Fil d'Ariane
Siégeant au Parlement régional de Bavière, la députée Tessa Ganserer, affiliée au parti Die Grüne (Les Verts), a marqué l’histoire de la politique allemande en devenant la première élue à transitionner, d’homme à femme, durant un mandat, et à le révéler publiquement.
Tessa Ganserer, née Markus Ganserer le 16 mai 1977 à Zwiesel, siège depuis 2013, et a été réélue à l'automne dernier. Elle a fait son coming-out le 4 janvier dernier. Lors de sa première apparition en séance en tant que femme, le 23 janvier, elle a dû affronter les remarques de certains députés. En la voyant, un élu du parti FDP (Parti libéral-démocrate) a lancé "Vous jouez à quoi ici ? la drag queen ?"
Elle peut néammoins compter sur de nombreux soutiens parmi ses collègues élu.e.s, notamment celui de la très conservatrice Ilse Aigner, présidente du Parlement de Bavière, qui veut désormais défendre les droits des personnes transgenres.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Divers*land (@divers.land) le 10 Mai 2019 à 1 :17 PDT
À l'occasion de la journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, Tessa Ganserer relate à Terriennes son parcours et son engagement pour abroger les procédures psychiatriques et médicales auxquelles doit se soumettre toute personne transidentitaire souhaitant changer de nom à l’état civil.
Terriennes : Quel est votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a décidé à vous engager en politique ?
Tessa Ganserer : Après mes études secondaires, j’ai effectué un apprentissage de sylviculture. Par la suite, j’ai étudié la foresterie et suis devenue membre du parti des Verts en 1998. C'était l'époque de Helmut Kohl et, dans ce contexte sociopolitique, le désir de participer à la vie politique est né. Depui, je suis partisane de la politique et en 2005, je suis devenue collaboratrice de Christian Magerl, membre du Parlement régional de Bavière. Depuis 2013, je suis moi-même membre du Parlement.
D’un point de vue historique, vous êtes officiellement la première députée transgenre en Allemagne. Cela était-il important à vos yeux ?
Moins que cela ne l'est pour l’opinion publique, on dirait ! Je suis néanmoins consciente de l'importance de mon coming-out et j'espère sincèrement qu’avec ma personne, je pourrai envoyer un signal fort et durable en faveur de l’acceptation des diversités sexuelles et de genres. D’une part, aux personnes qui sont en dehors de l’ordre hétéronormé, et d’autre part à ceux qui s’opposent à nos droits. Nous ne sommes pas des monstres, nous voulons les mêmes droits et souhaitons ne pas toujours devoir les faire valoir par le biais de processus judiciaires.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à entreprendre votre transition et à le révéler durant votre mandat électoral ?
Ce n'était pas une question de choix. Il n'y avait pas d'autre alternative que de vivre enfin ma véritable identité. Est-ce que vous vous imaginez obligé de représenter un genre qui n’est pas le vôtre pour des raisons professionnelles ? Je ne pense pas.
Après votre transition, vous avez reçu le soutien de Ilse Aigner, la présidente du Parlement de Bavière, face aux préjugés émanant d’un député du camp adverse. Son soutien vous a-t-il semblé important ?
Bien sûr, je n’aime pas penser que mon identité de genre dépend de la reconnaissance des autres, mais c'est toujours ainsi. C'est-à-dire que je dois suivre une voie juridique compliquée afin que mon identité soit confirmée à travers des examens. Malheureusement, je dépends aussi, dans une certaine mesure, de la reconnaissance d'autres personnes, et c'est là que le soutien de Mme Aigner a été très important pour moi. Présidente de cette Assemblée, elle m'a reconnue en tant que femme et a envoyé un signal fort.
Malgré la reconnaissance du troisième sexe par le Parlement allemand en 2018, deux certificats médicaux délivrés par des psychologues et médecins sont toujours obligatoires pour effectuer un changement d’état civil. Quel regard portez-vous sur ces pratiques couramment dénoncées par les associations LGBT qui les qualifient de dégradantes ?
