Journée internationale des filles : les adolescentes, premières victimes des crises humanitaires

A l'occasion de la journée internationale des filles, chaque 11 octobre, l’ONG Plan international, qui concentre son travail sur l’éducation et la protection des filles, dresse un constat alarmant sur la condition des adolescentes en proie aux guerres ou à l'exil, à travers l'étude de trois cas, au Soudan du Sud, dans le bassin du Lac Tchad, et dans les camps de réfugiés Rohingyas au Bangladesh. 
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réfugiée Sud Soudan
Premières victimes de la guerre civile au Soudan du Sud, les adolescentes tentent de survivre dans les camps de réfugié.es aux alentours comme ici en Ouganda, en juin 2017, cette jeune fille portant un bébé sur son dos et un matelas en mousse vers la tente où elles vont dormir, au centre d'accueil d'Imvepi, avant d'être redirigées vers le camp de réfugiés de Bidi Bidi situé à proximité, dans le nord de l’Ouganda 
(AP Photo/Ben Curtis, File)
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Lors de l'assemblée générale des Nations Unies, fin septembre 2018, Plan International lança ce cri : « Les Nations Unies laissent tomber les filles victimes des crises humanitaires ». Pour l’ONG, elles sont même les premières victimes de ces crises, comme en témoigne l'étude menée dans trois régions frappées par la guerre et les déplacements :  au Soudan du Sud où les civil.es sont victimes du conflit entre l’armée sud-soudanaise et les rebelles locaux ; sur les pourtours du lac Tchad, où les réfugié.es errent en fonction des aléas climatiques, des actions du groupe Boko Haram et des armées du Nigéria ou du Cameroun ; au Bangladesh, où la frontière orientale de ce pays est devenue terre d'accueil des Rohingyas (musulmans) en fuite des persécutions des bouddhistes de Birmanie. 

Crises climatiques, crises militaires, un cercle infernal pour les filles encore plus que pour les autres

«"La vie est difficile : nous vivons dans la peur". Ce sont les mots d'une jeune fille de 14 ans à qui Plan International a parlé dans le bassin du lac Tchad en Afrique. Cette crainte est bien réelle, car 7 filles sur 10 vivant en situation de crise seront victimes de violence, y compris de sévices physiques, sexuels et émotionnels. Cette tragique expérience commune est déjà assez terrible, mais elle conduit aussi à restreindre considérablement la vie des filles en situation de crise. "Je ne peux pas sortir. Je dois toujours rester dans la maison et dans cette chaleur ", a déclaré une jeune fille Rohingya de 18 ans au Bangladesh à l'une de nos équipes », peut-on lire en exergue du rapport de Plan International

En situation de crises, d’exil forcé, le chemin de l’école devient pour ces adolescentes celui de tous les dangers. 

Pas seulement celui de l'école : celui des sanitaires, celui des marchés où elles vendent quelques bricoles pour aider leurs familles, et encore plus celui de l'eau ou des cultures vivrières. Dans la région du bassin du Tchad, après des années de sécheresse et une concurrence féroce pour des ressources en eau de plus en plus rare, les jeunes filles sont envoyées chaque jour plus loin pour rappporter denrées et contenants d'eau. Comme leurs entretiens avec les enquêtrices de Plan (dans les trois régions en focus, l'ONG a préféré envoyé des femmes pour tisser une confiance accrue avec les adolescentes) en témoignent : 

Avant, j’allais cultiver des plantations n’importe où, même en dehors de ce village. Mais maintenant, je ne peux pas le faire, parce que j’ai peur ... 
Une adolescente de 13 ans, à Gahara au Nigeria

Journée des filles Nigeria Plan
"Je suis une enfant pas une jeune mariée", phrase brandie par une jeune fille au Nigeria, l'un des pays qui compte le plus de mariages précoces et forcés.  Quinze millions de filles dans le monde sont concernés, dont six pays d'Afrique centrale et occidentale affichent les taux les plus élevés de telles "unions"....
AP Photo/Sunday Alamba

Si la région du lac Tchad présente une spécificité climatique qui renforce les difficultés que vivent les adolescentes de 11 à 19 ans, on retrouve dans les camps de réfugié.es Rohingyas du Bangladesh, ceux du Sud Soudan ou d'Ouganda, et sur la façade ouest et sud du lac Tchad, au Niger, au Nigeria, et au Cameroun, les mêmes discriminations qui font de ces (très) jeunes filles les premières victimes en temps de crise. Elles vivent dans la peur : celle des violences sexuelles, viols ou meurtres ; celle des mariages précoces et forcés pour "se débarrasser" d'elles afin de compter moins de bouches à nourrir ;  celle d'être enceintes après un viol, un acte de prostitution, ou un rapport non protégé faute d'accès à la contraception ; celle de ne plus aller à l'école. 

