Fil d'Ariane
Pionnière du barreau en France, Jeanne Chauvin est longtemps restée méconnue du grand public malgré l’importance de son parcours et de ses combats pour l’émancipation des femmes. Pour remédier à cet oubli, les autrices Aurélie Chaney et Djoïna Amrani ont décidé de lui consacrer une riche et passionnante biographie. Entretien.
Pionnière parmi les pionnières, Jeanne Chauvin, défenseure du statut des femmes, a été la première femme à plaider dans un tribunal en France.
Plus qu'un parcours de combattante. Jeanne Chauvin s’est battue corps et âme pour faire des études de droit et devenir avocate malgré les moqueries et scandales nés suite à sa détermination.
Fille d’un notaire, orpheline dès l’âge de seize ans, elle obtient deux baccalauréats, en Lettres et en Sciences, et deux licences, en Philosophie et en Droit en 1890. Docteur en droit deux ans plus tard, elle devient la première femme de France à réussir cet examen.
Son engagement féministe débute dès son parcours universitaire. Son doctorat est consacré à l’Étude historique des professions accessibles aux femmes. Pour elle, comme nous l'apprend le site grandsavocats.com, "l’influence de la Bible et de la religion catholique ont accru les inégalités juridiques entre hommes et femmes". L’égalité pour la femme à la fois dans le domaine de l’éducation que dans l’accession aux professions privées et publiques sera son bâton de pélerin.e.
Jeanne Chauvin, née à Jargeau dans le département français du Loiret le 22 avril 1862 et morte le 27 septembre 1926 à Provins dans le département français de Seine-et-Marne.
Elle enseignera dans plusieurs lycées parisiens pour jeunes filles, et professeur de droit elle incitera ces dernières à des carrières judiciaires.
Lorsqu'elle se présente à la Cour d’appel de Paris pour prêter serment en tant qu’avocate, elle fait face à un refus. La loi n’autorise alors pas les femmes à exercer la profession d’avocat, exclusivement masculine. Finalement, la loi de 1900 autorise enfin les femmes à plaider. Jeanne Chauvin prête serment en 1907, elle est la deuxième femme à le faire après Olga Petit, mais devient première avocate de France à tenir une plaidoirie.
Son histoire a été pendant plusieurs décennies méconnue du grand public jusqu’aux travaux de réhabilitation entrepris par de jeunes journalistes et autrices, dont Aurélie Chaney et Djoïna Amrani, qui consacrent à la célèbre avocate une biographie très complète et agréable à lire.
Ainsi dans leur roman graphique intitulé Jeanne Chauvin, la plaidoirie dans le sang (Editions ), elles donnent à voir le portrait d’une femme forte, courageuse, dotée d’une grande lucidité et d’une belle érudition. Une femme qui voyait dans les études et dans le travail la clé pour être libre dans une société en pleine mutation économique. Ce portrait de Jeanne Chauvin est aussi celui de nombreuses militantes pour les droits des femmes. Anonymes comme célèbres, elles furent effectivement plusieurs à s’intéresser à « l’affaire Jeanne Chauvin » et à lui apporter soutien et encouragements.
Outre la linéarité du récit qui permet à chaque personne de s’approprier facilement le texte, la réussite du livre d'Aurélie Chaney et de Djoïna Amrani est liée notamment à leurs choix esthétiques : ces douces aquarelles et extraits d’articles de presse et de discours nous font habilement traverser le temps pour assister aux différents événements.
Désigneuse de mode et dessinatrice française installée à Londres, Djoïna Amrani est l’une des deux co-autrices de ce livre publié avec Aurélie Chaney.
Désigneuse de mode et dessinatrice française installée à Londres, Djoïna Amrani a co-écrit Jeanne Chauvin, la plaidoirie dans le sang (Editions Marabout) avec Aurélie Chanel .
Terriennes : Vous avez récemment publié aux éditions Marabout une bande dessinée très instructive sur Jeanne Chauvin, pionnière du barreau en France. Comment ce livre est-il né ?
Djoïna Amrani : Aurélie Chaney, avec qui j’avais déjà travaillé sur une précédente bande dessinée, m’a contactée un jour me proposant de travailler sur le portrait de Jeanne Chauvin. J’ignorai son existence à l’époque mais lorsqu’Aurélie m’en a parlé, j’ai été très intéressée. J’ai trouvé important de parler d’elle et de ce qu’elle a fait pour les femmes et la cause féministe. Malgré un parcours universitaire excellent, Jeanne Chauvin a eu énormément de difficultés à prêter serment et à exercer sa profession.
Comment analysez-vous cela ?
Djoïna Amrani : C’est malheureusement souvent le cas dans une société patriarcale et un milieu uniquement masculin comme l’était le droit à l’époque, il était difficile pour une femme de percer et de trouver sa place, surtout lorsqu’on était une pionnière comme Jeanne. Son parcours universitaire brillant prouve bien qu’elle n’a eu de difficultés pour exercer le droit que parce qu’elle était une femme, et que nombre d’hommes n’étaient ni prêts ou enclins à lui ouvrir leur monde, c’était purement politique. Une fois qu’une femme a le droit d’exercer, rien n’empêche les autres de sortir de leurs foyers et de faire la même chose.
Votre livre met justement en lumière les contradictions des textes de lois de son époque qui permettaient aux femmes d’étudier le droit mais pas d’exercer en tant qu’avocate.
Djoïna Amrani : Oui c’est assez ridicule, on laissait les femmes étudier, car une femme de bonne famille se doit d’être instruite mais pratiquer est une autre histoire, car cela voulait dire avoir de l’indépendance et du pouvoir, ce qui était perçu comme dangereux. On préfère les femmes instruites mais à la maison. Comment avez-vous conçu les décors et tenues d'époques ?
Est-ce à l'issue de quelque documentation graphique ?
Djoïna Amrani : Ayant fait des études de mode à Paris avant de me lancer dans l'illustration, j'avais déjà quelques connaissances des tenues vestimentaires de l'époque et de l'histoire de la mode en général. J'ai en ma possession plusieurs livres et journaux achetés lors de brocantes et différentes archives. Pour les décors, Aurélie a fait un travail de recherche très poussé ce qui m'a beaucoup aidé, je me suis également inspirée d'anciennes cartes postales et journaux du vieux Paris. C'était vraiment passionnant de dessiner toutes ces tenues et décors et de faire ces recherches, c'était un peu comme voyager dans le temps.
Qu’en est-il du travail scénaristique et graphique ?
Djoïna Amrani : Nous voulions nous rapprocher du côté intime de la vie de Jeanne Chauvin, pour pouvoir s’identifier davantage à son personnage et à son combat, sa vie privée n’est pas très connue, nous avons donc pris quelques libertés pour mêler la grande Histoire avec la petite.
Pour le graphisme, nous avons gardé une atmosphère « passée », pour représenter l’époque du mieux possible. Avoir cette impression de regarder de vieilles cartes postales de Paris ou de douces aquarelles. Étant elle-même une peintre, je trouve que cet effet de touches de peintures était un clin d’œil intéressant.
Qu’espérez-vous avec la publication de ce livre ?
Djoïna Amrani : J’espère que davantage de personnes découvriront son nom et sa vie, et que son parcours inspirera le plus grand nombre. Je suis ravie de voir que de plus en plus de portraits de femmes effacées de « l’Histoire » émergent ces dernières années et j’espère que cela continuera encore longtemps.
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