Fil d'Ariane
Comment continuer à allaiter son bébé sachant que l'on risque de lui transmettre le virus du sida ? Telle est la réalité de nombreuses mères allaitantes vivant avec le VIH en Ukraine depuis le 24 février 2022, date de l'offensive russe.
Les systèmes de santé se sont effondrés dans de nombreuses zones occupées. En raison du manque de lait maternisé, de nombreuses mères qui n'ont pas accès à leur ARV (traitement antirétroviral) allaitent leur bébé, ce qui accroît le risque de transmission du VIH de la mère à l'enfant.
En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, "aucune mère ne devrait avoir à choisir entre la famine de son bébé et la transmission du VIH à l'enfant... En tant que mère, j'ai découvert que j'étais séropositive et enceinte en 2000. Je n'avais pas accès au traitement nécessaire contre le VIH. Cependant, j'ai eu la chance incroyable de donner naissance à un bébé en bonne santé et sans VIH", confie Olena Stryzhak, présidente de l'association Positive Women, dont nous partageons ici le cri du coeur.
"Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas pour les femmes enceintes séropositives. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande que les mères séropositives puissent allaiter leur bébé, mais seulement si elles ont accès à un traitement ARV et à un diagnostic de la charge virale chaque mois", ajoute la militante.
Mais aujourd'hui, beaucoup de nouvelles mères séropositives n'ont pas le choix. La guerre en cours a dévasté le système de santé du pays : plus de 700 établissements de santé ont été attaqués et un nombre incalculable de travailleurs de la santé et de patients ont été déplacés, blessés ou tués, précise-t-elle.
"Avant le début de la guerre, nous étions proches de pouvoir déclarer enfin la fin de la transmission du VIH de la mère à l'enfant en Ukraine. Cette guerre déchirante risque d’anéantir cet espoir", explique Olena Stryzhak. En 1996, la transmission du VIH de la mère à l'enfant atteignait 27,8% dans le pays - en 2021, elle était tombée à 1,3%. Lorsque les nouvelles données seront publiées en 2023, le taux de transmission aura probablement augmenté significativement, s'inquiète-elle.
Malgré des résultats remarquables dans la lutte contre le VIH ces dernières années, l'Ukraine a la deuxième plus grande épidémie de VIH en Europe de l'Est et en Asie centrale.
Pour la présidente de Positive Women, "les femmes enceintes séropositives en Ukraine ont désespérément besoin de l'aide des gouvernements et de la communauté humanitaire pour lutter contre le VIH contracté par la prochaine génération de bébés". L'accès aux agents de santé ayant suffisamment d'expérience dans le traitement des cas de mères infectées par le VIH et dans la prévention de la transmission mère-enfant – sans stigmatisation ni discrimination – "fait cruellement défaut, en particulier dans les régions occidentales de l'Ukraine, qui accueillent de nombreuses personnes déplacées à l'intérieur du pays".
Si son association a pu fournir des ARV, des médicaments de base, des kits sanitaires et de la nourriture aux mères et leurs bébés, "cela ne couvre pas tous les besoins", déplore-t-elle.
D'autres organisations, telles que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ont accordé un financement d'urgence de 15 millions de dollars à l'Ukraine et livré des médicaments, des équipements et des fournitures qui sauvent des vies – notamment des générateurs pour alimenter les établissements de santé privés d'électricité. L'association Positive Women a également reçu un financement du Fonds mondial pour fournir des soins et un soutien aux femmes et à leurs enfants.
La militante appelle les Etats et les organisations internationales à agir davantage : "Nous ne devons pas permettre à cette guerre de réduire à néant les décennies de lutte contre la transmission du VIH de la mère à l'enfant en Ukraine. Nous devons empêcher la prochaine génération d'enfants de contracter le VIH, surtout lorsque nous disposons des médicaments pour le prévenir".
"En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, pensez aux personnes les plus vulnérables qui souffrent en Ukraine et aidez-nous à aborder l'année 2023 de manière un peu plus heureuse", conclut celle qui se bat depuis des années contre le virus et pour toutes celles et ceux qui luttent contre la maladie à travers l'Ukraine.