JO 2024 : la judokate afghane Friba Rezayee appelle au boycott des talibans

Première femme à représenter l'Afghanistan aux Jeux olympiques, en 2004, Friba Rezayee milite depuis des décennies pour les droits humains. Aujourd'hui exilée au Canada, elle appelle le Comité olympique à exclure son pays d'origine des Jeux de Paris, en raison des privations de liberté infligées aux Afghanes par le régime taliban.

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Friba Rezayee

Friba Rezayee

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"Les preuves accablantes du traitement brutal des femmes et des enfants par les talibans mettent en évidence le danger qu'ils représentent", déclarait-elle dès avril 2024 à l'agence de presse Reuters. 

Les autoriser à participer aux Jeux olympiques de Paris en 2024 représente un risque important. Friba Rezayee, judokate afghane

Aujourd'hui installée au Canada, à Vancouver, Friba Rezayee insiste : "Les autoriser à participer aux Jeux olympiques de Paris en 2024 représente un risque important."

Solidarité olympique avec les Afghanes

Son appel fait écho à celui du collectif "Paris 2024", créé à l'initiative de la Ligue du Droit International des Femmes, dès la candidature de Paris pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Le dimanche 23 juin 2024, à l'occasion de la Journée internationale de l'olympisme, à près d'un mois de l'ouverture des Jeux, un "parcours de la flamme" symbolique a relié les places de la Bastille et de la République, à Paris, avec pour objectif d'interpeller le Comité international olympique (CIO) sur le respect de la charte olympique "en solidarité avec les Iraniennes et les Afghanes" qui subissent "une dictature religieuse les privant de tout droit". 

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Friba Rezayee était venue soutenir le mouvement. Au journal Le Point, elle déclare : "Les talibans ont interdit toute forme d'éducation et la pratique sportive aux filles et aux femmes, fermant toutes les installations sportives ou de gym. Les punitions si leurs ordres ne sont pas suivis incluent l'emprisonnement et la torture. Ils ont également imposé la burqa et le voile obligatoire, ce qui est humiliant pour les femmes et symbolise l'apartheid sexuel. "

Notre dossier → Femmes afghanes sous régime taliban : au nom de la liberté

Les athlètes afghanes font leur révolution

Le parcours de Friba Rezayee est intimement lié à l'histoire troublée de son pays. Féministe, militante et pionnière, elle a dix ans  lorsque les talibans arrivent pour la première fois au pouvoir en Afghanistan, en 1996. Sa famille se réfugie alors au Pakistan, où la jeune fille peut poursuivre ses entraînements de judo. 

En 1999, le Comité national olympique afghan est suspendu et exclu des Jeux de Sydney en 2000 en raison de ses manquements aux droits humains, à commencer par ceux des femmes, avant d'être rétabli après la chute des talibans, en 2001. C'est ainsi que Friba Rezayee peut rentrer dans son pays et participer aux Jeux d'Athènes de 2004, première athlète féminine sous la bannière afghane avec la sprinteuse Robina Muqimyar. Une révolution pour les femmes et les filles afghanes !

Je pensais que nous ne ferions que progresser. Friba Rezayee

Bien qu'éliminée au premier tour, la judokate espérait alors que sa présence aux JO ferait progresser les droits des femmes. "Je pensais que nous ne ferions que progresser", déclare-t-elle à Reuters. Toujours est-il qu'elle a incité des centaines de jeunes Afghanes à se lancer dans le sport et que sa participation aux Jeux olympiques d'Athènes a aussi été une révolution pour les droits des femmes vers plus d'égalité, de démocratie, de liberté. "Ces deux dernières décennies, nous avons réalisé des progrès significatifs et les femmes ont pu pratiquer différents sports tels que le volley-ball, le basket-ball, le football et les arts martiaux", dit-elle dans son entretien avec le journal Le Point lors de sa venue à Paris pour soutenir l'initiative du collectif "Paris 2024", le 23 juin.

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Soutenir les femmes et les filles

De retour des Jeux d'Athènes, Friba Rezayee reste inquiète : son pays lui semble encore instable. Alors elle décide d'émigrer au Canada en 2011, où elle passe un bachelor en Sciences politiques de l'université de Colombie-Britannique – pionnière, encore, elle est la première femme de sa famille à obtenir un diplôme d'études supérieures.

Aujourd'hui, Friba Rezayee continue de pratiquer le judo, mais elle s'efforce également de rendre accessible sport et éducation aux femmes et aux filles d'Afghanistan par l'intermédiaire de son organisation Women Leaders of Tomorrow (Femmes leaders de demain) et du projet GOAL (Girls of Afghanistan Lead), surtout depuis août 2021, lorsque le retour au pouvoir des talibans réduit définitivement ses espoirs à néant.

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Le CIO frileux et partagé

En réponse à l'appel de Friba Rezayee, le Comité international olympique cite James Macleod, directeur des relations avec les comités nationaux olympiques et de la solidarité olympique, qui, en mars 2024, déclarait que le CIO s'efforçait de contrer les restrictions imposées par l'Afghanistan en matière de sport pour les femmes et les jeunes filles. Les opinions sont partagées quant à la suspension du comité afghan, dit-il, soulignant néanmoins que le CIO considère actuellement improductif l'isolement de la communauté sportive afghane. 

Friba Rezayee estime que si l'Afghanistan devrait être banni, les femmes afghanes, elles, devraient avoir la possibilité de concourir dans le cadre de l'équipe olympique des réfugiés du CIO. Ce à quoi le CIO répond que les athlètes doivent avoir le statut de réfugié de l'agence des Nations unies pour les réfugiés afin de se qualifier dans cette équipe. 

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Quant à Zabiullah Mujahid, porte-parole des talibans, il s'abstient de commentaires. Les talibans, s'ils affirment respecter les droits des femmes dans le cadre de leur interprétation de la loi islamique, ont fermé les lycées pour filles et imposé de sévères restrictions aux femmes, notamment en limitant leurs déplacements sans la présence d'un tuteur masculin et en leur interdisant l'accès aux parcs et aux salles de sport. En février 2024, un expert des Nations unies soulignait ces violations sans précédent des droits des femmes et des filles, ainsi que l'augmentation de la violence sexiste depuis l'arrivée au pouvoir des talibans.

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