Joséphine Baker : une femme pionnière et inspirante entre au Panthéon

Femme, noire, artiste de scène et née à l'étranger, Joséphine Baker avait peu de chances d'avoir sa place parmi les "grands hommes". Et pourtant, elle l'a trouvée et c'est son entrée au Panthéon que célèbre, ce 30 novembre 2021, la cérémonie présidée par Emmanuel Macron en mémoire d'une vie "placée sous le signe de la quête de liberté et de justice". 

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portrait Joséphine Baker
©Terriennes
Portrait de Joséphine Baker hissé à l'occasion de son entrée au Panthéon. 
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Joséphine Baker Légion d'honneur
©AP Photo
Joséphine Baker, portant l'uniforme de la France libre et la croix de Lorraine, reçoit la Légion d'honneur épinglée par le général Martial Henri Valin dans son château des Milandes, dans le sud-ouest de la France, le 18 août 1961. Joséphine Baker est décorée pour ses services rendus à la France pendant la Seconde Guerre mondiale. 
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Me revoilà Paris : l'une des plus célèbres chanson de Joséphine Baker a été choisie pour lancer la cérémonie solennelle devant l'édifice néo-classique du Panthéon, au coeur du quartier latin, à Paris, considéré comme "le temple laïc de la République" française.

L'icône des années folles, née en 1906 aux Etats-Unis avant d'adopter la nationalité française, n'est que la sixième femme, après Simone Veil en 2018, sur 80 illustres personnages à être accueillie au Panthéon, dont le fronton proclame "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante".

Une femme de tous les combats

La panthéonisation de la chanteuse franco-américaine intervient 46 ans après sa mort, le 12 avril 1975 à l'âge de 68 ans, trois jours après avoir fêté ses noces d'or sur la scène. "Artiste de music-hall de renommée mondiale, engagée dans la Résistance, inlassable militante antiraciste, elle fut de tous les combats qui rassemblent les citoyens de bonne volonté, en France comme de par le monde (...). Elle est l'incarnation de l'esprit français", soulignait Emmanuel Macron pour justifier sa décision, le 23 août 2021.

Avec l'atypique vedette, le président casse les codes en élargissant le profil un peu figé des "panthéonisés" français, pour la plupart hommes d'Etat, héros de guerre ou écrivains : Victor Hugo, Emile Zola, le résistant Jean Moulin, Marie Curie...

Un choix inattendu qui a réussi à emporter le consensus de toute la classe politique. "Elle est assez synthétique de ce qu'est être française, elle qui était américaine (...) Elle est impressionnante de modernité", résume-t-il dans une vidéo sur les réseaux sociaux.

Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a également salué sur Europe 1 "un magnifique symbole": "Joséphine Baker incarne l'amour de la France qui peut venir aussi de personnes qui n'y sont pas nées".

La cérémonie solennelle revient sur les multiples facettes de son "incroyable vie", toute "entière placée sous le signe de la quête de liberté et de justice", selon l'Elysée.
Le symbole d'une France qui n'est pas raciste, d'une France jeune.

Avant de prendre sa décision, le président avait reçu des personnalités venues plaider en faveur de cette idée lancée par le philosophe Régis Debray dès 2013. Pour le romancier Pascal Bruckner, l'une de ces personnalités et membre du collectif "Osez Joséphine", cette panthéonisation "symbolise l'image d'une France qui n'est pas raciste, contrairement à ce que disent un certain nombre de groupuscules médiatiques".

L'Elysée assure qu'il ne faut pas y voir de message politique de la part d'Emmanuel Macron à l'approche de la présidentielle. "Il y a réellement un consensus très large autour de cette panthéonisation" et "pas une voix ne s'est élevée" pour la contester, relève un conseiller.

Un cénotaphe au lieu d'un cercueil

La cérémonie a été préparée "dans les moindres détails" avec la famille très nombreuse de Joséphine Baker, qui avait adopté 12 enfants, dont 11 sont toujours vivants. Ils ont décidé de ne pas déplacer le cercueil de leur mère du cimetière marin de Monaco, où elle repose avec son dernier mari et l’un de ses enfants, non loin de la princesse Grace qui l'avait soutenue dans les dernières années de sa vie.

monaco josephine baker
Les gardes d'honneur lors d'une cérémonie organisée pour Joséphine Baker au cimetière Monaco-Louis II, à Monaco, le 29 novembre 2021. 
©AP Photo/Daniel Cole

Même si un cercueil sera porté pour la célébration, c'est un cénotaphe (tombeau ne contenant pas le corps) qui est installé dans le caveau 13 de la crypte, où se trouve déjà l'écrivain Maurice Genevoix, dernier entré au Panthéon.

