Journée mondiale de l'orgasme : quand les femmes prennent leur sexualité en main

Le solstice d'hiver est le premier jour de l'hiver mais aussi la nuit la plus longue de l'année. De quoi inviter à rester sous la couette et célébrer, comme il se doit, la Journée mondiale de l'orgasme. L'occasion de faire le point sur un domaine longtemps occulté, celui de la sexualité des femmes. 

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Image tirée d'une vidéo tournée lors d'un flash mob aux Etats-Unis, les clientes d'un restaurant reproduisent la scène culte du film Quand Harry rencontre Sally, lorsque l'actrice simule un orgasme à table. 
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Capture d'écran d'une vidéo lors d'un "flashmob" organisé dans un restaurant aux Etats-Unis, toutes les femmes vont reproduire la scène culte du film "Quand Harry rencontre Sally", dans laquelle l'actrice simule un orgasme. 
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En 2006, l'association pacifiste "Global Orgasm for Peace " lançait la journée mondiale de l'orgasme. Les Américains Donna Sheehan et Paul Reffel, ses deux pacifistes de fondateurs, sont convaincus que la guerre n’est qu’un avatar de la concurrence sexuelle. Alors si nous faisions tous et toutes l'amour en même temps, surtout dans les pays détenant des armes de destruction massive, une vague d'ondes positives envahirait le monde, "modifiant le champ d'énergie de la Terre et réduisant, en conséquence, le niveau actuellement dangereux d'agressivité et de violence actuelle."

Encore faudrait-il que chacun·e en profite pleinement. S'il semble possible de quantifier l'orgasme masculin, puisqu'il se concrétise le plus souvent par une éjaculation, le plaisir féminin, insaisissable et multiple, échappe aux statistiques. Comment le définir ? Il y a autant de réponses que de femmes sur Terre, puisque les sensations vécues apparaissent très variées. Scientifique, mystique, poète... A chacune sa perception : "Une sensation de soulagement qui irradie le corps tout entier", "Une perte de contrôle musculaire à mesure que le plaisir augmente", "Un frisson chaud", "Un monstre marin contre lequel je lutte pour garder la tête hors de l’eau et d’un coup, il m’entraîne dans les profondeurs, je sens le mouvement des vagues partir des mes orteils pour aller caresser et reconnecter toutes les cellules de mon cerveau et je me retrouve échouée pendant au moins une heure sur une plage au soleil, incapable de bouger... Je savoure, un sourire béat scotché au visage."  
 

Pour illustrer cette incroyable diversité, Julien Sabel, qui dirige une boutique d'articles coquins, a ouvert une bibliothèque à orgasmes : n’importe qui peut s’enregistrer, envoyer anonymement l'enregistrement sur le site et transformer son orgasme en dessin.  

orgasme en oeuvre

Le logiciel Data Art tranforme l'orgasme en oeuvre d'art dont les formes résultent des variations sonores de l’orgasme. Un râle, un long soupir ou un cri aigu n’auront donc pas la même forme,  ce qui prouve que chaque orgasme est unique.

Bibliothèque des orgasmes

Et pourtant, une femme sur quatre dans le monde dit souffrir de problèmes pour atteindre l'orgasme. Les femmes hétérosexuelles avouent ne monter au septième ciel que dans un peu plus de 60 % de leurs rapports sexuels, soit par manque de désir, soit par difficulté à atteindre la jouissance, alors que les hommes y parviennent 85 % du temps. Sans parler de la première fois - seule une fille sur 20 dit être parvenue à jouir lors du premier rapport - près d'une femme sur 10 n'a jamais connu l'orgasme lors d'un rapport sexuel. 

chiffre orgasme femmes
©Terpan
Les femmes ont peur d’être considérées comme des salopes si elles assument leur désir, et à l’inverse, comme des saintes nitouches si elles sont trop réservées.
Mireille Bulliard-Asthié, sexologue

Si tant de femmes sont concernées, c'est peut-être que le problème ne vient pas que d'elles, peut-être que, au-delà de la fatigue, du poids de la routine, des trivialités du quotidien, de l'incapacité à se renouveler ou de la pression de la charge mentale qui éteignent le désir, les troubles de l'orgasme ont des origines autant culturelles que physiologiques, à commencer par les stéréotypes véhiculés par la société et les injonctions qui brident la sincérité et les ressentis. "Les hommes ont besoin de se trouver dans une position de virilité. Ces enjeux de virilité peuvent être un frein important, affirme la sexologue Mireille Bulliard-Asthié. Et les femmes ont peur d’être considérées comme des salopes si elles assument leur désir, et à l’inverse, comme des saintes nitouches si elles sont trop réservées." 

La frigidité, un mythe sexiste ?

