, qui est de résoudre le problème économique", analyse-t-elle.
L'influence de Javier Milei a électrisé le débat sur des questions sociétales cruciales. Par exemple, selon "ses idées libertaires", ce que l’on fait avec son corps participe du libre-arbitre de chacun, et c’est là que, pour la sociologue argentine, sa position contre l'avortement est étonnante : "car on pourrait intuitivement penser qu'un libertaire radical serait favorable à ce que les femmes prennent leurs décisions concernant leur propre corps, au même titre qu’il s'est ouvertement déclaré en faveur de la vente libre d'organes".
Malgré le tollé de réactions et d'indignations, Javier Milei a su séduire, tout en polarisant et en nourrissant les contradictions au sein de la jeunesse, essentiellement dans le camp masculin, antiprogressiste et antiféministe. "Bien qu’il ait réussi à se positionner comme un homme politique populaire, il y a différents noyaux durs où l'on peut identifier certains groupes d'hommes et ceux qui ont une tendance réactionnaire. On sait que son électorat est plus masculin que féminin", affirme Noelia Noya.
Les femmes sont nettement minoritaires parmi ses partisans. Les raisons sont à chercher dans son discours, qui nie les inégalités et les violences de genre. Il affirme que le "plafond de verre" n'existe pas, que les hommes et les femmes ont accès aux mêmes emplois et sont payés de la même manière. Pour rappel, selon les chiffres officiels, l'écart salarial atteint 27,7 % ; les femmes doivent travailler 8 jours et 10 heures de plus pour gagner la même chose en un mois et représentent 64 % des secteurs à faible revenu. Seuls trois postes de direction sur dix sont occupés par des femmes.
Face au discours de Javier Milei, durant la campagne, le mouvement NI UNA MENOS s'est mobilisé. Des femmes avec des enfants se sont rassemblées dans la rue, debout, avec comme mot d’ordre : "ne pas permettre que les droits" obtenus soient retirés, et appelant à "une alerte sociale".
Si les opposants à Javier Milei ne peuvent cacher leur grande inquiétude, ils cherchent une stratégie politique face à cette menace conservatrice et son cortège d’idées rancies. Avec son intention de fermer le ministère des Femmes, du Genre et de la Diversité, le nouveau président élu a lancé "un message politique clair", selon lequel le militantisme féministe sera persécuté, et avec lui le risque de reculer sur plusieurs terrains, non seulement le droit à l'avortement, mais aussi le salaire universel, la reconnaissance du travail communautaire, la reconnaissance des aidants.
Ses déclarations sur le droit à l'avortement et les droits des femmes soulèvent des inquiétudes légitimes quant à leur impact sur la société. Si ses opinions sont adoptées par une partie importante de la population, les législateurs risquent d'être poussés à revenir sur la loi actuelle ou à la modifier. En Argentine, 96 664 grossesses ont été interrompues dans les hôpitaux publics en 2022, soit une augmentation de 32% par rapport à 2021, selon un rapport du Centre d'étude de l'État et de la société (CEDES) publié en juin 2023.
En miroir de la mobilisation des femmes contre Donald Trump et Jair Bolsonaro, respectivement aux États-Unis et au Brésil, deux anciens présidents d'extrême droite auxquels Javier Milei s'identifie, les organisations féministes argentines lui ont laissé un avertissement : "Nous sommes en alerte collective". La vague verte, plus vive que jamais, appelle à l'unité, non pas pour revendiquer de nouveaux droits, mais pour défendre ceux qui sont déjà acquis.
Sara Rivas tient une affiche montrant l'image du candidat à la présidence Javier Milei et un message en espagnol : "Les fascistes brûlent dans la chaleur du combat féministe", lors d'une marche marquant la Journée internationale du droit à l'avortement sécurisé, à Buenos Aires, Argentine, le 28 septembre 2023.
Des milliers de personnes convergent vers le Congrès lors de la Journée internationale du droit à l’avortement à Buenos Aires, en Argentine, le jeudi 28 septembre 2023.
À lire aussi dans Terriennes :