Avec la surfeuse Vahine Fierro, le mythe de la Tahitienne fait long feu

Vahine Fierro a été la première surfeuse française à s'imposer au Tahiti Pro. Un "rêve de gosse" réalisé en domptant la terrible vague de Teahupo'o. Favorite aux JO 2024, la jeune femme de 24 ans s'est inclinée devant une autre Française, Johanne Defay.


 

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vahine fierro

3 octobre 2018, WCT féminin, Hossegor, France

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Venue de la petite île de Huahine, dans l’archipel des Îles-sous-le-Vent, en Polynésie française, Vahine Fierro tutoie les meilleures surfeuses du monde. Elle a disputé les JO-2024 sur la vague de Teahupoo, qu’elle surfe presque tous les jours, mais les choses ne se sont pas passées comme elle l'espérait.

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Face à la Réunionnaise Johanne Defay, la Tahitienne a perdu ce duel franco-français le 1er août dans un huitième de finale serré. Très à l’aise dans les tubes de Teahupo'o quand la houle est forte, la locale Vahine Fierro a été dominée sur de petites vagues plus techniques. Elle est tombée sur les rares tubes de la série, tandis que Johanne Defay enchaînait les manoeuvres sur des vagues plus modestes.

Elle n’a pas besoin de gagner une médaille pour montrer qu’elle est la patronne ici. Johanne Defay

"Je sais que ça ne va pas la réconforter, mais elle n’a pas besoin de gagner une médaille pour montrer qu’elle est la patronne ici", a déclaré sa rivale et amie Johanne Defay. Sur une vague qu’elle connaît par cœur, Vahine Fierro rêvait pourtant d’une médaille d’or à domicile. "Teahupo'o m’a toujours donné les plus belles leçons de ma vie et je sais que ça fait partie d’une des étapes que je devais traverser, même si c’est dur", a déclaré, en pleurs, la surfeuse de 24 ans, après avoir félicité son adversaire et amie.  

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Première Française vainqueure du Tahiti Pro

Le 29 mai 2024, à deux mois des JO, l'enfant de Huahine devient, à 24 ans, la première Française de l'histoire à remporter le Tahiti Pro sur cette redoutable Teahupo'o qu'elle connaît si bien. Etape phare du circuit pro, le Tahiti Pro se déroule tous les ans à Teahupo'o depuis 1997. Le spot est admiré et craint du monde entier pour ses tubes imposants et translucides qui s'écrasent avec violence sur un récif peu profond. Invoquant la dangerosité du spot, les organisateurs de la World Surf League (WSL) n'y ont pas tenu de compétition féminine entre 2006 à 2021. Et depuis 2022, les jours les moins engagés sont le plus souvent utilisés pour les séries féminines. Pas le 29 mai 2024.

Invitée par les organisateurs de la compétition, la surfeuse s'est imposée en finale face à la Costaricienne Brisa Hennessy après un parcours magistral. "C'est fou. Il y avait énormément d'énergie dans la vague et des grosses séries. Je n'ai pas les mots", a-t-elle lancé, en larmes, après sa victoire, avant de remercier celui qui allait être champion tricolore aux JO, Kauli Vaast, présent à l'eau pour l'encourager.

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Teahupo'o, la vague ultime

Depuis trois ans qu'elle parcourt le monde à l'occasion des Challenger Series (l'équivalent de la 2e division), elle a parfaitement utilisé sa connaissance des vagues de Teahupo'o pour vaincre trois surfeuses expérimentées de l'élite mondiale. "Il n’y a que quatre ou cinq filles à l’aise à Teahupoo quand c’est gros, et Vahine Fierro en fait partie", estime l’un des surfeurs tahitiens les plus réputés, Raimana Van Bastolaer.

Vahine m'a tellement poussée, elle a si bien surfé. Weston-Webb

Pour signer cet exploit, elle a fait face à l'Australienne Molly Picklum, troisième mondiale, puis à la Brésilienne Tatiana Weston-Webb, septième, lors d'une demi-finale d'anthologie où les deux jeunes femmes ont enchaîné les tubes dans des rouleaux de plus de 3 mètres. La Brésilienne n'a pu que saluer la Tahitienne et se réjouir pour l'avenir du surf féminin à Teahupo'o. "Vahine m'a tellement poussée, elle a si bien surfé", reconnaît Tatiana Weston-Webb, 28 ans, très à l'aise dans les grosses vagues. "J'ai voulu aller au bout pour les surfeuses, pour montrer qu'elle peuvent aussi briller ici. Le spectacle a été dingue. Je suis aussi excitée que si j'avais gagné", ajoute-t-elle. 

