Jeter ou ne pas jeter son soutien-gorge aux orties ?

Mesdames, l'industrie textile vous ment! Mieux, elle vous dissimulerait la dangerosité du soutien-gorge et son implication dans le cancer du sein. C'est une hypothèse au centre du mouvement no bra (= "pas de soutif"). Free the boobies! en anglais dans le texte... Libérer le nichon, pourquoi le slogan féministe a fait recette pendant le confinement.
Image
No bra club
No bra club
©Leséclaireuses
Partager6 minutes de lecture

Baleines, coutures, tissus qui grattent. Le soutien-gorge, cet accessoire vanté comme arme de séduction massive, aliène les femmes. C'est du moins l'avis de nombreuses féministes. "Free the boobies ! Libérez le nichon" est l'une des revendications brandies sur les pancartes lors des manifestations féministes.

C'est aussi une démarche qui a séduit de nombreuses femmes pendant le confinement imposé par la crise du Covid. Des seins libres de leur carcan pour confiner confortable, le téton pointant fièrement ou pas. Qu'importe quand on a le confort. Surtout si l'on s'appuie sur certaines études qui pointeraient la dangerosité de ce sous-vêtement féminin, allant jusqu'à l'impliquer dans la survenue du cancer du sein.

Si l'on peut comprendre le souhait légitime des femmes d'un accessoire moins aliénant et plus agréable à porter, en un mot comme en cent, d'un accessoire qui s'occuperait d'abord de leur bien-être plutôt que de les rendre désirables, qu'en est-il de ces études sur la dangerosité du soutien-gorge ? 

Ces vêtements qui nous tueraient...

Dressed to kill
Dressed to kill
©Square One Publishers

En 2002 sort aux Etats-Unis, un livre intitulé "Dressed To Kill: The Link between Breast Cancer and Bras". Cosigné par Sydney Ross codirecteur de l'Institut pour l'étude des maladies culturogènes, et par son épouse et cochercheure Soma Grismaijer, il traite du lien entre soutien-gorge et cancers du sein.

Selon les auteurs, le soutien-gorge exerce une pression constante qui peut nuire au drainage lymphatique et entraîner un risque accru de cancer du sein. Des affirmations considérées alors comme infondées par la communauté scientifique.

Dix ans plus tard, récidive américaine : deux autres chercheurs publient "Ces vêtements qui nous tuent". Les auteurs sont présentés par leur éditeur Tredaniel comme "chercheurs en médecine naturelle et science de la nutrition depuis plus de trente ans, et codirecteurs de l’Institut de santé Hippocrate en Floride".
 

Brian et Ana Maria Clement
Brian et Ana Maria Clement
©editionstredaniel
Leur argumentaire va au-delà du seul soutien-gorge et pointe aussi la dangerosité des textiles : "Porter un soutien-gorge trop serré favorise les risques de cancer du sein, les sous-vêtements synthétiques sont mis en cause dans l’infertilité chez l’homme, les colorants de textile sont les principaux responsables de la dermatite de contact, les vêtements antitaches peuvent perturber le système endocrinien, les fibres de certains vêtements de sport fatiguent les muscles et sont susceptibles de réduire les avantages concurrentiels des athlètes…"

Bref, nous portons l'ennemi à même nos épidermes, et le titre est là pour nous en convaincre : nos vêtements sont létaux. Problème : les affirmations sur le soutien-gorge tueur de ces deux chercheurs autoproclamés tendance new age, comme les Etats-Unis en comptent tant, sont rejetées par la plus grande partie de la communauté scientifique.
 
En France, c'est un médecin du sport de Besançon, Jean-Denis Rouillon, aujourd'hui retraité, qui relaie ce soupçon sur le soutien-gorge : "Il y a une seule étude à long terme et menée sur plus de 2000 femmes, par des chercheurs anglo-saxons, en 1991, précise-t-il. Et ses conclusions ont été que les femmes ne portant pas de soutiens-gorge avaient moins de cancers du sein." Le praticien explique : "On sait que, chez les souris, élever la température des seins augmente la croissance des cellules cancéreuses, et c’est l’un des effets provoqués par le soutien-gorge, poursuit-il. Ce n’est pas suffisant pour faire un lien. Mais là encore, on voit qu’il y a une piste à creuser et que cela mériterait des études plus sérieuses", argue-t-il, rappelant tout de même "ne pas être un spécialiste du cancer du sein".

