Fil d'Ariane
Jess Salomon, à gauche, et son épouse Erman al-Hussein, lors de notre rencontre à Brooklyn, à New York, en mars 2024.
La déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU réclamant pour la première fois un cessez-le-feu immédiat à Gaza éveille l'espoir d'un répit pour la population palestinienne. Née à Montréal dans une famille juive ashkénaze, et mariée à une Palestinienne, l’humoriste Jess Salomon vit au rythme quotidien de la guerre qui fait rage à Gaza depuis les attaques du Hamas contre Israël. Rencontre.
"Bonjour, je suis Jess Salomon, je suis juive et ma femme est musulmane" : voilà comment l'humoriste québécoise a l'habitude de commencer ses spectacles, histoire de mettre d’emblée la table pour la suite de sa prestation. Mais depuis le 7 octobre 2023, elle a perdu le goût de rire… et de faire rire.
Il est vrai que leur histoire n’est pas banale : Jess Salomon et Eman al-Hussein se sont rencontrées à Montréal en 2009, dans le petit milieu de l’humour où elles frayaient toutes les deux. Les deux montréalaises sont rapidement tombées dans les bras l’une de l’autre, et, comme dit Eman dans l’un des spectacles d’humour qu’elles ont fait ensemble et que l’on peut regarder sur la plateforme Crave, "en bonnes lesbiennes que nous sommes, nous sommes immédiatement tombées amoureuses et nous nous sommes mariées. C’était le début d’une belle histoire". Elles se sont dit oui en 2015.
Affiche du spectacle collectif auquel participe Jess Salomon, dont les recettes sont reversées à un fond d'aide pour le peuple gazaoui.
Les deux jeunes mariées déménagent à New York, en 2016, où elles vivent depuis et où elles poursuivent leurs carrières de comédiennes-humoristes. Jess Salomon a même réussi à aller faire un numéro au Tonight Show de Jimmy Fallon sur NBC, ce dont elle est d’ailleurs très fière. Leur histoire d’amour est unique en son genre car elle réussit à passer à travers les violents soubresauts du conflit israélo-palestinien.
Nous avons la même perspective, on comprend ce qu’il se passe. Jesse Salomon, humoriste québécoise
"Eman m'a beaucoup fait évoluer dans ma réflexion sur la situation au Proche-Orient, fait remarquer l'humoriste. Parce que j’avais une idée de la situation, mais je ne connaissais pas l'expérience palestinienne, ce que vivaient les Palestiniens. Et c’est grâce à Eman que j’ai pu voir les choses autrement, grâce à elle, j’ai rencontré des Palestiniens, des auteurs, des artistes palestiniens, ça m’a beaucoup ouvert les yeux".
Et quand on lui demande comment se vit, dans son couple, le conflit actuel, elle explique qu’en fait, ça les a rapprochées toutes les deux : "Nous avons la même perspective, on comprend ce qu’il se passe".
Depuis le 7 octobre 2023, Jess n’hésite pas à dénoncer haut et fort, publiquement, la politique menée par le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou et la guerre menée par Israël dans la Bande de Gaza, tout en condamnant tout aussi fermement les attaques meurtrières du Hamas.
Avant d'embrasser sa carrière d'humoriste, Jess Salomon était avocate spécialisée en droits humains, elle a notamment travaillé au Tribunal Pénal international pour l'ex-Yougoslavie à la Haye, ainsi qu'au tribunal pour le Rwanda. Elle a travaillé sur les délicats dossiers des génocides dans ces pays. "Déjà, le 12, le 13 octobre, pour moi, c'était clair qu'il y avait un génocide en cours parce que je connais très bien quels en sont les signes, fait remarquer la comédienne. Pour moi, comme juive, depuis que je suis toute petite, j’ai eu l'éducation de l'holocauste, c'est même à cause de ça que j'ai commencé à travailler dans le domaine de la loi".
"Tout le monde voit, le monde qui n'est pas endoctriné, voit des images d'horreur, des images que jamais de ma vie, je ne pensais revoir. On ne peut pas nier ce qu’il se passe. Pour moi, c’est très triste de voir le peuple palestinien déshumanisé comme ça, de regarder ces vidéos de Palestiniens qui essaient, jour après jour, de témoigner de leur humanité, ces enfants qui disent 'laissez-nous vivre', ils font des vidéos en anglais pour le monde, et personne ne répond ?", s'indigne-t-elle.
Cette situation est très dure à vivre aussi pour son épouse : "De voir ce niveau de déshumanisation, de voir la valeur assignée à des vies palestiniennes, ça cause beaucoup de douleur. Ma femme me dit : 'Je ne savais pas qu'on nous haïssait à ce point'". L’humoriste se tait, la voix étranglée par l’émotion, les larmes aux yeux.
Mais quand elle nous parle des réactions des communautés juives dans le monde au drame qui se joue dans la Bande de Gaza, la jeune femme s’indigne : "Dans la communauté juive, et dans les institutions du monde juif, c’est soit le silence, soit le soutien au gouvernement israélien. Ma synagogue par exemple, elle ne dit rien. C’est très déstabilisant. Ce qui me fait peur aussi, c’est que ces gens sont éduqués, privilégiés, ils vivent pour la plupart dans des villes où il y a des politiques progressistes, ils ont accès à l’information. Comment peut-on se taire ? C'est très difficile de réconcilier, de comprendre".
Rassemblement le 28 octobre 2023 à New York pour réclamer un cessez-le-feu dans la Bande de Gaza.
Sur les réseaux sociaux, elle suit et commente les événements avec assiduité. Elle se réjouit notamment de la démarche de l'Afrique du sud devant la Cour internationale de la Justice, un soutien important pour la cause palestinienne, dit-elle, car cela brise leur isolement sur la scène internationale. Mais ces prises de position ont été dévastatrices dans ses relations avec sa famille, ses proches et sa communauté. Plusieurs n’hésitent pas à la qualifier de "traître". Elle assume. Et Eman, elle, est toujours à ses côtés.
Ça ne va jamais être possible, la paix, sans la justice, sans l'égalité et sans que les responsables de la crise actuelle ne soient accusés pour leurs faits et gestes. Jess Salomon, humoriste québécoise
Enfin quand on lui demande si un jour la paix sera possible entre les Israéliens et les Palestiniens sur cette terre si convoitée après être allé si loin dans la violence, dans les extrêmes, dans l’horreur, elle craint que "ça ne va jamais être possible, la paix, sans la justice, sans l'égalité et sans que les responsables de la crise actuelle ne soient accusés pour leurs faits et gestes. On a besoin de reconnaître aussi la vérité de ce qui s'est passé en 1948, quand des milliers de Palestiniens ont été chassés de chez eux, la vérité de ce qu'il continue de se passer et de faire des réparations, d'avoir de la justice et l'égalité des droits humains et de dignité pour tous".
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