Fil d'Ariane
"Je suis le mari de Jill" aime à plaisanter Joe Biden. Second Lady pendant huit ans, puis première dame pendant quatre autres, Mme Biden est aujourd'hui plus que jamais en première ligne de la campagne de son mari, avec une constance qui, aux yeux de certains, frise l'acharnement.
Main dans la main, Jill et Joe Biden arrivent à la base aérienne de McGuire, le 29 juin 2024, aux Etats-Unis (AP Photo/Evan Vucci)
Elle est là pour le soutenir, au sens littéral, après son débat calamiteux contre Donald Trump le 27 juin 2024. Elle est à ses côtés, le lendemain, quand Joe Biden promet de "se battre" encore pour gagner la présidentielle de novembre.
"Son opinion est certainement plus importante que toute autre (pour le président américain). Sans son soutien, il serait impossible pour lui de rester en course", commente Tammy Vigil pour l'AFP, professeure en communication à l'université de Boston. Une remarque qui fait écho aux propos de ceux cités par NBC News, provenant d'une source anonyme réagissant aux fragilités de Joe Biden qui suscitent les appels à se retirer de la campagne : “La seule personne qui a une réelle influence sur lui est la Première Dame... Si elle décide qu’il doit y avoir un changement de cap, il y aura un changement de cap.”
En couverture de l'édition du mois d'août 2024 de l'illustre magazine de mode Vogue : Jill Biden, en longue robe-blazer de soie blanche Ralph Lauren. La photographie date de fin avril, et l'article du magazine s'appuie sur des entretiens et reportages réalisés à cette période, bien avant que Joe Biden ne se décompose en direct sur CNN face à son rival républicain. L'image suscite des réactions partagées, allant de l'admiration pour la classe et l'intelligence de la femme, aux comparaisons avec une Asma al-Assad remettant le petit peuple à sa place.
Dans une note introduisant l'article, la rédaction de Vogue indique avoir eu un échange téléphonique avec la First Lady peu après le débat du 27 juin, alors que montaient les appels à un retrait de la candidature du démocrate de 81 ans... Celle qui partage la vie du président américain depuis quarante-sept ans affirme : "Joe n'est pas seulement la bonne personne pour faire ce boulot. Il est la seule personne". Pas question de "laisser 90 minutes résumer ce qu'il a fait pendant quatre ans comme président", persiste cette professeure d'université de 73 ans.
Le lendemain du désastre télévisé, la Première dame des Etats-Unis apparaissait aux côtés d'un Joe Biden à l'énergie retrouvée lors d'un meeting en Caroline du Nord, avec une robe portant l'inscription "Votez" : “En ce moment, avec les périls auxquels le monde est confronté, il n’y a personne que je préfèrerais avoir dans le Bureau Ovale que mon mari. Joe parle vrai. Donald Trump ment à la moindre occasion.”
Lorsqu'elle épouse Joe Biden en 1977, il est veuf. Un accident de voiture a coûté la vie, cinq ans auparavant, à sa première épouse et à leur fille, encore bébé, et auquel deux garçons, Beau et Hunter, ont survécu. Beau Biden est mort d'un cancer en 2015. Hunter Biden s'est débattu pendant des années avec une addiction au crack. De cette famille éprouvée, la First Lady est aujourd'hui le centre de gravité et sans son appui, le démocrate ne se serait pas lancé en quête d'un second mandat.
Les limites implicites au rôle de First Lady apparaissent une fois qu'une ligne rouge est franchie. Si elle défend trop énergiquement son mari, elle sera critiquée. Tammy Vigil
"Une Première dame aujourd'hui est supposée être 'l'arme pas si secrète' qui soutient son mari en mettant en valeur sa personnalité et en aidant à lever des fonds. Donc l'on s'attend à ce que Jill Biden participe à la campagne, explique Tammy Vigil. Mais il y a aussi des limites implicites à cette activité, qui apparaissent une fois qu'une ligne rouge est franchie. Si elle défend trop énergiquement son mari, elle sera critiquée", assure l'universitaire.
Sur les réseaux sociaux, la First Lady est, depuis le débat du 27 juin, une cible privilégiée de certains partisans de Donald Trump, qui la dépeignent en manipulatrice sans scrupules. “Ce que Jill Biden et l'équipe de campagne ont fait à Joe Biden ce soir... c’est de la maltraitance envers personne âgée, pure et simple”, écrit sur X Harriet Hageman, élue républicaine au Congrès
Quant au site conservateur Drudge Report, il titre, sous une photo peu flatteuse prise juste après le débat, "JILL LA CRUELLE S’ACCROCHE AU POUVOIR".
Mais les critiques ne viennent pas que des républicains, comme en témoigne ce commentaire indigné, le 1er juillet, d'un ancien gérant de fonds d'investissement, et donateur démocrate, Whitney Tilson : "Aujourd'hui, le sentiment presque universel chez les démocrates les plus fidèles (comme moi) est que Biden et son cercle rapproché (à commencer par Jill) essayent de nous (faire croire que le président américain) va bien alors qu'il est évident que non", écrit-il sur X.
L’histoire américaine ne se souviendra pas de Jill Biden avec bienveillance. Meghan McCain
Dans son blog medium.com, Philippe Corbé cite l’éditorialiste du New York Times Maureen Dowd : Jill Biden, écrit-elle, “a poussé - et protégé - son mari au-delà du raisonnable" et va "construire un rempart toujours plus haut autour de lui et chasser avec encore plus de vigueur ceux qui appuient sur la spirale de l’âge”. Et le journaliste et écrivain français de citer aussi Meghan McCain, fille de l'ancien candidat à la présidentielle John McCain, qui connait bien Joe Biden, avec lequel son père avait tissé une longue amitié au Sénat malgré leurs divergences politiques. Animatrice télé républicaine, mais anti-Trump, elle commente : “L’histoire américaine ne se souviendra pas de Jill Biden avec bienveillance”.
