Fil d'Ariane
Escalade et skateboard aux JO de Tokyo en 2021, breakdance à Paris en 2024 … Chaque édition des Jeux olympiques d’été offre des nouveautés spectaculaires. Après avoir beaucoup évolué à la fin du XXe siècle, le programme hivernal – sept sports et 15 disciplines – est figé depuis Salt Lake City 2002. Mais le sens de l’histoire apparaît dans le détail des épreuves. A Pékin, il y en a sept inédites, dont quatre mixtes.
Le snowboard cross, le saut à skis, le patinage de vitesse sur piste courte et le ski acrobatique sont venus rejoindre le biathlon, le curling, la luge, le patinage artistique et le ski alpin au rang des disciplines réunissant hommes et femmes dans une même course aux médailles. Il y a désormais 11 épreuves mixtes sur un total de 109 au programme, soit une part de 10% qui s’inscrit dans une tendance à la hausse.
Il faut lire cette évolution dans le contexte de la quête du Comité international olympique (CIO) d’une participation équilibrée entre hommes et femmes à ses événements. Il se rapproche du but. Aux Jeux de Tokyo 2021, la représentation féminine a atteint une proportion record de 48%. Cet hiver, à Pékin, elle s’élève à 45% alors qu’elle n’était que de 30% à Lillehammer, en 1994. Soit juste avant que la parité ne soit érigée en objectif.
Le processus s’est enclenché après la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995, quand les Nations unies ont pour la première fois fait référence au sport comme «outil d’égalité des genres et d’autonomisation des femmes». Le CIO, jusque-là encore marqué par l’héritage de Pierre de Coubertin qui, dans un texte de 1912, s’était dit «hostile» à la présence d’athlètes féminines, dont la «demi-olympiade» serait «impratique, inintéressante, inesthétique et […] incorrecte», modifia l’année suivante sa Charte olympique pour y inclure la notion de la promotion des femmes dans le sport. Leur nombre s’est alors mis à croître rapidement. Côté estival, de 3512 (Atlanta 1996) à 5457 (Tokyo 2020+1). Côté hivernal, de 522 (Lillehammer 1994) à 1314 (Pékin 2022).
Des compétitions féminines sont apparues dans presque tous les sports. Il ne reste plus l’été comme bastions complètement masculins que la lutte gréco-romaine et le baseball (les femmes ont leur tournoi de softball). Aux Jeux d’hiver, le combiné nordique fait figure de dernière exception. Depuis 2010, le CIO encourage aussi la participation féminine par le développement de ces fameuses épreuves mixtes. Il n’y en avait pas moins de neuf inédites l’été dernier à Tokyo.
Certaines possèdent une histoire préolympique, à l’instar du double mixte que le curling a inventé au début des années 2000 et dont les premiers Mondiaux se sont tenus en 2008. Le format ne convainc alors pas le CIO, qui renonce encore à l’inclure au programme de Vancouver 2010. Depuis, l’instance a complètement revu sa politique et pousse les fédérations internationales à imaginer leur propre déclinaison mixte.
Leur intérêt est évident: tous les sports souhaitent accroître leur présence aux Jeux et sacrer davantage de champions. «L’introduction d’un concours mixte est très clairement une bonne chose pour notre discipline, saluait le sauteur à skis vaudois Killian Peier. Cela permet une intégration toujours meilleure des femmes, cela met en évidence leurs performances dans une compétition très attractive à la télévision, et c’est, pour ceux qui participent, une occasion de plus de gagner une médaille!»
Le premier concours mixte de saut à skis ne remonte qu’à 2012. La mixité est encore plus récente en short-track, où les premiers tests datent de l’hiver 2017-2018, et en aerials, avec une apparition aux Championnats du monde en 2019 seulement.
Aux Jeux olympiques d’été, les compétitions réunissant hommes et femmes remontent au début du siècle dernier. A Paris en 1900, la Suisse obtient une médaille d’or en voile, dans la classe 1-2 tonneaux, grâce à Hélène de Pourtalès, son mari Hermann et le neveu de ce dernier, Bernard (même si certains historiens doutent de la présence effective de la première citée à bord d’un bateau dont elle était copropriétaire). Depuis les années 1950, l’équitation réunit les concurrents sans distinction de genre dans toutes ses épreuves. Les compétitions mixtes en tennis et badminton possèdent également une longue tradition et elles mettent aux prises tous les acteurs sur le même terrain.