C'est dans ces conditions-là qu'on va se pousser les unes les autres, qu'on va tomber, réessayer et montrer qu'on est capable de surfer ici. Vahine Fierro

"On voulait toutes surfer aujourd'hui et la WSL a écouté, j'en suis très heureuse. C'est dans ces conditions-là qu'on va se pousser les unes les autres, qu'on va tomber, réessayer et montrer qu'on est capable de surfer ici", s'est réjouie Vahine Fierro.

La guerrière en son jardin

En finale, et alors que les vagues continuaient de grossir, la Tahitienne pris sans trembler la mesure de Brisa Hennessy grâce à deux vagues notées 8.50 et 6.67 par les juges, contre deux évaluations à 7 et 5 pour son adversaire. "Elle connait cette vague par coeur, c'est son jardin. Elle fait tout simplement partie des meilleures sur ce spot", confiait avant l'événement le manager de l'équipe de France Jérémy Florès, seul Français à s'être jamais imposé à Teahupo'o en 2015.

On est capable de surfer Teahupo'o. Toutes les filles se sont poussées et il y en a pas une qui n'a pas essayé. C'est tellement positif pour le surf féminin. Vahiné Fierro

En 2023, à 23 ans, la jeune femme éclabousse de son talent l'épreuve annuelle du circuit pro sur la Teahupoo. Dans des conditions engagés, elle vient à bout de l'Hawaïenne Carissa Moore, cinq fois championne du monde, avant de s'octroyer la troisième place de l'événement. Pour Jérémy Florès, entraîneur de l'équipe de France de surf, "beaucoup ont peur de se lancer alors qu’elle y va la tête en bas, il faut en avoir une sacrée paire pour faire ça : elle a ce côté guerrier". Et son lien avec la vague tahitienne n’est pas seulement sportif ; il remonte à ses racines. "Elle connaît les vieilles histoires de Teahupoo, il y a un côté 'énergie', spirituel", assure Florès.

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Entretien avec Vahine Fierro

Quel est votre état d'esprit juste après votre victoire historique, sur ce spot que vous surfez depuis l'adolescence ?

Vahine Fierro : J'ai mal partout, je n'arrive plus à parler, je suis fatiguée ! J'ai pris les plus belles vagues de ma vie, comme les plus belles gamelles pendant cette compétition. C'était vraiment intense, mais j'avais cette énergie qui me poussait. Teahupo'o me donnait les vagues qu'il fallait et dans le lagon il y avait mes amis, ma famille, les fans tahitiens. Je suis peut-être la première, mais c'est grâce à tout le monde que j'en suis arrivée là.

A l'eau, Jérémy Florès, manager de l'équipe de France de surf olympique, et Kauli Vaast, qui représentera les Bleus et Tahiti aux JO comme vous, ont passé leur temps à vous parler. Cela vous a aidé ?

"Cela faisait un moment que je n'avais pas gagné de compétition. C'était un rêve de gosse de gagner à Teahupo'o, chez moi. Avec Jérémy et Kauli, on a fait des heures et des heures d'entrainements ces six derniers mois et j'ai perdu toutes mes séries contre Kauli. Il y est pour beaucoup dans cette victoire, car c'est quelqu'un qui me pousse, qui m'aide, qui me guide. Le surf est un sport individuel, mais il y a un vrai esprit de groupe dans cette équipe de France.

La journée a été marquée par votre confrontation en demi-finale face à la Brésilienne Weston-Webb qui a signé une vague parfaite, vous passant devant à seulement deux minutes de la fin de la série. Comment vous êtes vous remobilisée ?

J'avais chuté quatre fois dans le lagon, j'avais cassé ma planche, mais je suis revenu au pic. Je l'ai vue prendre sa vague notée 10 par les juges juste devant moi et il me restait juste le temps d'en prendre une. J'y croyais encore... Teahupo'o m'a donné la vague, il m'a suffit de faire confiance à l'océan.

Cette compétition dans de grosses conditions a montré que les femmes, barrées du Tahiti Pro par les organisateurs entre 2007 et 2021 pour des raisons de sécurité, avaient toute leur place ici ?

"On voulait toutes surfer aujourd'hui et la World Surf League a écouté, j'en suis très heureuse. C'est dans ces conditions-là qu'on va se pousser les unes les autres, qu'on va tomber, réessayer et montrer qu'on est capable de surfer Teahupo'o. Toutes les filles se sont poussées et il y en a pas une qui n'a pas essayé, qui n'a pas bouffé de l'eau. C'est tellement positif pour le surf féminin"

Vous êtes désormais favorite aux JO de Paris dans (27 juillet au 5 août à Teahupo'o), que reste-t-il à préparer pour être au rendez-vous ?