Mes parents veulent me marier. Je ne peux rien y faire. En Birmanie, ce n'était pas le cas, mais ici, au Bangladesh, ils vont y parvenir
Une jeune Rohingya de 18 ans - camp de réfugié.es au Bangladesh

Les jeunes filles rencontrées se sentent toutes exclues, même si les expériences sont différentes et les groupes non homogènes. Confinées à l'espace et au travail domestique, elles racontent qu'elles ne sont jamais consultées sur leurs besoins : pas de prise en compte de questions de santé spécifique, liées à la puberté, la sexualité ; pas d'intérêt sur leurs aspirations professionnelles, leur désir de poursuivre leur scolarité ; pas d'écoute de leurs souffrances physiques ou mentales (alors que les troubles d'angoisse sont pourtant courants). "Les filles ne sont pas censées confier aux parents certains de leurs problèmes, et à cause de cela, elles sont stoppées net dans leurs possiblités de participer à la vie sociale de leur communauté, contrairement aux garçons de leur âge", note cette travailleuse d'une ONG dans un camp de Juba au Sud Soudan. 

Et pourtant, elles ont la tête pleine de rêves...

J'instaurerai la paix au Soudan du Sud. Je deviendrai une bonne professionnelle, et je contribuerai au développement de la nation. 
Une jeune fille de 15 ans dans un camp de réfugié.es en Ouganda

filles rohingyas réfugiées
Des jeunes filles sur un pont en bambous dans le camps de réfugié.es de Kutupalong au Bangladesh après avoir fui le Myanmar (Birmanie) - août 2018
AP Photo/Altaf Qadri

Ma grande sœur et moi devons nous montrer patientes et rester le ventre vide
Une adolescente de 18 ans, à Misheri au Nigeria

Mais le pire peut-être, c'est une violence sourde, familiale, à bas bruit, qui s'exerce contre ces adolescentes. La privation de nourriture d'un côté, la stigmatisation et même le rejet pur et simple de l'autre. Considérées comme à charge, bouches superfétatoires à nourrir, elles sont les dernières à avoir le droit de se servir. 

"Je bois simplement de l’eau avant d’aller au lit ou je mange les restes dans la casserole.... parce qu’il y a peu de nourriture ... ce ne sont que mes frères et sœurs cadets qui mangent. Ma grande sœur et moi devons nous montrer patientes et rester le ventre vide" décrit, comme si cela allait de soi, une adolescente de 18 ans, à Misheri au Nigeria.

La double peine des filles victimes de crimes sexuels

Au Soudan du Sud, au Bangladesh, dans la région du lac Tchad, elles doivent aussi affronter une autre forme d'opprobe qui peut conduire à l'abandon. Celles qui ont été violées, qui se retrouvent enceintes, sont rejetées par leurs familles, leurs communautés. Parce que malgré leur très jeune âge, elles sont considérées comme coupables des exactions commises à leur encontre. Et cela quelles que soient les appartenances religieuses. Interdites de séjour chez leurs parents, « elles sont battues et violées, et on leur assigne des tâches très difficiles. La plupart du temps, c’est l’oncle, le voisin ou la belle-mère de l’enfant. C’est ce qui se passe quand la fille n’a plus ses parents pour la protéger. » explique une jeune Nigérienne de 17 ans, du camp de Sayam au Niger. 

Comme partout dans le monde, contrairement aux idées reçues, dans les régions passées au crible de Plan International, les femmes et les filles constituent la majorité des réfugiés : 52% dans les camps de Rohingyas au Bangladesh ; un peu plus de la moitié des quatre millions des personnes déplacées du Sud Soudan ; et également plus de la moitié des 2,2 millions de celles qui errent autour du lac Tchad.  

Comment sortir de ce cercle infernal et permettre la résilience de celles déjà touchées ? En investissant dans l'éducation encore et encore, et en arrivant à convaincre les autorités locales, civiles et religueuses, les familles, que pousser les filles vers l'autonomie, engendrera des bénéfices, de tous ordres, pour tous. La profession de foi de Plan international risque malheureusement de rester encore souvent lettre morte...  

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1