En 2020, Jill Biden s'est impliquée sans relâche dans la première campagne de son mari avec un même message : seul Joe peut rassembler un pays divisé à l'extrême en entrant à la Maison Blanche. Avec une vigueur qui, déjà, semble parfois dépasser celle de son époux, elle multiplie les visites dans les Etats-clés, essentiels à la victoire démocrate le 3 novembre 2020. Malgré sa fine silhouette, la future "First Lady" repousse, sans hésiter, une protestataire qui s'approche de son époux lors d'un meeting à Los Angeles.
Nous ne sommes pas d'accord sur tout, ce n'est pas nécessaire, on peut toujours s'aimer et se respecter. Jill Biden
"Nous ne sommes pas d'accord sur tout, ce n'est pas nécessaire, on peut toujours s'aimer et se respecter", affirme-t-elle dans un discours aux antipodes des diatribes du président sortant Donald Trump. L'énergie et l'optimisme qu'elle déploie alors augurent d'une personnalité aux antipodes de celle de l'ancienne première dame, Melania Trump, plutôt passive et effacée. "Elle fera entrer la fonction de Première dame dans le 21e siècle", prédit Katherine Jellison, spécialiste de l'histoire américaine à l’université de l'Ohio, soulignant que "la plupart des Américaines doivent concilier vie professionnelle et vie de famille".
Le sénateur républicain et allié de Donald Trump, Lindsey Graham, salue en Jill Biden "une personne remarquable" après son discours à la convention démocrate : solide aux côtés de son mari, elle y dénonce les "calomnies" lancées par le camp Trump pour "détourner l'attention". Il s'agit, à l'époque, d'accusations de corruption portées contre Joe et Hunter, le cadet à problèmes qui faisait des affaires en Chine et en Ukraine lorsque son père était numéro deux de Barack Obama. Jill Biden reste néammoins discrète face à l'accusation de viol dans les années 1990 lancée par une femme, Tara Reade, que Joe Biden a catégoriquement niée.
Jill Biden est une enseignante dans l'âme : "Jill est une mère et une éducatrice. Elle a consacré sa vie à l’éducation, mais l’enseignement, ce n’est pas seulement son travail – c’est ce qu'elle est", disait son mari fin 2020. Elle a interrompu sa carrière lorsqu'elle a eu leur fille, Ashley, en 1981, pour reprendre ensuite ses études de plus belle et décrocher un doctorat en éducation. Rien d'étonnant, donc, à ce que la "FLOTUS" - First Lady of the United States - décide de continuer, sous la présidence de son mari, à enseigner l'anglais au Northern Virginia Community College, un établissement du nord de la Virginie, près de Washington, qui cherche à démocratiser l'enseignement supérieur. Du jamais-vu pour une épouse de président.
Hormis Hillary Clinton, brièvement sénatrice à la fin du mandat de son mari Bill, Jill Biden est la première Première dame à poursuivre un temps sa carrière professionnelle hors de la Maison Blanche en 231 ans de présidence étatsunienne. Elle a ainsi transformé "à jamais les attentes et les limites" de la fonction, estime Kate Andersen Brower, auteure d'un livre sur l'histoire des Premières dames américaines.
La politologue Nicole Bacharan et l'écrivain Dominique Simonnet, auteurs d'un livre sur les Premières dames, soulignent que leur poids a pris de l'importance au fil du temps : "D'une certaine manière, elles reflètent l'histoire des femmes qui, petit à petit, revendiquent leur place dans la sphère publique, écrivent-ils. Elles incarnent particulièrement leur époque, comme Dolley Madison, qui résiste depuis la Maison-Blanche à la menace de la guerre anglo-américaine de 1812 ou Jackie Kennedy, qui symbolise l'Américaine des années 1960, traditionnelle et moderne à la fois."
De fait, l'activité professionnelle de Jill Biden ne l'a pas empêchée de se couler dans la fonction stéréotypée et relativement effacée de First Lady, chargée des décorations de Noël et du menu des dîners de gala, ainsi que de causes consensuelles, pendant les quatre ans de son époux à la Maison Blanche. Elle a également été vue et entendue défendant le droit des femmes à l'avortement après la décision de la Cour suprême annulant l'arrêt Roe vs Wade qui le garantissait au niveau national.
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Née en Pennsylvanie d'un père employé de banque et d'un mère au foyer, Jill Biden vient d'une famille de cinq filles, dont elle est l'aînée. Joe et Jill Biden se sont mariés en 1977, cinq ans après l'accident de voiture qui a emporté la première épouse du sénateur et leur fillette. Encore petits, ses deux fils survivants, Beau et Hunter, ont eux-mêmes suggéré à leur père d'épouser Jill, raconte Joe Biden dans ses mémoires : "Elle m'a redonné la vie", écrit-il.
Jill Biden raconte notamment comment l'ancien vice-président de Barack Obama a trouvé la force de reprendre ses activités à la Maison Blanche, quelques jours seulement après la mort de son fils Beau, décédé d'un cancer du cerveau en 2015. "Il a appris à guérir une famille, et de la même façon on guérit un pays : avec amour, compréhension, des petits gestes de gentillesse, du courage et un espoir inébranlable.
Depuis le 29 juin, les Biden sont réunis avec le reste de la famille à Camp David, un rassemblement prévu avant le débat, pendant lequel ils doivent évoquer “l’avenir de sa campagne de réélection”.
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