Fil d'Ariane
Parler de sexe. Plus facile sans doute aujourd'hui à l'heure d'internet et des réseaux sociaux (quoique). Mais parler DU sexe, celui des jeunes filles, de l'excision ? Sujet bien plus compliqué voire tabou chez les ados qui peuplent les bancs des collèges et lycées de France. Une mission néammoins pas si impossible. C'est celle que mène depuis plusieurs années l'association Excision parlons-en, notamment en région parisienne. Des professionnel.le.s se rendent dans des classes, et donnent des mini-conférences. Objectif : expliquer aux adolescents, filles comme garçons que cela existe, que le risque est là, malgré les lois, malgré les campagnes de prévention.
Car le phénomène va grandissant, même s'il reste très difficile d'établir des statistiques, on sait que les filles de 12 à 18 ans sont directement en ligne de mire, celles issues de l'immigration, qui pendant les vacances d'été vont effectuer un séjour dans leurs familles. Trois adolescentes sur 10 dont les parents sont issus de pays pratiquant traditionnellement l'excision sont menacées de mutilations sexuelles. Cette estimation remonte à dix ans, aujourd'hui impossible de chiffrer avec précision l'étendue du risque.
Si les premiers procès remontent aux années 80, le phénomène s'est accentué depuis 5 ans. A ce moment là on excisait encore les fillettes sur le territoire français, aujourd'hui, ce sont des adolescentes qui sont visées, et l'excision se fait dans le pays d'origine des parents.
Marion Schaefer, déléguée générale de l'association, parcourt avec ses partenaires les établissements scolaires, notamment en Seine-St-Denis. Le jeune public écoute, et questionne.
"On s'aperçoit que les adolescent.e.s sont très intéressés par la thématique, et notamment les garçons. On est submergé de questions, les garçons ont beaucoup plus de facilité pour en parler d'ailleurs. Hormis les questions sur l'acte en soi, il y a aussi beaucoup d'interrogations autour des parents, et des raisons qui les poussent à faire du mal à leurs enfants. Nous faisons donc surtout un travail de déconstruction, on n'est pas du tout là pour pointer du doigt ou juger, nous ce que l'on veut c'est que la pratique s'arrête ! Du coup, ce qui est important c'est d'expliquer que s'ils font ça, c'est pour suivre une tradition, par soucis communautaire. Il faut aussi expliquer s'ils risquent d'être condamnés ou d'aller en prison", nous explique Marion Shaefer.
"Il y a aussi des classes qui participent moins, plus silencieuses, ce qui provoque chez nous un regain d'attention, car on se dit que peut-être ce silence veut dire plus. Que certaines jeunes filles se prennent cette information en pleine figure, et que peut-être parmi elles, certaines découvrent qu'elles sont à risque, ou même qu'elles ont subi une excision. C'est d'ailleurs arrivé une fois. Une jeune fille en a parlé après avec son infirmière scolaire ", ajoute la militante, qui précise n'avoir reçu à ce jour aucun retour négatif sur ces interventions.
La campagne se mène bien-sur via les réseaux sociaux et internet. Grâce à un tchat, les jeunes filles peuvent échanger, anonymement, leurs doutes, leurs infos, et partager leurs témoignages.
En ligne, on trouve aussi des tests sous forme de questionnaires "Comment savoir si j'ai été excisée ?", "Comment savoir si je risque de subir une mutilation génitale féminine ?", un clip mais aussi les histoires de Ramata, O., F. et de bien d'autres. Des jeunes filles et jeunes femmes excisées.
