Stop violences

#JeSuisBintou : le MeToo des Guinéennes contre les violences conjugales

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#JeSuisBintou

Le mot-dièse #JeSuisBintou a été lancé sur les réseaux sociaux par les féministes guinéennes en soutien à la chanteuse Djelykaba Bintou, battue par son ex-mari Azaya, chanteur également.

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En Guinée, en l’espace d’une semaine deux femmes ont été battues à mort, l’une par son mari alors qu’elle était enceinte et l’autre par son amant. Faisant écho à l’émoi suscité par ces crimes, la chanteuse vedette Djelykaba Bintou a publié des photos d’elle sur les réseaux sociaux, montrant son visage tuméfié, après avoir subi des violences conjugales. 

Sur les réseaux sociaux, on ne voit plus que ces photos. Visage défiguré, ensanglanté et tuméfié, lèvres gonflées... 

Les photos de la chanteuse Djelykaba Bintou ont choqué l’opinion. Sa publication au ton ferme et révolté a suscité des milliers de commentaires et de partages. L’artiste guinéenne dénonce les abus de son ex-mari, sans le nommer directement.  

#JesuisBintou

Depuis quelques jours, les féministes guinéennes s’indignent et demandent plus de protection pour les femmes face au regain de féminicides, un fléau encore tabou en Guinée.  
 
En l’espace d’une semaine, deux cas de féminicides à Conakry et à Kankan ont soulevé une vague d'indignation dans le pays. À Conakry, une femme enceinte de six mois a été violemment battue par son mari à la suite d’une dispute. Elle succombera à ses blessures quelques jours plus tard à l’hôpital. À Kankan, une femme a été poignardée à mort par un homme qu’elle avait refusé d’épouser. Les deux hommes ont été mis aux arrêts et placés en détention en attendant leur procès. 
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Pourtant, depuis des années, plusieurs organisations de soutien aux femmes alertent sur ce phénomène encore tabou dans les sociétés d’Afrique subsaharienne. Le Club des jeunes filles leaders de Guinée, organisation composée uniquement de jeunes filles, reçoit et encourage des victimes dans leur démarche de dénonciation. "Il est important pour les femmes de se choisir. Dans mes vidéos que je poste sur TikTok ou Facebook, j'interpelle les jeunes filles, les femmes à se choisir, à comprendre que leur vie compte. Leurs vies sont précieuses", s'insurge Oumou Khairy Diallo, directrice exécutive du club des jeunes filles leaders de Guinée. 
On sait que c'est difficile, on sait que ça peut être compliqué, mais il faut apprendre à partir, à dénoncer, à contacter les personnes mieux placées pour leur venir en aide. Oumou Khairy Diallo, directrice exécutive du club des jeunes filles leaders de Guinée 
En soutien à toutes les victimes, elle lance le hashtag #JesuisBintou pour dire stop à la violence conjugale qui endeuille des familles. L’activiste des droits des femmes appelle ses sœurs à briser le silence, mais surtout à partir des foyers où elles sont battues par leur partenaire. "Elles doivent apprendre à partir, à partir quand ça ne va pas. Elles doivent apprendre à dénoncer. On sait que ce n'est pas facile, on sait que ça peut être compliqué, mais il faut apprendre à partir, à dénoncer, à contacter les personnes les mieux placées pour leur venir en aide", lance-t-elle encore. 
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Un fléau sous-estimé

"Nous recevons en moyenne par semaine deux à trois cas, mais nous savons une chose, ce n'est pas la réalité, c'est plus que ça, explique Õumõu Khairy Diallo, directrice exécutive du club des jeunes filles leaders de Guinée. Aujourd'hui, si on avait tous les cas, on verrait la gravité de la situation dans laquelle ces femmes-là vivent, où elles doivent tout supporter et parfois même, penser que ce qui leur arrive est légitime. Et donc nous, nous essayons de déconstruire cela du mieux qu'on peut."

Pour celles qui veulent effectivement porter plainte, nous les accompagnons dans toute la procédure. Nous les aidons à avoir des avocats. Õumõu Khairy Diallo, directrice exécutive du club des jeunes filles leaders de Guinée

L'organisation aide aussi les victimes désireuses d’aller plus loin en portant plainte. Si elles hésitent, le club en accord avec la victime peut se constituer en partie civile pour saisir les tribunaux. "Pour celles qui veulent effectivement porter plainte, nous les accompagnons dans toute la procédure. Nous les aidons à avoir des avocats, nous allons avec elles à la médecine légale et nous faisons un suivi des procès jusqu'à ce qu'il y ait condamnation", précise la militante.

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(Re)lire Guinée: la mort d'une jeune femme des suites d'un viol présumé suscite l'effroi

Aux racines du mal

Comment expliquez la persistance des violences conjugales et féminicides en Guinée ? 
 
Thierno Aliou Barry, enseignant chercheur en sociologie, trouve certaines explications dans les traditions et mœurs guinéennes : "Le patriarcat donne aux hommes plus de pouvoir. Deux fois, et dans la famille, et dans le couple. S'il y a des disputes, ou encore des divergences, quand les membres de la famille s'approchent pour régler le problème, même si l'homme n'a pas raison, ils préfèrent toujours donner raison à l'homme".
On considère que c'est l'homme qui est le responsable de la famille. Les rapports de force sont inégaux. Thierno Aliou Barry, enseignant chercheur en sociologie

Pourquoi ? "Parce qu'on considère que c'est l'homme qui est le responsable de la famille. Les rapports de force sont inégaux. Et quand les rapports de force sont inégaux, généralement, beaucoup d'hommes, pas tout le monde, profitent de cette position de force pour dominer la femme dans l'injustice", répond-il.

Selon lui, il est nécessaire de faire une mise à jour de cette tradition, "avec l'évolution du monde, avec le développement de la technique et de la technologie, avec la mondialisation, c'est important de revoir et de remettre à jour nos valeurs culturelles et nos aptitudes et nos traditions" et cela va avec la manière d’éduquer les jeunes filles, qui "depuis très longtemps, sont éduquées pour accepter de se soumettre aux hommes". 

Une carrière impactée ?

Le concert d'Azaya, l'ex-mari de Djelykaba Bintou, initialement prévu au Canada au mois d’avril a été annulé et reprogrammé sans lui. Le chanteur pourrait aussi être retiré de la liste des artistes lors d'un concert prévu à Paris fin 2025. 
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L’étau se resserre sur l'artiste, qui était jusque là, la figure masculine de la musique guinéenne depuis plus d’une décennie. Azaya formait avec son ex-femme depuis leur mariage en 2019, un couple de chanteurs très populaires. Une carrière qui risque fort d'être impactée par le #MeToo de Bintou. 
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