Baleines, coutures, tissus qui grattent. Le soutien-gorge, cet accessoire vanté comme arme de séduction massive, aliène les femmes. C'est du moins l'avis de nombreuses féministes. "Free the boobies ! Libérez le nichon" est l'une des revendications brandies sur les pancartes lors des manifestations féministes.
C'est aussi une démarche qui a séduit de nombreuses femmes pendant le confinement imposé par la crise du Covid. Des seins libres de leur carcan pour confiner confortable, le téton pointant fièrement ou pas. Qu'importe quand on a le confort. Surtout si l'on s'appuie sur certaines études qui pointeraient la dangerosité de ce sous-vêtement féminin, allant jusqu'à l'impliquer dans la survenue du cancer du sein.Si l'on peut comprendre le souhait légitime des femmes d'un accessoire moins aliénant et plus agréable à porter, en un mot comme en cent, d'un accessoire qui s'occuperait d'abord de leur bien-être plutôt que de les rendre désirables, qu'en est-il de ces études sur la dangerosité du soutien-gorge ?
Ces vêtements qui nous tueraient...

En 2002 sort aux Etats-Unis, un livre intitulé "Dressed To Kill: The Link between Breast Cancer and Bras". Cosigné par Sydney Ross codirecteur de l'Institut pour l'étude des maladies culturogènes, et par son épouse et cochercheure Soma Grismaijer, il traite du lien entre soutien-gorge et cancers du sein.
Selon les auteurs, le soutien-gorge exerce une pression constante qui peut nuire au drainage lymphatique et entraîner un risque accru de cancer du sein. Des affirmations considérées alors comme infondées par la communauté scientifique.
Dix ans plus tard, récidive américaine : deux autres chercheurs publient "Ces vêtements qui nous tuent". Les auteurs sont présentés par leur éditeur Tredaniel comme "chercheurs en médecine naturelle et science de la nutrition depuis plus de trente ans, et codirecteurs de l’Institut de santé Hippocrate en Floride".

Bref, nous portons l'ennemi à même nos épidermes, et le titre est là pour nous en convaincre : nos vêtements sont létaux. Problème : les affirmations sur le soutien-gorge tueur de ces deux chercheurs autoproclamés tendance new age, comme les Etats-Unis en comptent tant, sont rejetées par la plus grande partie de la communauté scientifique.
Face à ces alarmes largements relayées sur les réseaux sociaux, certains instituts de lutte contre le cancer, dont ceux du sein, ont dégainé des avertissements. C'est le cas de la Société canadienne du cancer, qui a mené une contre-étude sur la possible implication de cet accessoire. Résultat : "Il n'existe aucune preuve scientifique sérieuse démontrant un lien entre le port d’un soutien-gorge à armatures – ou tout autre type de soutien-gorge – et le cancer du sein." Même son de cloche du côté de la Fondation contre le cancer en Belgique. "Internet et les réseaux sociaux suggèrent régulièrement, à tort et sans preuve scientifique, que les soutiens-gorge causent le cancer du sein. Une étude de 2014, faisant appel à plus de 1500 femmes, n'a trouvé aucun lien entre le port d'un soutien-gorge et le risque de cancer du sein."
Libérez les nichons !
Alors d'où viennent ces hypothèses diabolisant le soutien-gorge? Un peu d'histoire pour comprendre : du bandage effaçant le sein en vigueur dans l'Antiquité, jusqu'au corset qui le comprimera 400 ans durant du 15ème au 20ème siècle, le maintien du sein est l'histoire d'une contention brimant le mouvement, mais rendant désirable la gorge des dames.


En 1889, à l’Exposition universelle de Paris, une communarde se réclamant du féminisme, Herminie Cadolle, présente un corset en deux morceaux, avec une partie se terminant sous la poitrine appelé corselet-gorge. Le premier soutien-gorge moderne est né (et l'entreprise Cadolle qui compte six générations de corsetières est toujours sur le marché).
Cette double peine de la contention-séduction débouchera dans les années 1970, avec le mouvement de libération des femmes, sur le rejet du "soutif". Aujourd'hui, c'est le mouvement no bra qui revendique le nichon en liberté. Finies les baleines et autres attaches qui font tâche dans la libération de la femme, comme le chantent les Canadiennes du projet Stérone.
Avis du professeur Rouillon déjà cité : "Le soutien-gorge fabrique la fragilité du sein, puis la femme en devient dépendante. C’est une arnaque extraordinaire qui dure depuis 120 ans."
C'est que le sein en liberté affole. Pour preuve, cette mésaventure vécue par une présentatrice française de journal télévisé il y a presque dix ans : son téton pointant sous sa robe lui avait valu l'opprobre unanime. Ses excuses pour ce sein qu'on ne saurait voir a exaspéré le mouvement no bra : au nom de quoi une femme devrait-elle s'excuser de son anatomie?
Ce genre de diktat concernant l'habillement féminin est qualifié outre-Atlantique d'"hypersexualisation", un travers qui consiste à donner un caractère sexuel à un comportement qui n’en a pas. Et ça, les No Bra et toutes leurs soeurs en résistance n'ont pas l'intention de le tolérer.
le #NoBraChallenge vient renforcer les mouvements féministes. https://t.co/ArMnRL4zMK
— Forum Fr (@ForumFr) January 11, 2019
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