"Milédou" signifie "On est ensemble" en dialecte togolais. Tout est dans le nom de ce projet lancé par l’association LYSD-Togo. Depuis 2013, il permet à des centaines de filles et garçons âgés de 8 à 20 ans d’apprendre à grandir ensemble grâce au basket. S'il existe une ligue 100% féminine, depuis 2019, des matchs mixtes sont aussi organisés, avec trois entraînements par semaine.
En amont de la Journée internationale des Droits des femmes, l'association organise chaque année une rencontre sportive qui, cette année, sera centrée sur le thème des menstruations, un sujet encore tabou dans un pays où les vieilles croyances perdurent, comme le montre une étude sur l'hygiène menstruelle menée en 2017 par BØRNEfonden (voir encadré). Les mots "sales" ou "déchets" reviennent encore trop souvent...
Cet événement se tiendra à Aneho, un village du sud-est du Togo, situé à 50 km de Lomé. On y attend près de 200 personnes, dont 80 jeunes joueuses de basket venues d'autres villages. Au programme : un tournoi de basket, bien sûr, mais aussi des activités culturelles et des temps d’échanges et de discussions autour des menstruations et de la précarité menstruelle. "C'était osé de choisir cette thématique, bien sûr ! Mais notre projet est connu et bien accepté par beaucoup de villages. Il y a une relation de confiance. C'est un jour de fête, donc ça passe mieux, mais ça reste un challenge ! Pour amener le sujet en douceur, on va organiser de petits groupes de discussion, avec des petits papiers où chacun.e pourra témoigner de manière anonyme", nous confie Jeanne Boussard, coordinatrice de projet à LYSD-Togo.
Jeanne Boussard, coordinatrice LYSD-Togo
L'association aimerait profiter de ce rendez-vous pour distribuer des protections hygiéniques durables, adaptées à l’environnement et au contexte économique et sanitaire du Togo. "La précarité menstruelle, on la voit au quotidien. Quand les filles ont leurs règles, elles ne viennent pas sur le terrain, sachant que c'est très important pour elles déjà de venir - c'est déjà un peu une échappatoire et là, elles en sont privées. Alors oui, bien sûr, les règles, c'est un réel handicap", explique Jeanne Boussard.
L'idée serait donc d'amener les jeunes filles à essayer de nouveaux styles de protection, réutilisables, celles-là, et donc plus économiques et plus hygiéniques. Les cups et les culottes menstruelles, par exemple, sont encore peu, voire pas du tout, accessibles dans ce pays. Pour cela, Jeanne Boussard cherche des partenariats avec des fournisseurs de ce type de protection ; un appel aux dons est d'ailleurs lancé via le site de l'association. "Les serviettes telles qu'on les connaît en Europe sont assez peu utilisées, et les tampons sont très peu connus. Les serviettes les plus courantes sont fabriquées en Chine, le paquet coûte 500 Francs CFA, soit 75 centimes d'euros, alors qu'un revenu moyen mensuel est de 50 euros par mois. Et puis quid de la qualité de ces protections ? Cela pose problème. Sinon, dans certains villages les plus reculés, les fillettes utilisent des pagnes, des bouts de tissu", précise la coordinatrice de l'association.
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Précarité menstruelle, un manque de moyens et des idées reçues
Au Togo, la précarité menstruelle est tout aussi tabou que généralisée. Le manque de protections, et de toilettes accessibles et propres pour se changer, handicape considérablement les filles. D'autant que garder trop longtemps une protection sur soi, ou improviser avec des solutions d’urgence, engendre un risque important pour la santé (irritations ou infections plus graves). "Dans les écoles, il n'y a parfois tout simplement pas de toilettes, ce qui fait qu'elles ne se changent pas. Voilà pourquoi les filles restent à la maison pendant leurs règles", précise Jeanne Boussard. Par ailleurs, les douleurs que les menstruations peuvent faire subir au corps des femmes sont trop souvent mises de côté ou peu considérées.
Selon une enquête menée en juin 2017 au Togo, environ 5 filles sur 10 (53%) estiment que les règles sont un phénomène naturel et physiologique et 28% déclarent que les règles sont des "saletés" de la femme, des "déchets" de l’organisme ou dégagent une odeur gênante.
L’étude a montré que 44,3 % des répondantes ont avoué ne pas avoir reçu d'informations sur les menstruations avant la survenue de leur premières règles.
Les filles interrogées, et qui ont déjà eu leurs premières règles, déclarent avoir des interdits au moment des menstruations et que ces interdits proviennent en majorité des parents (62,5%). Il leur est généralement interdit, au moment des menstruations, de faire la cuisine (52,4%), d’avoir des rapports sexuels (28%), d’aller chercher de l’eau ou du bois (21%), de faire la prière (13%) ou encore de manger en famille (8%).
La non-utilisation de serviettes hygiéniques s’explique par plusieurs facteurs, notamment le manque de moyen pour les acquérir, le peu d'informations dont disposent ces jeunes filles et les préjugés ou des idées fausses qui hantent leurs esprits, conclut le rapport.
(Source ► ETUDE SUR LA GESTION DE L’HYGIENE MENSTRUELLE (GHM) AU TOGO, BØRNEfonden)
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LYST-Togo
Les tabous liés aux règles génèrent aussi des situations de stigmatisation : les filles sont rejetées, isolées, elles sont même parfois mises à l'écart pendant leurs menstrues. "Les femmes ont droit à leur dignité. Cette dignité passe par une libération de la parole et une sensibilisation, tant auprès des hommes que des femmes. En faisant attention à l’hygiène de chacune, nous augmentons le potentiel de toutes les femmes", défend l'association.
"Le fait de jouer ensemble, de partager le terrain, ça aide à la prise de conscience, même si encore aujourd'hui des filles n'osent pas jouer et prendre leur place en présence des garçons. Cela prend du temps, mais les éducateurs ont un rôle essentiel pour lutter contre les discriminations, parler d'égalité et favoriser la place des femmes dans le sport", ajoute Jeanne Boussard.
"Nous sommes certains que le message que nous voulons faire passer aura des retombées sur les familles, communautés et villages à proximité", expliquent les organisateurs.trices. Le but est de permettre à chacune des filles du projet à jouer au basket plus librement et simplement, se sentir plus à l’aise avec son corps et ainsi s’épanouir de manière générale, grandir et optimiser toutes ses chances pour évoluer à la hauteur de son potentiel "sans avoir honte d’être une femme".
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