Journée internationale des filles : au Bangladesh Radha Rani se bat contre les mariages précoces et forcés

Les 11 octobre se suivent et se ressemblent. Cette date a été érigée en Journée internationale des filles par les Nations Unies, en 2012. Quatre ans après, en 2016, les alertes sont toujours les mêmes : éducation insuffisante, mariages forcés, travail domestique imposé ou encore cyber harcèlement sexiste. La jeune Bangladaise Radha Rani Sarker se bat pour l'abolition des mariages forcés et précoces. Rencontre
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Radha Rani Sarker
Radha Rani Sarker, 21 ans en 2016, est devenue une porte voix du refus des mariages précoces forcés au Bangladesh. Elle y avait échappé elle-même alors qu'elle venait d'avoir 14 ans
© Plan International/Bas Bogaerts
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C'est son premier voyage, sa première sortie de son pays, le Bangladesh. Destination Europe : la France, Paris puis Bruxelles et les  institutions européennes. Radha Rani Sarker a 21 ans et savoure, très souriante, le privilège d'être devenue la porte parole des filles qui refusent d'être mariées de force, au temps de l'enfance ou de l'adolescence. Une fonction qu'elle a construite elle-même, en se battant de toutes ses forces pour se sauver elle-même, puis pour aider les autres avec l'appui de l'ONG Plan international qui a mis l'éducation et l'autonomisation des filles au coeur de ses combats. Et qui l'a convoyée jusqu'à Paris, dans le cadre de sa campagne #LesFillesOntUnPlan.
 


Radha Rani Sarker vit à Dinajpur (au nord-ouest du Bangladesh), une ville qui s'est déclarée "sans mariage forcé", ainsi que le district du même nom, ce qui inclut 2 millions et demi de personnes, où elle travaille et étudie. Cette déclaration d'intention est malheureusement encore peu suivie d'effets : les procédures de contournement sont innombrables pour échapper à des amendes locales qui, en réalité, ne sont jamais infligées.

Depuis la première tentative de la marier en 2009 quand elle avait 14 ans, Radha Rani a repoussé sept autres demandes. Nous avons rencontré cette jeune femme brillante, volontaire, et d'un optimisme revigorant, lors de son passage à Paris. Elle ne rechigne jamais à raconter sont histoire, pour la partager et partager encore, afin de convaincre des émules de suivre ses pas.

Radha Rani Sarker à Paris
Radha Rani Sarker (à gauche) et son interprète, à Paris, le 6 octobre 2016, lors d'une rencontre organisée par Plan International France, avec des journalistes françaises.
(c) Sylvie Braibant

Aujourd'hui, je sais que je suis capable de prendre des décisions toute seule. Je suis autonome et je peux à mon tour aider ma famille
Radha Rani Sarker

Quand elle se présente, Radha Rani Sarker est à la fois très sérieuse, et très joyeuse...

Radha Rani Sarker : Je m'appelle Radha Rani, je viens du Bangladesh et je suis ici pour la campagne #BecauseIAmAGirl ! Comme Ambassadrice de Plan international, qui travaille avec le "child  groupe" (goupe d'enfants) dans ma ville, aujourd'hui je voudrais partager avec vous les problèmes que rencontrent les filles au Bangladesh.

Comment s'est passée la tentative de vous marier de force ?

Radha Rani Sarker : J'ai 21 ans. J'avais 14 ans quand on a décidé de me marier. J'étais en classe de 3ème. Mon père venait de mourir. Nous étions cinq soeurs, j'étais la plus jeune. Personne ne pouvait subvenir à mes besoins, c'est pour cela qu'ils ont décidé de me marier. C'était à un proche de mon beau-frère, âgé de 21 ans - mon beau-frère était marié à ma soeur ainée. C'était un choix économique : en me mariant à quelqu'un de la famille de mon beau-frère, la cérémonie serait beaucoup moins coûteuse.

Comment avez-vous pu refuser ?

Radha Rani Sarker : J'étais une enfant parrainée par Plan International de l'âge de 3 ans à 18 ans, ça m'a protégée. Moi même, j'étais très informée des choses de la vie grâce aux associations, on m'avait préparée et sensibilisée à ces mariages précoces, par des pièces de théâtre mises en scène par ces groupes de sensibilisation. J'étais moi-même devenue une animatrice de groupe.  

Comment la famille et l'entourage ont-ils réagi ?