Je considère cette procédure péjorative, dévalorisante et pathologisante. Il est tout simplement impossible que des prétendus experts déterminent à quel genre j’appartiens. Derrière cette obligation d'évaluation se cache aussi l'idée de nous protéger d’une identité transgenre fausse. Est-ce que ces personnes croient que nous affirmons notre identité sans en avoir la certitude ? C’est un processus stressant, caillouteux et compliqué, qui est rendu encore plus difficile par cette obligation d’évaluation !
L’un de vos combats principaux est justement de proscrire ces pratiques.
Ce sera l'une des tâches centrales de cette législature, effectivement !
Quel regard porte la société allemande sur les femmes transgenres ?
C'est une question très complexe. Sur la base de résultats scientifiques, il apparaît que la société n’a pas encore de fondement stable pour l’acceptation des personnes transgenres. Une étude nationale menée auprès de jeunes, par exemple, révèle que 96% des jeunes trans ont été victimes de discrimination en raison de leur identité de genre. S’agissant de mon expérience personnelle, j'ai eu beaucoup de réactions positives. Ceci étant, il y a encore beaucoup de commentaires haineux et d'insultes sur mes pages et mes comptes de réseaux sociaux.
Pour résumer, la situation est paradoxale et les personnes transgenres doivent souffrir du fait que l’ordre dominant du genre n’est toujours pas prêt à reconnaître la diversité et encore moins à l'apprécier ! Les gens se réfèrent toujours à leur assignation naturelle. Un regard sur l’histoire et sur d’autres cultures montre pourtant clairement que la sexualité et le genre n’ont pas toujours été rigides…
Pouvons-nous assembler féminisme et activisme transgenre dans la lutte pour l’égalité des droits en Allemagne ?
Ce serait bien. Dans le sport, par exemple, il y a beaucoup de discussions sur la façon de traiter les personnes transgenres et autres individus manifestant une orientation sexuelle différente. Du point de vue des sciences sociales, il est clairement établi que les mécanismes d’exclusion des femmes cisgenres (nées biologiquement femmes) dans le sport sont les mêmes que pour les personnes trans. Les femmes cisgenres ont longtemps été écartées des sports de compétition au motif qu'elles n’y étaient pas adaptées d’un point de vue biologique. De nombreuses batailles ont dû et doivent encore être livrées afin d'éliminer et de surmonter les obstacles à l'accès à toutes les disciplines sportives pour les femmes. Certains estiment que les femmes transgenres désavantageraient les femmes cisgenres si elles concouraient ensemble, lors des compétitions sportives. Il serait cependant intéressant de noter que personne ne fait de remarques à un joueur de basketball mesurant 2,10 mètres contre 2 mètres pour ses coéquipiers. Il y a donc ici de nombreux critères d'évaluation différents, qui aboutissent finalement à ce que tout ce qui n'est pas masculin soit relégué au second plan dans le sport de compétition. Femmes cisgenres et personnes transgenres auraient les mêmes intérêts, ce qui rendrait ce combat commun très significatif.
Quelles actions préconisez-vous pour faire évoluer les mentalités ?
J’œuvrerai politiquement pour mettre en évidence les nombreux obstacles auxquels doivent faire face les personnes transidentitaires, et exiger des réglementations juridiques et un financement qui contribueront au changement à long terme. Enfin, je recommande à tous ce mantra : "la diversité est grande !" pour changer les mentalités.
Malgré la légalisation du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels en 2017, ainsi que la récente reconnaissance du troisième sexe par le Bundestag, les associations transgenres dénoncent ardemment des procédures psychiatriques dépréciatives et offensantes imposées par la loi lors du changement d’état civil pour les personnes transidentitaires. Dans son combat Tessa Ganserer peut compter sur le soutien de la présidente du parlement du Bavière, Ilse Aigner, qui discerne dans son engagement une démarche puissante et éminemment novatrice.