Comme l’a rappelé en mai 2014 le procès Minova, où seuls deux soldats congolais ont été condamnés pour viols alors qu’ils étaient 39 accusés, l’impunité perdure dans l’Est de la République démocratique du Congo. Issus de milices rebelles ou de l’armée régulière, les militaires qui pillent et violent ne sont que très rarement condamnés et, quand ils le sont, la peine n’est pas appliquée et les victimes ne sont pas indemnisées. Que faire pour redonner un nouveau souffle à la justice dans cette région meurtrie ? Des réponses avec le nouveau bâtonnier de Goma, Joseph Dunia Ruyenzi. Connu pour son engagement de longue date en faveur des droits humains, il était invité à Paris en octobre par l’ONG Amnesty International et l’association Forum Réfugiés-Cosi.
“La justice a jusque là été mise en échec“
CS - Après un séjour à Bruxelles, vous êtes de passage à Paris pour rencontrer vos confrères français. Qu’attendez-vous de ces échanges entre avocats ?
Joseph Dunia Ruyenzi : Elu en juin dernier à la tête du barreau de Goma qui compte 332 avocats dont une cinquantaine de femmes, je veux créer une nouvelle dynamique en invitant des avocats étrangers à venir travailler avec nous à Goma. Cela permettrait de mettre en place un échange de savoir-faire et de faire participer nos confrères à des plaidoiries dans des procès d’affaire pénale. Ils pourraient alors pleinement comprendre les dysfonctionnements de notre système judiciaire et les relayer à l’échelle internationale. Il faut que la communauté internationale entende nos problèmes.
En mai dernier, le procès Minova a beaucoup déçu. Alors que 190 femmes ont eu le courage de porter plainte et que 90 d’entre elles ont même témoigné à la barre, seuls deux militaires de l’armée régulière (FARDC) sur les 39 prévenus ont été condamnés pour viols. Ce verdict vous a-t-il, vous aussi, choqué ?
JDR - Ce procès de 830 femmes et filles violées dans la localité de Minova (50 km de Goma), lors de la déroute des troupes congolaises face à l’avancée des rebelles du M23 entre le 20 et 30 novembre 2012, est un échec total. Les bourreaux n’ont pas été condamnés et les victimes n’ont pas trouvé réparation devant la justice congolaise. Cela a été une vraie déception. D’autant qu’il y a eu beaucoup d’espoirs mis dans ce procès car la cour semblait s’activer. Il y a eu des enquêtes, des recueils de témoignages, des descentes sur le terrain pour reconstituer les faits. Les victimes et l’ensemble de l’opinion publique avaient le sentiment que la justice voulait faire un différence, voulait montrer qu’avec une telle gravité des faits dénoncés, l’impunité ne pouvait pas continuer. A Minova, il y a eu non seulement des viols massifs mais aussi des assassinats, des pillages et des destructions de bâtiments publics tels que le dispensaire et les écoles qui ont servi de bois de chauffage. Donc tout le monde pensait que ce procès allait servir d’exemple pour apaiser les souffrances et répondre aux problèmes posés par les viols et les pillages de l’armée. Or, le verdict a été extrêmement clément.
Le verdict semble d’autant plus injuste que les victimes ne peuvent pas faire appel...
JDR - En effet, comme ce procès relève de la justice miliaire, la procédure d’appel n’est pas possible. La cour militaire opérationnelle de Goma, qui était chargée de juger les prévenus, siège en premier et en dernier ressort. C’est une injustice gravissime parce que tout citoyen a le droit de demander à ce que la décision d’un juge soit revue par un second juge.
Qu’est-ce qui a dysfonctionné dans ce procès ?