Radha Rani Sarker et sa maman
Radha Rani Sarker, adolescente, à 14 ans. Cette année là on a voulu la marier. Sauf sa maman (à gauche sur la photo)
 
DR

Radha Rani Sarker : Ma mère a soutenu très fort mon refus, mais ce n'était pas le cas de mes soeurs. Ma mère avait été mariée à l'âge de 12 ans. Parce qu'elle venait de perdre son père. L'histoire se répétait. Elle savait ce que c'était. Elle disait qu'elle ne voulait pas que je vive la semaine chose. Ma soeur aînée aussi avait été mariée à 12 ans. La deuxième y avait échappé parce qu'elle n'avait pas de dot. La troisième a dû se marier, aussi à 12 ans, parce qu'elle avait été abusée sexuellement. Pour la mettre en sécurité et laver l'honneur. Elle a épousé son agresseur. Ma mère a décidé que ça suffisait. Mais ma soeur et mon beau frère m'ont enlevée pour passer par dessus mon refus. Mais mois je me disais que ce n'était pas possible, que j'étais leader de groupes qui refusaient ça ! J'étais enfermée dans la maison. Que faire ? On m'a dit de simuler, de jouer la comédie, puisque je savais le faire. Et quand j'ai pu, je me suis enfuie. Je suis repartie chez ma mère, j'avais fait semblant de dormir, et dès que j'ai pu, j'ai pris la porte de derrière.
En dehors de ma mère, ma famille me harcelait, et tout le village me dénigrait. Personne ne me soutenait.

Y a-t-il eu des menaces ?

Radha Rani Sarker : Je ne pensais pas aux représailles et je me disais qu'avec tout ce que j'avais appris, toutes les techniques qu'on m'avait enseignées, je pouvais me défendre. J'avais même une formation de karaté. (Elle rit) Pour défendre les autres filles de mon groupe.
Mon père était artisan, il fabriquait des paniers en bambou, et moi, comme ma mère, mes soeurs, nous étions toutes impliquées dans cette activité, qui était notre unique source de revenus.

La condition des femmes au Bangladesh se trouve dans quel état ?

Radha Rani Sarker : Au Bangladesh, les filles sont dévalorisées. Dès qu'une fille naît, ses parents ne pensent déjà qu'à la marier. Le seul moyen que connaissent les parents pour sécuriser leurs filles c'est de les marier le plus vite possible. Les parents ne sont pas assez sensibilisés à une autre position pour leurs filles. On ne fait pas attention aux projets d'une fille, et même on cherche à les détruire. Et pourtant les enfants d'aujourd'hui c'est l'avenir de demain. Nous avons besoin de l'aide des Nations Unies pour changer ça.

De quoi est fait votre quotidien ?

Radha Rani Sarker : Aujourd'hui, je sais que je suis capable de prendre des décisions toute seule. Je fais des études de sciences sociales et je suis en licence. Je veux défendre les droits des enfants. Et je veux travailler dans ce domaine que je connais bien. Je suis autonome et je peux à mon tour aider ma famille. Je travaille dans une association de défense des droits des femmes, où il est bien sûr aussi question des enfants.

Radha Rani Sarker en tournée d'information
Radha Rani Sarker en tournée d'information, ici dans le village d'Arajijuginghara afin de convaincre les femmes de ne pas marier précocement leurs fillettes
(c) Bas Bogaerts, Plan International

Au Bangladesh, pour les filles, les verrous sont tirés aussi par des femmes

Le fait que le pays soit dirigé par une femme (Sheikh Hasina, depuis 2009, porté par la Ligue Awami,  formation laïque de centre-gauche), cheffe de gouvernement, change peu de choses à la condition des Bangladaises. Cela peut même s'avérer contre-productif. Parce que la Première ministre a très peur de s'aliéner la plus grande partie de la population attachée à ces traditions et déjà peu favorable à la formation qui l'a conduite au pouvoir. La condition des filles au Bangladesh est sans doute l'une des plus difficiles au monde, comme le montrent les estimations  de Plan International ci-dessous.

filles bangladesh 1
sources : ONU 2012, Unicef 2014, Plan International 2016
filles bangladesh 2
sources : ONU 2012, Unicef 2014, Plan International 2016
filles bangladesh 3
sources : ONU 2012, Unicef 2014, Plan International 2016

Le travail domestique, un autre cheval de bataille

L'Unicef s'alarme, aussin à l'occasion de la Journée internationale des filles, de la prégnance du travail domestique qui pèse toujours lourd sur les épaules des filles, les empêchant de poursuivre leurs études : "Par rapport aux garçons de leur âge, les filles âgées de 5 à 14 ans consacrent 40 % de temps en plus, ou 160 millions d’heures supplémentaires par jour, à des tâches ménagères non rémunérées ainsi qu’à la collecte de l’eau et du bois (une activité qui reste également très dangereuse pour la sécurité des fillettes, ndlr). Le rapport élaboré "Harnessing the Power of Data for Girls: Taking stock and looking ahead to 2030" (« Exploiter la puissance des données au service des filles : bilan et perspectives pour 2030 ») fournit les premières estimations mondiales sur le temps que les filles consacrent aux tâches ménagères telles que la cuisine, le ménage, s’occuper des membres de la famille ou aller chercher de l’eau et du bois. Les données révèlent que la répartition inégale du travail domestique commence très tôt, puisque les filles âgées de 5 à 9 ans consacrent 30 % de temps en plus, ou 40 millions d’heures supplémentaires chaque jour, aux tâches ménagères par rapport aux garçons de leur âge. Les disparités s’accentuent dans les tranches d’âge supérieures ; en effet, les filles de 10 à 14 ans y consacrent 50 % de temps en plus, soit 120 millions d’heures supplémentaires chaque jour."
#yaduboulot