Fil d'Ariane
Pour la première fois dans l'histoire des Jeux olympiques, y aura-t-il à Paris autant de femmes que d'hommes ? Chez les sportifs, oui, mais pas chez les entraîneurs, où la parité demande encore modèles et soutiens.
Le Britannique Andy Murray, à droite, avec son entraîneure Amélie Mauresmo avant son match contre l'Australien Bernard Tomic à l'Open d'Australie de tennis à Melbourne, en Australie, le 24 janvier 2016.
"Un réel fossé de genre existe toujours dans l'entourage des athlètes", reconnaît le Comité international olympique (CIO), qui a dénombré 13% de femmes coaches aux JO-2020 de Tokyo et 10% aux Jeux d'hiver de Pékin en 2022, contre 11% à Rio-2016 et 9% à Pyeongchang-2018.
Voir une femme entraîner un homme demeure une rareté abondamment commentée, comme l'avait vécu l'ex-N.1 mondiale du tennis Amélie Mauresmo lorsqu'elle avait accompagné Andy Murray en 2014-2016, au prix d'un concert de réflexions sexistes. "Avant, c'était toujours moi le problème, et c'est à moi que les critiques étaient adressées en cas de défaite. Avec Amélie, les questions que l'on me posait la plupart du temps si je perdais un match concernaient notre relation. Je n'avais jamais été confronté à cela", racontait l'Ecossais en 2020 au quotidien suisse Le Temps.
Pour les jeunes femmes qui veulent entraîner au plus haut niveau, c'est bien plus facile d'y croire si elles peuvent voir quelqu'un d'autre le faire. Karin Harjo
Avant d'arriver sur le banc des Bleues, Corinne Diacre avait elle aussi créé l'événement en devenant en 2014 la première coach d'une équipe professionnelle masculine de football, Clermont, alors que l'Américaine Becky Hammon poussait la même année la porte de la NBA, nommée entraîneure-adjointe des San Antonio Spurs.
Le haut niveau féminin reste lui très largement encadré par des hommes, même si parmi les sportives de premier plan, la gymnaste Simone Biles s'est entraînée avec Aimee Boorman avant de rejoindre les Français Cécile et Laurent Landi, et la skieuse Mikaela Shiffrin a choisi en 2023 l'Américano-Norvégienne Karin Harjo.
"Il s'agit de mettre davantage en lumière les entraîneures", annonçait la meilleure skieuse de l'histoire au New York Times. "J'ai accompli beaucoup de choses, mais peut-être qu'à ce stade de ma carrière, je peux donner à d'autres femmes entraîneures de ski un aperçu de ce qu'il faut viser".
Karin Harjo, forgée par une enfance norvégienne "sans séparation" entre filles et garçons, assume le rôle d'exemple : "Pour les jeunes femmes qui veulent entraîner au plus haut niveau, c'est bien plus facile d'y croire si elles peuvent voir quelqu'un d'autre le faire", confiait-elle en 2023.
Miser sur l'effet d'entraînement est d'ailleurs la stratégie de l'agence britannique UK Sport, qui entendait en 2021 passer de 10 à environ 25% d'entraîneures d'ici Paris-2024, aux JO comme aux Jeux paralympiques : l'organisation a désigné des mentors comme Mel Marshall, coach du double champion olympique du 100 m brasse Adam Peaty, ou Jane Figueiredo, qui a notamment conduit Tom Daley et Matty Lee à l'or du plongeon synchronisé à 10 m aux JO de Tokyo.
Pourtant la rareté des modèles est loin d'être le seul obstacle, explique à l'AFP Elizabeth Pike, sociologue à l'Université anglaise de Hertfordshire et responsable du programme Wish du CIO destiné aux entraîneures, évoquant "un contexte social plus large".
Les coaches sont le plus souvent recrutés "via des canaux informels" favorables aux hommes, historiquement plus présents dans le sport, souligne la chercheuse. Pour elle, les femmes se heurtent aussi à "des stéréotypes" sur leurs compétences, "un réseau de soutien limité", ainsi qu'un "manque de flexibilité" sur la conciliation avec les tâches familiales, qui leur incombent encore très majoritairement.
Dans des pays plus traditionnels, il est d'autant plus important d'avoir des entraîneures que les hommes ne peuvent travailler de la même façon avec les femmes athlètes. Sheila Stephens Desbans
Par ailleurs, au-delà des initiatives au Royaume-Uni, au Canada ou en Nouvelle-Zélande, l'idée est de toucher aussi "des pays plus traditionnels, où il est d'autant plus important d'avoir des entraîneures que les hommes ne peuvent travailler de la même façon avec les femmes athlètes", souligne Sheila Stephens Desbans, responsable du développement du sport au CIO.
Depuis 2019, le CIO a donc proposé à 123 femmes coaches issues de 22 disciplines et 60 pays un cursus mêlant ateliers en ligne, mentorat et rencontres. Au moins six d'entre elles sont assurées d'être à Paris, dont la Tunisienne Marwa Amri, médaillée de bronze en lutte (58 kg) aux JO-2016 de Rio, qui avait commencé à entraîner des enfants pendant sa carrière et encadrera deux lutteuses à Paris. "J'ai beaucoup appris : gagner en confiance, assumer des responsabilités de leadership, rencontrer des entraîneurs du monde entier dans divers sports, partager nos expériences", raconte l'ex-championne à l'AFP.
Le programme se poursuivra après les Jeux, tant développer des coaches d'élite est un travail de longue haleine, rappelle Yassine Yousfi, responsable de l'unité entourage au CIO : "Au niveau amateur, il y a énormément de femmes investies dans les clubs. Plus vous montez, plus la sélection est difficile, d'où nos programmes pour que ces femmes aient tous les outils."
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