Symboliquement, le cénotaphe a été rempli de poignées des quatre terres qui "étaient chères à Joséphine Baker" : la ville américaine de Saint-Louis (Missouri) où elle naquit en 1906, Paris où elle connut la gloire, le château des Milandes (Dordogne) où elle installa sa tribu "arc-en-ciel", et Monaco où elle termina sa vie. 

entrée au panthéon  Joséphine Baker
Des photos de Joséphine Baker ornent le tapis rouge alors que le cercueil entre au Panthéon à Paris, le 30 novembre 2021, où Joséphine Baker est symboliquement intronisée.
©AP Photo/Christophe Ena

L'hommage de son pays

Née dans la misère aux Etats-Unis, le 3 juin 1906, la jeune femme fuit la ségrégation pour s'installer en France. Mais tout le reste de sa vie, elle se bat contre les discriminations. Avec son quatrième époux, elle devient mère d'une "tribu arc-en-ciel" de 12 enfants adoptés aux quatre coins du monde, qu'elle élève dans son château en Dordogne, dans le sud-ouest de la France). 

En 1963, à Washington, elle s'exprima après Martin Luther King et son fameux "I have a dream" - elle fut la seule femme à prendre la parole ce jour-là. Cette marche pour les droits civiques des Noirs américains fut le "plus beau jour de sa vie", confiait la star, à qui la femme de Martin Luther King, à sa mort, avait proposé de prendre sa suite - elle avait refusé : c'est en France qu'elle se sentait chez elle. Aujourd'hui, à New York, l'emblématique gratte-ciel Empire State Building arbore les couleurs bleu blanc et rouge pour honorer Joséphine Baker.

De la coqueluche du tout-Paris à l'espionne

Joséphine Baker arrive en France en 1925 - elle n'a pas 20 ans. A Paris, elle se fait un nom en dansant le Charleston, seins nus, dans un déchaînement de batterie-jazz. Au cabaret des Folies Bergère, la "Vénus d'ébène" se joue des fantasmes coloniaux en se produisant vêtue d'une simple ceinture de bananes, aux côtés d'une panthère vivante.

Naturalisée française en 1937 à la faveur d'un mariage avec un industriel juif, la star met son talent musical à contribution dès les premiers mois du conflit pour divertir les soldats français sur le front. Et profite des réceptions auxquelles elle est conviée dans les ambassades et les pays étrangers pour recueillir du renseignement.

"C'est la France qui m'a faite ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle", fait-elle valoir en acceptant de servir le contre-espionnage des Forces françaises libres. Elle transmet à Londres des rapports cachés à l'encre sympathique dans ses partitions, ce qui lui vaudra la médaille de la Résistance et la Croix de guerre. Engagée en Afrique du Nord dans l'armée de l'Air, la "sous-lieutenant Baker" débarque à Marseille en octobre 1944. En mai 1945, elle se produira en Allemagne devant des déportés libérés des camps.

"Notre mère a servi le pays, elle est un exemple des valeurs républicaines et humanistes", mais "elle a toujours dit : 'Moi je n'ai fait que ce qui était normal'", explique à l'AFP son fils aîné, Akio Bouillon. 

Panthéonisation en musique

​Comme le prévoit le rituel de la panthéonisation, le cercueil, porté par des militaires, remonte la rue Soufflot, la Marseillaise est jouée par la Garde Républicaine et les choeurs de l'armée et des enfants chantent un air de la diva.

Une projection vidéo sur la façade du Panthéon retrace les grandes étapes de sa vie avant le discours d'Emmanuel Macron, puis l'ouverture des portes au son de la composition spécialement créée par le musicien Pascal Dusapin. Les élèves de plusieurs écoles, dont celles portant le nom de Joséphine Baker, ont été invités à la cérémonie.

Par ailleurs, la station de métro Gaîté doit être baptisée Joséphine Baker car elle est proche de Bobino, le dernier théâtre parisien où s'est produite l'interprète de la chanson J'ai deux amours, mon pays et Paris, la première qu'elle interpréta et qui la consacra en 1930 au Casino de Paris.