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« J’avais envie qu’il me regarde dans les yeux et j’avais envie de lui demander : tu te souviens de moi ? Tu te souviens de mon visage ? Tu te souviens de quoi que ce soit me concernant ? Certainement pas, parce qu’il y en a eu des centaines comme moi, tu ne te souviens pas de moi, mais moi, je vais me souvenir de toi pour le restant de mes jours. C’est une chose avec laquelle je vais devoir vivre donc je veux que tu me regardes droit dans les yeux et je veux que tu te souviennes des personnes qui vont t’envoyer en prison pour le restant de tes jours » : Michelle Licata se vide le cœur devant la caméra dans la perspective de la comparution de Jeffrey Epstein devant un tribunal newyorkais en juillet 2019.
La jeune femme fait partie des nombreuses victimes de l’homme d’affaires qu’elle a rencontré en décembre 2004. Une de ses amies lui avait dit qu’elle avait trouvé un moyen de gagner de l’argent facilement à la veille de Noël et elle lui a proposé de l’accompagner : « Tu veux te faire un peu d’argent en massant des vieux ? » lui demande-t-elle un jour.
Michelle accepte. Elle se rend dans une magnifique résidence de Palm Beach et se retrouve dans une salle avec une table de massage où Jeffrey Epstein la rejoint. Après l’avoir encensé de compliments, il lui demande de se dévêtir. Puis il commence à lui faire des attouchements en se masturbant en même temps. Il essaye de caresser ses parties intimes. La jeune fille a très peur mais se laisse faire : « J’étais une jeune fille et quand on est jeune on fait ce que les adultes nous demandent de faire » explique Michelle dans le témoignage qu’elle a livré à la police de Palm Beach, en Floride, en décembre 2005. Quand elle réussit enfin à quitter la maison, elle dit s’être sentie salie, souillée et utilisée. Elle n’avait alors que 16 ans…« Avant Epstein j’étais quelqu’un d’autre » confie Michelle, les larmes aux yeux. Cette agression a eu un impact dévastateur sur sa vie, elle a sombré par la suite dans l’enfer de la drogue, elle s’est mutilée car elle se détestait.
Le documentaire présente dans le premier épisode plusieurs autres témoignages d'adolescentes qui ont vécu le même cauchemar, un massage assorti d’une agression sexuelle dans la magnifique villa de Jeffrey Epstein à Palm Beach. Ces jeunes filles présentent toutes le même profil : elles viennent de milieux défavorisés ou de familles dysfonctionnelles et sont alléchées par l’appât du gain facile. Il les amadoue en les inondant de compliments ou en leur promettant de réaliser leurs rêves avant de les agresser. En général, c’est une de leurs copines de l’école qui les entraîne dans cette galère, et parfois les dites copines le font en toute connaissance de cause car elles font partie du réseau de recrutement d’Epstein : elles gagnent 200 dollars à chaque nouvelle proie qu’elles lui amènent. Car c’est ce qu’il leur propose si elles refusent de se livrer à ses jeux sexuels pervers. L’une d’entre elles explique dans le documentaire à quel point la culpabilité la ronge encore maintenant d’avoir livré des dizaines d’adolescentes aux griffes du prédateur…
Le troisième épisode du documentaire s’attarde sur l’île privée du milliardaire, Little Saint James, dans les îles vierges des États-Unis : dans cet endroit paradisiaque, des jeunes filles ont vécu un véritable enfer. Deux d’entre elles témoignent : la première s’appelle Sarah Ransome, elle s’est aujourd'hui exilée en Espagne pour échapper à Epstein qui lui a fait subir du trafic sexuel en 2006. A 22 ans, elle part s’installer à New York parce qu’elle rêve de faire une carrière de mannequin. Elle rencontre l’une des complices d’Epstein dans une boite de nuit (plusieurs jeunes femmes servaient de « recruteuses » dans ce réseau de prostitution internationale que le milliardaire avait mis en place). C’est ainsi qu’elle se retrouve sur l’île privée d’Epstein où elle l'accuse de l'avoir violée à de très nombreuses reprises et de l'avoir retenue captive.