R: "Les Jeux sont déjà là, on s'y prépare tous les jours avec Jérémy, Kauli, Johanne Defay et Joan Duru (les deux autres français qualifiés pour les Jeux). Cette compétition c'était un entraînement pour nous. J'ai gagné aujourd'hui, mais je pourrais avoir des conditions plus petites ou plus grosses cet été. Il va falloir continuer à s'entraîner avec l'équipe pour être la meilleure, peu importe les conditions".

Racines tahitiennes

Vahine Fierro naît quelques jours avant l’an 2000 à Raiatea, et grandit sur l’île voisine, Huahine. Quelques semaines après sa naissance, elle observe déjà son père sur les vagues, depuis le petit bateau familial. Andrew Fierro est un surfeur américain aguerri. Il a d’ailleurs rencontré son épouse, Fanny, une institutrice de Huahine, lors d’un surf trip en Polynésie.

La petite Vahine apprend très tôt à nager et veut prendre ses premières vagues dès l'âge de cinq ans, sur un bodyboard. "Elle a carrément kiffé dès le début, elle avait son petit gilet, elle mettait sa main sur ma tête", se souvient son père, qui fabrique des dizaines de planches de surf pour ses filles : Vahine, puis ses petites soeurs Heimiti et Kohai.

On a basé notre éducation sur un principe : terminer les choses commencées. Fanny Fierro

Toute la famille surfe chaque jour après l’école. Et, dès l’âge de huit ans, sans ses parents qui n’ont pas les moyens de l’accompagner, Vahine Fierro part disputer une compétition en Nouvelle-Zélande. Puis décide à 15 ans de vivre en internat sur l’île de Tahiti, où le lycée de Papara propose une section surf. Elle découvre ensuite Teahupoo, qu'elle apprendra notamment à surfer dans des grosses conditions grâce au surf tracté par un jet-ski.

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La fin du cliché ?

A 18 ans, Vahine Fierro est championne du monde junior. Mais son grand drame, c'est d'avoir échoué à plusieurs reprises aux portes du WCT, le tour mondial qui rassemble les 17 meilleures surfeuses de la planète. "L’an dernier, elle l’a manqué de quatre places, les deux années précédentes elle était à une place de passer", regrette son père. Une seule série mal négociée en compétition sonne le glas d’une année d’espoirs. "Le surf, c’est un 'roller coaster', il y a toujours des hauts et des bas", dit Andrew. 

Vahine est très prévoyante, posée, limite maniaque, très préparée", observe le coach olympique Hira Teriinatoofa

La surfeuse s’accroche alors à ses proches, mais aussi à son éducation chrétienne, selon sa mère : "la foi joue dans sa personnalité et on a basé notre éducation sur un principe : terminer les choses commencées". Ses proches lui reconnaissent une seule faiblesse, son manque de confiance en elle. "Ce qu’elle pourrait corriger, c’est d’être plus agressive dans l’eau, d’être moins gentille avec les autres", analyse sa soeur Heimiti, qui juge toutefois qu’elle a progressé sur ce plan.

Et, dans les périodes de doute, la jeune femme se rassure avec une organisation sans faille. "Vahine est très prévoyante, posée, limite maniaque, très préparée", observe le coach olympique Hira Teriinatoofa, également tahitien. "Elle est très structurée, très organisée et 'healthy' : c’est une machine au niveau nutrition", ajoute Jérémy Florès, qui est aussi l’un de ses meilleurs amis.

Quand elle ne dompte pas les vagues, Vahine est réserviste de la police nationale. Elle se voit bien poursuivre dans les forces de l’ordre après sa carrière sportive. "J’envisage peut-être d’intégrer la police aux frontières ou des équipes sur mer. C’est ce qui m’attire le plus", confie-t-elle à nos confrères du Parisien. Depuis 2020, elle est aussi ambassadrice d’une compétition locale, la Vahine Cup, qui se tient chaque année pour promouvoir le surf féminin.

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Avec les hauts et les bas de son parcours, sa discipline et son mental de championne et de policière, avec ses faiblesses et ses forces, Vahiné Fierro est décidément bien loin du cliché de la vahiné, diffusé par les premiers colons. Une femme de plus vers la déconstruction d'un stéréotype très sexiste.

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