Fil d'Ariane
Mais certaines femmes ne veulent surtout pas d’une nouvelle intervention chirurgicale. Aux Etats-Unis par exemple, où la reconstruction mammaire est très répandue, des patientes décident de « rester plate » (going flat), du nom de leur « mouvement ».
D’autres préfèrent (voir reportage de Radio Canada) un tatouage décoratif pour masquer les cicatrices ou la perte de leurs seins. Enfin, d’autres femmes choisissent une autre option pour retrouver leur apparence d’avant la maladie : se faire tatouer un téton.
C’est le travail d’Alexia Cassar. Cette Française qui a travaillé pendant 15 ans dans la recherche médicale contre le cancer a décidé, après la leucémie de sa fille, de se rapprocher des patients. Elle a ouvert un "téton tattoo shop" en région parisienne. C’est là qu’elle accueille ses clientes/patientes pour apporter la dernière touche à leur reconstruction non seulement physique mais aussi psychologique.
Si ce mamelon ne redeviendra jamais une zone érogène, le tatouage permet aux patientes de renouer avec leur apparence, leur corps avant qu'il ne soit meurtri par la maladie. Alexia Cassar explique sa démarche à Terriennes.
Il est inimaginable d’avoir un sein dont elles ont honte et qu’elles ne veulent pas montrer alors qu’elles sont au début de leur vie de femme.
Alexia Cassar
Terriennes : Vous êtes en contact avec des médecins de l'hôpital Gustave Roussy, spécialistes du cancer du sein. Comment le corps médical accueille-t-il votre démarche esthétique ?
Alexia Cassar : J’ai eu la chance de faire la connaissance de chirurgiens plasticiens de la jeune génération enthousiasmés par cette perspective. Ils sont très attachés à l’esthétisme de la reconstruction car de plus en plus de femmes jeunes passent dans leurs mains. Pour elles, il est inimaginable d’avoir un sein dont elles ont honte et qu’elles ne veulent pas montrer alors qu’elles sont au début de leur vie de femme. Elles ne peuvent pas faire le deuil de quelque chose de joli. Les médecins sont contents de pouvoir compter sur une nouvelle technique qui met aussi en valeur leur geste de reconstruction parce qu’ils savent que les greffes médicales de mamelons ou de lambeaux sont souvent peu satisfaisantes.
Maintenant, les médecins en parlent dans leurs réunions d’information sur la reconstruction. Cela fait partie intégrante des options qu’ils proposent à leurs patientes en leur précisant bien qu’il s’agit d’un acte non médical et malheureusement pas encore pris en charge. [Alexia Cassar travaille avec des mutuelles pour le remboursement de cet acte esthétique qui coûte entre 400 et 600 euros, ndlr]
Une fois par an, l'association "Soeurs d'encre" qui regroupe une douzaine de tatoueuses spécialisées dans la reconstruction après un cancer dont Alexia Cassar, propose une semaine de tatouages gratuits. Elles profitent aussi de cet événement pour lever des fonds pour que d'autres femmes qui n'ont pas les moyens puissent se payer une reconstruction mammaire.
Terriennes : Combien de temps après une opération pouvez-vous réaliser ce tatouage ?
Alexia Cassar : Une année complète de cicatrisation et nécessaire pour la bonne raison que le temps de cicatrisation apparent n’est pas le temps de cicatrisation réelle. Après la radiothérapie la peau a été brûlée, très abîmée et souvent cartonnée, peu naturelle. Elle s’abîme très vite sous les aiguilles. On ne tatoue pas non plus juste après la chimiothérapie. J’attends entre 6 et 12 mois pour que le système immunitaire soit suffisamment mature afin que la cicatrisation puisse se faire et ainsi éviter tout risque infectieux.
Tout cela est important à savoir. C’est pour ça que je reste en contact avec les chirurgiens pour leur demander conseil quand je reçois les photos de quelqu’un. C’est très utile pour moi et c’est aussi un gage de sérieux pour les femmes qui viennent me voir.
J’ai souvent entendu les femmes dire que c’était la cerise sur le gâteau et c’est vrai. On referme une parenthèse assez douloureuse.
Alexia Cassar.
Terriennes : Comment procédez-vous ?
Alexia Cassar : On fait une première séance qui dure 3 heures durant laquelle il y a 30 à 40 minutes de tatouage. On prend le temps de décortiquer le passé chirurgical de chaque femme. Je passe beaucoup de temps à déterminer la couleur parce que j’ai besoin d’être au plus proche pour que le résultat soit fidèle. Et on se revoit 3 mois après pour des retouches. Mais je ne revois pas 100% de mes patientes à ce moment-là parce qu’elles sont satisfaites du rendu.
Terriennes : Vous représentez la dernière étape de ce long processus de reconstruction physique et psychologique...
Alexia Cassar : Je suis, en effet, la dernière étape. J’ai souvent entendu les femmes dire que c’était "la cerise sur le gâteau" et c’est vrai. On referme une parenthèse assez douloureuse. Après cette étape, elles n’ont plus besoin de toucher à leur sein et elles peuvent se considérer comme sortie d’affaire.
Renouer avec son image, son couple, sa famille, son travail...
Alexia Cassar
On travaille aussi beaucoup sur l’aspect psychologique lié à la reconstruction, à l’acceptation du sein reconstruit tel qu’il est et qu’elles doivent considérer comme le leur pour le restant de leur vie.
On fait aussi un gros travail sur l’émotion et le fait de renouer avec son image, son couple, sa famille, son travail aussi parfois surtout quand on en a été exclue par la maladie.
Elles viennent ici presque en pèlerinage dans ce petit "salon du téton". Généralement, elles y viennent avec soulagement et elles en sortent avec un petit pincement. Moi aussi parce qu'après, je ne les revois plus jamais.
"Cela devient un bras de fer avec les réseaux qui me censurent les images de tétons. J’essaye de les sensibiliser parce que les femmes ont le droit de savoir que cette solution existe. Elles ont surtout le droit de savoir à quoi ressemble une reconstruction quand elle est terminée !", s'insurge Alexia Cassar.
En effet, le réseau social américain Facebook supprime de sa plateforme tous les posts comportant des images de tétons de femmes (ceux des hommes sont autorisés). Notre site Terriennes en a d'ailleurs été victime et nous avions alors dénoncé cette censure.