Clarisse Agbegnenou a été choisie pour porter les couleurs du drapeau français lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Tokyo, le 23 juillet 2021. La judokate, championne du monde en titre, se bat sur le tatami comme dans les médias contre le sexisme et pour que les femmes soient plus visibles dans le sport et les compétitions. "On fait les mêmes sports, on devrait être aussi médiatisées que les garçons", nous confiait-elle lors de notre rencontre à l'occasion de l'opération "Sport féminin toujours".
Elle est la judokate française la plus titrée de l'histoire. Avec cinq titres mondiaux à son palmarès (2014, 2017, 2018, 2019 et 2021), Clarisse Agbegnenou approche du record féminin en la matière, fixé à sept. Il ne lui manque plus qu'une médaille d'or olympique... Et c'est bien ce qu'elle ira chercher à Tokyo fin juillet. Avec son nouveau rôle de porte-drapeau, qu'elle endossera lors de la cérémonie d'ouverture, la Française espère trouver, l'énergie qui la portera
"vers cette dernière médaille olympique qui manque à mon palmarès",
déclarait-elle mi-avril sur France Info.
En 2016, pour sa première participation aux Jeux, à Rio, elle avait décroché la médaille d'argent, "Ce n'est pas la bonne médaille pour moi, mais c'est ma première", avait-elle déclaré, déçue de sa seconde place.
Le drapeau français qu'elle portera haut lors de la cérémonie à Tokyo le 23 juillet, elle le défend aussi à la ville, en tant que gendarme. Engagée depuis 2014, Clarisse Agbegnenou a été promue adjudante en avril dernier. Membre de l'Armée des champions, la judokate a remporté les championnats du monde militaire en 2018, ajoutant ainsi un nouveau titre à son palmarès.
Un "sexisme ordinaire" dans le judo aussi
C'est à l'occasion des journées "Sport féminin toujours", il y a trois ans, que nous avions rencontré Clarisse Agbegnenou.
Dans le dojo de l’INSEP, sous le regard du "père du judo", le japonais Jigoro Kano, dont le portrait trône au mur, la concentration des judokates est maximale. Il faut dire que certaines se préparent à disputer, le Grand Slam de Paris, tournoi majeur organisé chaque année depuis 1971 par la Fédération française de judo.
Selon le rapport du CSA de 2017, les retransmissions sportives féminines dans les médias sont en augmentation depuis 2012 : la part de volume horaire consacrée au sport féminin sur la totalité des retransmissions sportives télévisées serait passée de 7 % en 2012 à 20 % en 2016. De fait, ces programmes, dont certains connaissent d’excellentes audiences, deviennent de plus en plus rentables. Lors des Jeux olympiques de Rio, en 2016, 5,6 millions de téléspectateurs ont suivi devant leur téléviseur la finale de judo « femmes +78 kg ».
On fait les mêmes sports, on devrait être aussi médiatisées que les garçons.
Clarisse Agbegnenou
Pour Clarisse Agbegnenou, cette progression n’est pas suffisante. « On ne voit pas assez les féminines. Ça commence, mais ce n’est pas assez. On fait les mêmes sports, on devrait être aussi médiatisées que les garçons ».
Les programmes sportifs, eux aussi, accordent moins de place aux femmes. Le rapport du CSA indique qu’en 2016, le pourcentage de femmes qui prennent la parole dans les magazines consacrés au sport, qu'elles soient journalistes, chroniqueuses, expertes ou supportrices, est de seulement 17%.
"Grâce pour les filles, force pour les garçons"
Si les femmes sont de plus en plus nombreuses, et plus régulières, dans leur pratique sportive, selon une étude de l’INSEE de 2017, les écarts persistent entre les deux sexes puisque 45 % des femmes pratiquent un sport contre 50 % des hommes. L’étude explique cet écart par la persistance des stéréotypes de genre : les femmes, qui consacrent plus de temps aux tâches ménagères et parentales, sont moins disponibles. En outre, le sport choisi l’est souvent en faveur des valeurs qu’il véhicule "grâce pour les filles, force pour les garçons".
Certains garçons disent que le judo féminin et le judo masculin, ce n’est pas la même chose. Pourtant nous, les féminines, sommes tout aussi fortes que les garçons.
Clarisse Agbegnenou
Ce "
sexisme ordinaire" est donc bel et bien présent dans le monde du sport. «
Il y’a toujours des petites remarques, ça a toujours été comme ça », confie Clarisse Agbegnenou. «
Certains garçons disent que le judo féminin et le judo masculin, ce n’est pas la même chose. Pourtant nous, les féminines, sommes tout aussi fortes que les garçons ».
Plus de médailles chez les féminines
Pourvoyeur de championnes, à l'instar de Clarisse Agbegnenou, mais aussi d'Audrey Tcheuméo, Emilie Andéol, Lucie Décosse et bien d'autres, le judo féminin français séduit de plus en plus. Les licenciées féminines, selon la Fédération française de judo, qui en dénombre 147 726 pour la saison 2018-2019, seraient de plus en plus nombreuses et représenteraient 26% des licencié-e-s français.
Si, en 2017, trois fois plus d’hommes que de femmes participent à des compétions, soit 17% contre 52% selon l'Insee, les judokates féminines, elles, remportent plus de médailles que les hommes. N’en déplaise au champion olympique de judo, David Douillet, qui écrivait dans son autobiographie en 1998 : «
Pour moi, une femme qui se bat au judo ce n'est pas quelque chose de naturel, de valorisant. Pour l'équilibre des enfants, je pense que la femme est mieux au foyer ». Les filles du judo français prouvent le contraire comme lors du Grand Slam de Paris - tournoi qui ne s'est ouvert aux femmes que seize ans après sa création, en 1988, et remporté en 2020 par Clarisse Agbegnenou.
D'autant plus que chez les Français-es, Clarisse, avec sa médaille remportée cette année, et même si bien-sûr elle reste derrière Teddy Riner, 10 fois champion du monde, vient de détrôner David Douillet et ses quatre titres. Comme quoi une femme n'a pas à choisir entre le foyer et le tatami, faut-il encore le rappeller ?