O. a aujourd'hui 20 ans, la jeune fille née en France raconte son excision et celle de sa soeur lors de vacances en Guinée : "J’ai été excisée à 9 ans en Guinée, avec ma sœur ainée qui avait 14 ans à l’époque. Je crois que ma sœur avait été prévenue par une cousine de ce qui nous attendait ; moi je ne savais rien. Ça s’est passé chez ma grand-mère paternelle où nous étions en vacances. Là, une femme est venue. Elle a demandé à ma tante de faire entrer ma sœur. J’attendais dans le jardin avec ma mère que j’ai soudain sentie très triste et inquiète. Quand ma tante m’a demandé d’entrer, j’ai vu ma sœur assise contre un mur tétanisée, l’entrejambe ensanglanté. (...) Je me souviens m’être réveillée sur un lit, ma famille venait me féliciter d’être devenue « une femme ». Je ne savais ce que ça signifiait mais je les croyais. A 13 ans j’ai découvert en cours d’histoire que ce que j’avais subi était « un crime ». Ma mère s’est excusée. Je crois qu’elle a une position ambiguë vis-à-vis des traditions. Elle souhaite que nous ayons un emploi pour être indépendantes, ma sœur et moi, mais avec mon père, elle envisage de nous proposer des hommes en mariage. Moi, je souhaite avoir recours à une chirurgie réparatrice, être amoureuse et libre. Je ne veux pas être soumise. »
Cet autre témoignage, celui de Ramata, 38 ans, française d’origine malienne : « J'ai été excisée avant ma venue en France et j'ai appris mon excision à 16 ans lors de ma 1ère visite chez le gynécologue. Comme je n’avais aucun souvenir de ce qu’on m’avait fait, ni de ce que cela voulait vraiment dire, j’ai été très étonnée. J’ai préféré occulter tout cela et je n’en ai parlé à personne de ma famille. Quatre ans plus tard, je me marie et attends mon premier enfant. Le médecin m’a expliqué que les mutilations génitales pouvaient entraîner des complications au moment de l’accouchement. C’est là que j’ai décidé d’en savoir plus sur ce qui m’était arrivé. Je me tourne alors vers ma mère qui balaie rapidement le sujet. «Ça n’est rien, il ne faut pas y faire attention. C’est la coutume et ça se passe comme ça.» Fin de la conversation. C'est après avoir vu une campagne du GAMS et plusieurs documentaires à la télévision que j'ai décidé de me lancer dans des recherches sur les mutilations sexuelles féminines. J'ai ensuite entendu parler du professeur Foldès et de la chirurgie réparatrice. Je me suis faite opérer en 2006, à 26 ans, et ai décidé de rompre avec le tabou familial sur l’excision en abordant le sujet avec mes sœurs. Mes petites sœurs sont tombées des nues, c’était un choc. »
Ou encore l'histoire de F., française partie en vacances en Guinée, pour ses 12 ans : « Les vacances en Guinée : toute joyeuse, pour la première fois, avec ma sœur aînée, nous allions découvrir le soleil, la mer et la plage durant les grandes vacances, de quoi rendre jalouses les copines au retour ! Mais les vacances se sont transformées en cauchemar. Nous avons été excisées avec nos cousines chez notre grand-mère. Une femme nous a tenu les jambes, une seconde nous écrasait la poitrine pour nous empêcher de crier et une troisième tranchait à vif dans les chairs. Je n'oublierai jamais les cris, en particulier de ma sœur, qui depuis est handicapée mentale ».
.@Innamodja marraine de la maison des femmes vient présenter la campagne de crowdfunding #soyezdesheroines qui a pour objectif de lutter contre les violences faites aux femmes pic.twitter.com/38h4PxXc3h
— excisionparlonsen (@excisionparlons) February 5, 2018
Lundi 5 février 2018, la chanteuse malienne Inna Modja a officiellement lancé la nouvelle campagne de prévention en France, avec au programme, un concert le 3 mai derrière le mot dièse #SoyezDesHeroïnes pour récolter des fonds en vue de créer de nouvelles "Maisons de femmes", comme celles qui existent déjà en France, des lieux d'accueil et d'écoute destinés aux femmes victimes de violences, en particulier celles concernées par l'excision. Lire notre article >Inna Modja, marraine de la Maison des femmes, met #UnPiedDansLaPorte
Des mobilisations sont menées dans d'autres pays où vivent les jeunes filles à risque, et aussi dans ceux où se pratique encore cette mutilation, comme ici au Sénégal.
#Excision : "Les #Sénégal-aises" lance le mouvement "Touche pas à mon corps" https://t.co/pb7EJk2IMR
— Solo Niaré (@SoloNiare) February 1, 2018
Poster une photo la main tendue sur les réseaux sociaux accompagnée du # #TouchePasAMonCorps avec une croix tracée sur la paume pic.twitter.com/LgtrGbCizy
BREAKING - Plan International lance une grande #pétition pour rendre l'#excision enfin illégale au #Mali. Signez-là maintenant! ✍️ https://t.co/Phr3amKDZ0 @PlanWestAfrica @FederationGAMS @GAMS_Be #EndFGM #FGM
— Plan Int'l Belgique (@planbelgique) February 1, 2018