10% des femmes souffriraient de frigidité - définie dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux par une absence de désir et de plaisir pendant une période d’au moins six mois. Pour la psychiatre et sexologue Anne-Marie Lazartigues, la frigidité "signifie surtout que la femme n’est pas en phase avec son corps et sa tête, soit parce qu’elle est en froid avec son partenaire ou qu’elle n’a plus les mêmes sentiments, ou encore que son esprit est accaparé par autre chose." Nombreuses sont les femmes qui, quand elles changent de partenaire après des années de non-plaisir en couple en arrivent à la conclusion qu'elles n'étaient pas frigides, mais frustrées.

femme frigide
©Pinterest
Ainsi, les troubles de l'orgasme et du plaisir seraient davantage des signaux d'alerte ou des symptômes d'un autre problème. Le vaginisme, par exemple, qui est une contracture réflexe des muscles du périnée empêchant toute pénétration, est désormais reconnu comme un trouble sexuel et gynécologique psychosomatique. "Il s’agit davantage d’une pathologie de couple," explique la gynécologue Odile Bagot, alias Mam Gynéco
 

Les lesbiennes, elles, se disent, statistiquement, plus satisfaites que les hétérosexuelles - elles atteignent l'orgasme dans près de 75 % de leurs rapports. Elles ne sont que 2,2 % à ne jamais jouir. De là à dire qu'une solution passerait par une révision de l'approche androcentrée du sexe et du plaisir qui prévaut dans nos sociétés, il n'y a qu'un tout petit pas. A commencer par une meilleure connaissance du fonctionnement de la sexualité des femmes. En effet, la vision réductrice qui prévaut remonte à l'époque où la science a commencé à s'intéresser à la sexualité et où les hommes régissaient la science. Les notions de clitoris, point G ou éjaculation féminine n'ont pas passé leur prisme, et ils n'ont pas cru bon demander aux premières intéressées ce qu'elles en pensaient. Et pourtant, on trouve un anatomiste italien du XVIe siècle, Realdo Colombo, pour décrire le clitoris comme "le siège principal du plaisir des femmes pendant les rapports sexuels". Il a toutefois fallu attendre 2003 pour que soit formulé son fonctionnement.
 
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☝️Mais que fait la médecine sexuelle féminine ? On découvre l’Amérique en 1492. Neil Armstrong a marché sur la Lune en 1969. Helen O’Connell a (re)découvert le clitoris en 1998 ! Voici une petite frise pour vous montrer le retard immense de notre médecine sexuelle féminine. Pourquoi tant de retard ? En 2019, le clitoris n’est toujours pas étudié comme il se doit à la faculté de médecine et les hôpitaux ne sont pas équipés pour l'examiner correctement. La principale raison de cette omerta, est que le clitoris n'a aucune fonction dans la reproduction. Il ne sert qu'au plaisir et donc il ne sert à rien, car souvenez-vous : une femme honnête ne jouit pas :) Odile Buisson est une gynécologue française qui s’est intéressée de très près au clitoris. C’est à elle et à Pierre Foldès que nous devons la première échographie de cet organe. Interviewée sur France Inter, elle explique l'hérésie du retard de la recherche en France: «Les universités françaises ne s’intéressent pas au plaisir des femmes. Plus aux troubles de l’érection, car l’éjaculation est liée à la reproduction. La médecine sexuelle n’est pas étudiée dans les études médicales. Souvent quand on est jeune médecin et qu’on débute et qu’on a des questions de patientes sur le sujet, on ne sait pas quoi répondre.» #clitoris #odilebuisson #gangduclito #masturbationfeminine #feminisme

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Le sexe est plus important pour les hommes que pour les femmes, disait-on autrefois. Ce n'est pas parce qu'elles en parlent moins qu'il est moins important pour elles, rétorque la journaliste canadienne Sarah Barmak, spécialiste de sexualité, études de genre, santé des femmes et justice sociale.
couv jouir
Editions La Découverte

Dans son livre Jouir, en quête de l'orgasme féminin, un livre conçu "par des esprits de femmes pour des corps de femmes", Sarah Barmak extrait le sexe du cadre d'un couple hétérosexuel, auréolé de tabous, de hontes, et de traumatismes, pour en faire une affaire personnelle, non pas un miroir de l'autre.

Elle a réuni des témoignages de femmes qui parlent de leur sexualité, parfois hors normes, et les passe au crible du patriarcat. Elle fait parler des femmes multi-orgasmiques ou des femmes fontaines, mais aussi celles qui n'ont jamais eu d'orgasme et pour qui le sexe n'est pas naturel.

L'autrice est partie du constat que la moitié des femmes souffrent d'un trouble sexuel... en silence. Conséquence éloquente de cette réalité : selon une enquête Zawamed citée par Maïa Mazaurette dans la préface de Jouir, 2 % des femmes simulent le plaisir à chaque rapport sexuel ; 9 % souvent et 24 % parfois. 

Dans les sociétés occidentales, où le sexe est omniprésent, où les femmes ont accès à la contraception et à l'IVG, où elles sont sur Tinder et customisent leurs organes génitaux, elles s'approprient désormais leur potentiel sexuel après des siècles de passivité imposée. Notamment à travers différents médias, comme les podcast, mais pas seulement :

"Une sexualité augmentée, débarrassée des vieilles culpabilités" - tel est le credo de Maïa Mazaurette qui, depuis 2015, signe dans Le Monde l'une des chroniques les plus lues et les plus commentées du journal : "Le sexe selon Maïa". Elle a réunies dans un livre :

Du XIXe siècle où tout était interdit au XXIe siècle où tout est obligatoire, en passant par les années 1960 et 1970 où tout était permis, l'autonomisation des femmes passe par la quête du plaisir dans toute sa diversité. L'égalité dans le sexe est une étape importante vers l'égalité des genres. Il s'agit aussi de ne pas succomber au chant des sirènes d'autre injonction, celle du plaisir à tout prix ... En attendant, cette Journée mondiale de l'orgasme fait les (bonnes) affaires des fabricants et distributeurs de produits stimulants, lingerie ou sextoys qui chaque année saisissent l'occasion pour encourager les câlins en ce jour le plus court de l'année.