Elle raconte sa première agression, dès son premier jour dans l’île : « J’étais sans défense, j’étais tétanisée et à partir de ce premier jour, j’étais constamment en état de choc. Et je pense que plus il voyait qu’il nous brisait, plus ça lui plaisait, plus ça l’excitait » explique la jeune femme. Un jour, après trois viols successifs, elle dit avoir tenté de s’enfuir à la nage, mais il l’a rattrapée rapidement car des caméras surveillaient les faits et gestes de tous sur l’île 24h sur 24, 7 jours sur 7. « Il me faisait des choses, il faisait des choses qu’aucun homme ne devrait faire subir à une femme et il le faisait constamment. Ce jour-là, j’en ai eu assez » dit Sarah en pleurant au souvenir de ce tout ce qu’elle a vécu. « Sur les îles vierges, il était connu de toutes les autorités, quand on atterrissait c’était bonjour Mr Epstein, content de vous revoir. Il était accueilli comme une star. Avec un cortège de cinq filles derrière lui, mais personne n’a jamais rien dit. Je pense qu’ils étaient tous au courant… Tout le monde savait » se souvient Sarah.
Chauntae Davis, massothérapeute professionnelle, a 21 ans quand elle rencontre Jeffrey Epstein. Elle a d’abord travaillé pour lui en tant que masseuse professionnelle, puis il l’emmène sur l'île. C’est là qu’elle dit avoir subi le premier viol alors qu’elle est en train de le masser : « Est-ce que j’ai résisté ? Évidemment. Est-ce que j’ai dit non ? Oui. Est-ce que je me suis défendue ? Non. Parce que j’étais pétrifiée, j’étais seule sur une île privée au milieu de nulle part. Et donc j’ai laissé cette horreur se produire… ».Combien sont-elles à avoir subi le même sort dans cette île maudite où auraient été organisées des orgies auxquelles auraient participé bien du monde…
Comble de l’horreur, Chauntae va plus tard présenter sa jeune sœur de 17 ans au couple maudit, Jeffrey et Ghislaine, sous prétexte qu’ils s’engagent à lui payer des études en Espagne pour réaliser son rêve de devenir traductrice. Violée elle aussi par Epstein, Chauntae porte encore le poids de la culpabilité d’avoir mis sa jeune sœur entre ses griffes.
Le documentaire explique en détail comment Jeffrey Epstein a réussi à échapper à la justice pendant des décennies et a pu continuer ses activités de prédateur sexuel en toute impunité grâce à son argent, à ses relations avec des hommes de pouvoir haut placés et au chantage qu’il faisait peser sur ceux à qui il fournissait des jeunes filles en pâture. Une de ses victimes a rapporté qu'il s'était vanté auprès d'elle qu’il ne se ferait jamais prendre parce qu’il avait tout ce qu’il fallait en sa possession pour faire chanter bien des gens. L’homme était intelligent et a su ménager ses arrières : son immeuble de luxe à Manhattan était par exemple truffé de caméras un peu partout, y compris dans les chambres à coucher où il organisait les petites sauteries pour ses amis.
Est-ce via un chantage de ce genre qu’il a réussi à échapper une première fois à la justice, en 2008 après des années d’enquête menée par la police floridienne ? Car contre toute attente, les avocats du milliardaire ont réussi à conclure une entente hors cour avec l’État fédéral américain et le procureur d’alors de la Floride, Alexander Acosta : Epstein plaide coupable à l’accusation d’avoir payé des mineures pour avoir des rapports sexuels et il est condamné à passer 18 mois de prison au centre de détention de Palm Beach. Il bénéficie de conditions de détention tout à fait hors normes : détenu dans une aile privée de la prison, la porte de sa cellule restait ouverte, des repas préparés uniquement pour lui, et il a bénéficié d’une dispense pour son travail, ce qui lui permettait de sortir le jour et revenir dormir en prison. Douze heures par jour et six jours sur sept donc, il était en dehors de la prison.
« Ça n’a aucun sens de laisser un prédateur sexuel travailler à l’extérieur » fait remarquer dans le documentaire l’ancien chef du département de la police de Palm Beach. L’entente, qui s’est négociée secrètement sans que les victimes ni leurs avocats n’en soient jamais avertis, mettait également à l’abri de toute poursuite les présumés complices d’Epstein. Alexander Acosta l’a justifiée en disant qu’elle garantissait une peine de prison mais nombreux sont ceux dans le documentaire qui s’interrogent sur les raisons de cet accord dont Sarah Ransome : « Donc j’ai été violée à répétition parce qu’Alex Acosta n’a pas eu le courage ou les 'couilles' de nous protéger ».
Le 21 juillet 2009, Jeffrey Epstein sort donc de sa prison dorée après avoir purgé 13 mois de prison sur 18 car il bénéficie d’une libération conditionnelle. Il ne va évidemment pas respecter les conditions de sa libération, comme en témoignent plusieurs enquêteurs, mais ne va pas retourner en prison pour autant. Il va falloir attendre 10 ans plus tard, en juillet 2019, après que d’autres victimes ont porté plainte et que le FBI a repris son enquête sur lui, pour qu’il soit de nouveau arrêté et incarcéré, 10 ans au cours desquels il a poursuivi ses agressions sexuelles et le trafic de mineures en toute impunité.