C’est différent aux Jeux d’hiver. La plupart des épreuves mixtes se contentent d’agréger les performances d’hommes et de femmes sans les mettre frontalement aux prises. L’affrontement est souvent séquencé: un homme contre un homme, puis une femme contre une femme, et ainsi de suite. Les genres sont mélangés, mais comparés le moins possible. Comme lors de l’épreuve de saut à skis, où tout le monde s’élance du même tremplin mais pas du même palier.
Le sport n’a pas attendu la prolifération d’épreuves mixtes aux Jeux olympiques pour faire en sorte que les performances masculines et féminines ne s’inscrivent pas sur la même échelle de valeur. L’Xtreme de Verbier réserve le sommet du Bec des Rosses aux hommes. La Fédération internationale de ski a toujours refusé à l’Américaine Lindsey Vonn, qui a aujourd’hui pris sa retraite sportive, le «kif» de participer à la descente masculine de Lake Louise.
Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres. Les responsables justifient toujours leur politique en disant que ce n’est pas dans l’intérêt du sport féminin de se jauger à la lumière des performances masculines. Mais «souvent, ce sont des hommes qui ont créé les règles séparant les hommes et les femmes», souligne au micro d’Europe 1 Béatrice Barbusse, ancienne handballeuse, sociologue et autrice en 2016 de Du sexisme dans le sport.
Le biathlon a proposé un relais mixte équilibré de 4 x 6 km à Pékin, mais toutes les épreuves féminines sont plus courtes que celles des hommes (15 km contre 20 km pour l’individuelle). Idem en ski de fond, où l’épreuve d’endurance dure 50 km pour les hommes et 30 pour les femmes. En patinage de vitesse, l’épreuve la plus longue, le 10 000 mètres, reste réservée aux hommes. En la matière, les Jeux olympiques ne font que reproduire les formats de compétition en vigueur par ailleurs.
En ski alpin, point de comparaison possible non plus entre hommes et femmes puisque les pistes tracées pour ces dernières sont systématiquement plus courtes. Cela repose sur les très officiels «Règlements des concours internationaux de ski», qui posent par exemple que le dénivelé d’une descente olympique masculine doit être compris entre 800 et 1100 mètres, tandis que celui de l’épreuve féminine doit se situer dans la fourchette 450-800 mètres. Soit. Mais dans la station de Yanqing, même le slalom féminin est amputé par rapport à celui des hommes (de 60 mètres de dénivelé) alors que les fameux «Règlements» fixent pour les deux genres la même limite supérieure de 220 mètres.
Le Team Event a introduit la mixité dans la discipline à l’occasion des Jeux de Pyeongchang en 2018. La Suisse l’a remportée pour le plus grand bonheur de Wendy Holdener. «Pour moi, c’est une compétition cool car c’est la dernière et elle nous donne l’occasion de finir ensemble, en tant qu’équipe, commente la skieuse. Dans notre sport comme dans les autres qui incluent une épreuve par équipes, cela met l’accent sur le fait qu’on ne réussit pas tout seul. Il faut des coéquipiers qui nous poussent, un staff, etc.»
Tout le monde ne partage pas son enthousiasme. Le Team Event est boudé par de nombreuses stars, qui peinent à s’intéresser au format parallèle et voient dans le mode à élimination directe une entorse aux traditions de leur discipline. A Pékin, le parcours sera un géant mais le champion olympique de la spécialité, Marco Odermatt, ne sera pas au rendez-vous, préférant largement se consacrer à sa quête du classement général de la Coupe du monde qu’à ce que beaucoup considèrent, sans l’affirmer publiquement, comme une compétition de deuxième catégorie.
Dans les disciplines souffrant d’une couverture médiatique moins importante que le ski alpin, on ne fait toutefois pas la fine bouche devant une possibilité supplémentaire de briller. «Une médaille est une médaille, tu l’obtiens grâce à tes performances, il n’y a aucune raison de moins la valoriser parce qu’elle est acquise par équipes mixtes», lançait Killian Peier, qui aurait été ravi de défendre les couleurs suisses dans une telle épreuve à Pékin.