JDR - La cour a été clémente en raison d’abord de la difficulté qu’elle a eue à établir les preuves. C’est parce qu’elle manquait de preuves tangibles qu’elle n’a pas pu établir clairement les responsabilités individuelles. En RDC, les juridictions fonctionnent sans moyens d’enquête. Il n’existe pas non plus de police scientifique par laquelle de façon médicale ou scientifique on peut établir les faits. Ensuite, les officiers et sous-officiers supposés responsables ont été dispersés sur l’ensemble du territoire et envoyés en mission ailleurs. Ce qui a ralenti la procédure. Mais le problème de fond, c’est le manque volonté politique.
Le procès Minova a été organisé sous pression internationale. Il n’a pas relevé de la volonté expresse et déterminante du gouvernement congolais. Le procès n’a pas été voulu mais imposé. Résultat, on a fait de la pure forme. Et pourquoi le gouvernement ne voulait pas de ce procès ? Parce qu’il est civilement responsable des militaires de l’armée congolaise. Si les prévenus au procès Minova avaient été condamnés, c’est l’Etat qui aurait dû payer les réparations aux civils. L’Etat a évité de se faire condamner civilement.
A mon avis, le gouvernement aurait dû, au contraire, montrer que l’impunité n’a pas de place en RDC, qu’il est engagé à rendre justice et à reconnaitre les droits des victimes. C’est une occasion manquée. Aujourd’hui, en RDC, le tabou du viol s’est brisé, de plus en plus de femmes trouvent le courage de porter plainte, les procès se multiplient mais ils ne rendent plus justice. C’est ça le véritable problème !
La justice congolaise est-elle réformable ?
JDR - Des réformes très intéressantes ont déjà été engagées. Par exemple, une loi organique qui a été récemment promulguée autorisent désormais les cours d’appel du Congo à poursuivre pour les quatre crimes qui relèvent habituellement de la Cour pénale internationale : génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité et crime d’agression. Or, le viol dans l’Est de la RDC peut être considéré comme un crime de guerre puisqu’il est perpétué par des groupes armés de manière systémique en visant une catégorie particulière de personnes. Autrement dit, cette nouvelle loi doit servir à punir les auteurs de crimes graves par une justice ordinaire, en contournant la procédure pénale militaire où seul le parquet est autorisé à demander des poursuites et non les civils.
Il y a eu aussi des efforts de fait pour rendre la justice plus accessible par la création de chambres foraines. C’est le tribunal qui se déplace dans le village et non la victime. Cela permet d’offrir une meilleur protection à la victime car lorsqu’elle se rend au tribunal, qui se situe parfois à des centaines de kilomètres de chez elle, elle risque de se faire de nouveau agresser par son agresseur qui a été convoqué au tribunal mais qui n’a pas été arrêté. Ces chambres foraines ont aussi un rôle dissuasif car elles s’installent dans l’environnement social de la victime et rendent justice devant tout le village.
Quels sont les autres freins à plus de justice ?
JDR - Il y a un problème de ressources. La justice n’est pas gratuite en RDC. Officiellement, l’enregistrement de plaintes auprès des greffiers n’est pas une procédure payante. Mais comme les greffiers ne perçoivent pas de salaires de la part de l’Etat qui ne les reconnaît pas, ils se font directement payer par les plaignants. Les frais d’enquêtes, d’expertise et de déplacement sont aussi à la charge des plaignants. Et une fois que la peine est prononcée par le tribunal, elle n’est pas appliquée et les indemnités ne sont pas versées car les agents du tribunal ne sont pas payés pour le faire. En revanche, les avocats du barreau Goma, qui ont créé le Bureau des consultations gratuites, acceptent d’assister gratuitement les plus démunis. Mais l’Etat congolais, lui, ne verse pas sa quote-part qui lui incombe.
Par ailleurs, tant que des territoires de l’Est de la RDC échapperont à l’autorité de l’Etat congolais et que des groupes armés étrangers ou nationaux continueront de s’affronter, l’état de droit ne pourra pas s’installer. Il faut donc mettre fin aux armées parallèles en trouvant des solutions avec les pays voisins. Il faut aussi faire progresser la démocratisation de la RDC. On ne peut pas espérer un respect des droits humains sans démocratie.
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