Pour la petite histoire, Alex Acosta va démissionner de son poste de ministre du travail de l’administration Trump peu de temps après l’arrestation du milliardaire en juillet 2019.
Autre séquence inédite dans ce documentaire : on y voit plusieurs des interrogatoires du milliardaire lors de ses arrestations. Il y invoque tous les amendements possibles de la Constitution américaine, principalement le 5ème, pour ne pas répondre aux questions qu’on lui pose. A aucun moment il avoue quoi que ce soit, ni même manifester le moindre remord, ni regret et encore moins faire preuve d’une quelconque empathie envers ses victimes.
« Sa plus grande caractéristique, c’était son côté narcissique. Il était incapable de ressentir de l’empathie pour autrui, et il se pensait maître dans l’art de la manipulation » dit l’un des enquêteurs qui avait engagé un psychologue pour dresser le profil psychologique du milliardaire.
Ensuite vient le témoignage de Virginia Roberts Giuffre, qui vit maintenant en Australie. Elle raconte sa version des faits. Elle dit avoir eu des relations sexuelles à trois reprises avec le Prince Andrew, l’un des fils de la Reine Elizabeth. La jeune femme est tombée entre les pattes de Jeffrey Epstein et de sa complice Ghislaine Maxwell alors qu’elle n’avait que 17 ans, toujours selon le même processus : promesses de lui offrir ses études en échange d’accepter de participer au réseau de prostitution internationale qu’ils avaient mis en place. C’est dans ce cadre qu’elle dit avoir été présentée au prince. L’un des ex-employés d’Epstein sur son île privée raconte : « Il était avec une fille que je ne connaissais pas, elle était jeune et elle n’avait pas de haut de maillot de bain, ils étaient en pleins préliminaires et il la tenait contre lui et se frottait contre elle ». Cet ex-employé va plus tard reconnaître Virginia sur la fameuse photo publiée dans la presse, on y voit le Prince Andrew tenir une jeune fille par la taille dans l’appartement londonien de Ghislaine Maxwell. Le prince Andrew jure n’avoir aucun souvenir d’elle et dit ne pas pouvoir expliquer cette photo. La jeune femme explique ensuite avoir réussi à s'échapper de l’emprise de Jeffrey et Ghislaine après que le couple lui a demandé d’être la mère porteuse de l’enfant qu’ils voulaient avoir.
Le prédateur sexuel a finalement pu échapper à la justice parce qu'on l'a retrouvé mort, officiellement d'un suicide le 10 août 2019 dans sa cellule new-yorkaise. Mais les « survivantes» promettent qu’elles n’en resteront pas là, qu’elles vont poursuivre ce long et difficile combat qu’elles mènent avec leurs avocats depuis des décennies pour obtenir justice et réparations, notamment en envoyant derrière les barreaux tous les complices du milliardaire, Ghislaine Maxwell en tête. Arrêtée début juillet, sa première audition a eu lieu mardi 14 juillet, face à une juge fédérale d'un tribunal newyorkais. Réalisée en vidéoconférence, elle a plaidé non coupable de tous les chefs d'accusation. Elle risque entre 35 ans et la prison à vie.
« Epstein n’a pas agi seul, donc la prochaine étape c’est de poursuivre les autres responsables et de les faire payer, conclut Virginia Roberts. Toutes les personnes qui étaient impliquées, celles qui ont participé, et elles sont très nombreuses, personne n’a été jugé. On était encore des enfants, et on subissait ce trafic sous leurs yeux, ils savaient très bien ce qu’il se passait et ils n’ont rien dit… D’autres monstres sont encore en liberté et ils continuent leurs agressions, ça me dépasse qu’ils n’aient pas encore été identifiés et dénoncés ».
Les procureurs américains aimeraient bien, notamment, entendre la version du Prince Andrew lors d’un interrogatoire. Sans oublier Ghislaine Maxwell, qui doit comparaître ce 14 juillet. Que va-t-elle faire ? Se mettre à table dans l’espoir de faire réduire sa peine (elle risque 35 ans de prison)? Ou tout nier en bloc et espérer s’en sortir au terme d’un procès ? Des mesures de sécurité extrêmes ont été prises pour assurer sa sécurité dans la prison de Brooklyn où elle a été transférée, on ne sait jamais, un « suicide » est si vite arrivé.