Face à ces alarmes largements relayées sur les réseaux sociaux, certains instituts de lutte contre le cancer, dont ceux du sein, ont dégainé des avertissements. C'est le cas de la Société canadienne du cancer, qui a mené une contre-étude sur la possible implication de cet accessoire. Résultat : "Il n'existe aucune preuve scientifique sérieuse démontrant un lien entre le port d’un soutien-gorge à armatures – ou tout autre type de soutien-gorge – et le cancer du sein." Même son de cloche du côté de la Fondation contre le cancer en Belgique. "Internet et les réseaux sociaux suggèrent régulièrement, à tort et sans preuve scientifique, que les soutiens-gorge causent le cancer du sein. Une étude de 2014, faisant appel à plus de 1500 femmes, n'a trouvé aucun lien entre le port d'un soutien-gorge et le risque de cancer du sein."

Libérez les nichons !

Alors d'où viennent ces hypothèses diabolisant le soutien-gorge?  Un peu d'histoire pour comprendre : du bandage effaçant le sein en vigueur dans l'Antiquité, jusqu'au corset qui le comprimera 400 ans durant du 15ème au 20ème siècle, le maintien du sein est l'histoire d'une contention brimant le mouvement, mais rendant désirable la gorge des dames.
 

Petite histoire du soutif
Petite histoire du soutif
©pixabay.com
Le premier soutien-gorge
1889, création du premier soutien-gorge
©wikipedia

 En 1889, à l’Exposition universelle de Paris, une communarde se réclamant du féminisme, Herminie Cadolle, présente un corset en deux morceaux, avec une partie se terminant sous la poitrine appelé corselet-gorge. Le premier soutien-gorge moderne est né (et l'entreprise Cadolle qui compte six générations de corsetières est toujours sur le marché). 

Cette double peine de la contention-séduction débouchera dans les années 1970, avec le mouvement de libération des femmes, sur le rejet du "soutif". Aujourd'hui, c'est le mouvement no bra qui revendique le nichon en liberté. Finies les baleines et autres attaches qui font tâche dans la libération de la femme, comme le chantent les Canadiennes du projet Stérone.

Avis du professeur Rouillon déjà cité :  "Le soutien-gorge fabrique la fragilité du sein, puis la femme en devient dépendante. C’est une arnaque extraordinaire qui dure depuis 120 ans." 

C'est que le sein en liberté affole. Pour preuve, cette mésaventure vécue par une présentatrice française de journal télévisé il y a presque dix ans : son téton pointant sous sa robe lui avait valu l'opprobre unanime. Ses excuses pour ce sein qu'on ne saurait voir a exaspéré le mouvement no bra : au nom de quoi une femme devrait-elle s'excuser de son anatomie?

le JT d'Anne-Claire Coudray qui fit scandale
Assumer ses seins sans complexe et sans soutien-gorge, c'est aussi le combat mené par une Canadienne, Christina Schell, licenciée de son poste de serveuse en Colombie-Britannique pour n'avoir pas porté de soutien-gorge. Son refus contrevenait au code vestimentaire de l'établissement, qui indique que "les femmes doivent porter soit un débardeur soit un soutien-gorge sous leur chemise de travail". Son histoire racontée par la chaîne de télévision canadienne CBC News a abouti devant le tribunal canadien des droits de la personne. La serveuse ne compte pas renoncer : "C'est sexiste et c'est pourquoi c'est une question de droits de la personne. J'ai des tétons, tout comme les hommes."

Ce genre de diktat concernant l'habillement féminin est qualifié outre-Atlantique d'"hypersexualisation", un travers qui consiste à donner un caractère sexuel à un comportement qui n’en a pas. Et ça, les No Bra et toutes leurs soeurs en résistance n'ont pas l'intention de le tolérer.