"Je pense que je n'en aurai pas", ou le deuil de la maternité

C'est un roman graphique émouvant sur le renoncement à la maternité, par choix ou par circonstances. Je pense que je n'en aurai pas est une autofiction de l'autrice et dessinatrice québécoise Catherine Gauthier. Entretien.

 

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Je pense que je n'en aurai pas

Détail de la couverture du roman graphique "Je pense que je n'en aurai pas", par Catherine Gauthier, paru chez Éditions XYZ en septembre 2023.

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Peut-on être femme, se sentir femme sans avoir d'enfant ? Sans vouloir d'enfant ou en ayant dû renoncer à en avoir. La dessinatrice et scénariste québécoise Catherine Gauthier s'interroge sur la maternité dans une roman graphique très personnel, une autofiction émouvante parue aux Editions Equateurs.

J'existe, je suis une femme, je suis une citoyenne à part entière, même sans enfant. Catherine Gauthier

Catherine Gauthier était l'invitée du Journal international de TV5MONDE :

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Entretien avec Catherine Gauthier

TV5MONDE : "J'ai 37 ans, j'ai 37 ans et je pense que je n'aurai pas d'enfant. Je n'ai pas dit que je n'en veux pas, j'ai dit que je n'en aurai pas." Pourquoi, à 37 ans, vous posez-vous cette question, qui introduit votre roman ? 

Catherine Gauthier : 37 ans a toujours été ma date limite. Ma mère m'a eue à 37 ans, donc psychologiquement, c'était la dernière date qui me semblait possible pour avoir des enfants avant la quarantaine. Et puis là, à 37 ans, j'ai réalisé que la maternité allait probablement me passer sous le nez.

On était en pleine pandémie, j'étais célibataire. Je réalisais que cela n'allait peut-être pas arriver. C'est ce manque-là, ce deuil, que j'ai voulu explorer avec un roman graphique.

Pourquoi une femme qui n'a pas d'enfant est-elle encore mal vue dans la société ? Que ressentez-vous lorsque vous entendez dire que c'est "l'espoir d'un monde meilleur, donner un sens à la vie" ? 

Oui, on parle beaucoup des familles. Donc dès que l'on n'a pas d'enfant, on déroge à la norme. C'est pour ça que l'on dérange un peu, qu'on bouscule, parce qu'on est à l'extérieur de ce moule auquel la majorité se conforme. Or ça ne devrait pas être un tabou, ça ne devrait pas déranger. C'est simplement un chemin que l'on prend plutôt que l'autre.

Planche Je crois que je n'en aurai pa

Extrait de Je crois que je n'en aurai pas.

DR

Votre récit est très personnel, à la fois mélancolique et introspectif. "Peut-on être femme sans avoir d'enfant ?" écrivez-vous. Partager votre expérience vous a-t-il libérée d'un poids, d'une culpabilité vis-à-vis de votre famille ? 

Oui, ça a fait l'effet d'une petite thérapie personnelle. Je pense que ça m'a permis justement de faire mon deuil, d'exorciser certaines choses, de mettre au point aussi le fait que je suis importante, que j'existe, je suis une femme, je suis une citoyenne à part entière, même sans enfant. 

Une femme peut être fière d'elle en dehors de la maternité. "Je suis une artiste, une collègue, une amie", c'est votre message ? 

Oui, il ne faut pas voir ça comme un échec, même si c'est quelque chose qu'on aurait voulu. Tous les chemins sont différents. Il y a tellement d'autres moyens de s'épanouir qu'il faut, non pas s'apitoyer sur notre sort ou plutôt vivre ça comme une douleur, mais voir ça comme un autre monde de possibilités.

Dans votre livre, il y a aussi d'autres témoignages intimes de cinq femmes au parcours et aux expériences différentes. Parmi elles, Monique qui confie "Ca reste une douleur". Pourquoi ont-elles accepté de raconter leur histoire ? 

Pour moi, il était important de montrer dans le récit les diverses raisons pour lesquelles une femme n'a pas d'enfant alors que ce n'est pas nécessairement son choix. J'ai demandé à cinq femmes de mon entourage, avec un peu d'hésitation, car je ne savais pas si elles voudraient se confier. Finalement, elles ont toutes accepté, en leur propre nom.

Personne ne leur a jamais demandé la raison pour laquelle elles n'ont pas eu d'enfants. Ça leur a fait un bien fou de partager leur histoire. Catherine Gauthier

Elles avaient envie de se confier, car je pense que personne ne leur a jamais demandé la raison pour laquelle elles n'ont pas eu d'enfants. Ça leur a fait un bien fou de partager leur histoire. 

Vous dessinez, vous écrivez aussi vos textes. Comment avez-vous travaillé et comment conciliez-vous les deux ?

J'ai un parcours en arts visuels, donc le dessin a toujours fait partie de ma vie. Le roman graphique me permet d'intégrer l'écriture à tout ça. Je pense que les deux, alliés, font une œuvre complète. Je suis fan de bandes dessinées et de romans graphiques. Je trouve que c'est un merveilleux médium pour raconter une histoire. 

La jeune femme que vous avez dessinée n'est pas vous. Pour quelles raisons ? 

Ça me permettait d'établir une certaine distance. Choisir un modèle me permettait de la mettre en scène sans gêne, sans tabou de ma part, sans toucher à mon rapport au corps. Aussi, mon dessin est hyper réaliste, et je ne me voyais pas passer des heures et des heures à me dessiner.

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Votre ouvrage est sorti en 2023 au Québec aux éditions XYZ. En 2024, il a reçu le prix de la critique ACBD de la bande dessinée québécoise. Vous attendiez-vous à un tel succès? 

Non, vraiment pas. L'accueil avait été super au Québec, malgré un sujet somme toute sensible. Je suis en ce moment en pleine promotion en France, avec les éditions des Équateurs. C'est merveilleux, en fait. 

J'ai beaucoup de retours. J'ai rencontré des lectrices, et beaucoup de femmes m'écrivent aussi pour me remercier, pour dire que ça les a touchées. Je pense qu'on est beaucoup de femmes en ce moment qui sont dans la même situation, à qui la maternité passe tout simplement sous le nez. Je pense que ça fait du bien aux femmes d'être entendues.

 

Vous avez écrit un premier roman graphique, Petit carnet de solitude, qui abordait la question de la rupture. Encore un thème difficile, et aussi une autofiction. 

Pour l'instant, l'autofiction est quelque chose qui me permet de m'exprimer à travers le texte, à travers le dessin. Donc, c'est une lignée que je vais continuer pour le futur aussi. 

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