Fil d'Ariane
Depuis 2011, le 16 juin est la "Journée internationale des travailleuses domestiques". Parce que, comme l'écrit l'Organisation internationale du travail en préambule : "Nous pensons que les droits commencent à la maison, et que les employeurs doivent instaurer des relations respectueuses avec ceux qui s’occupent de leurs maisons et familles." Une intention encore loin de la réalité dans de nombreux pays.
Le travail domestique représente désormais environ 7,5 % de l’emploi salarié des femmes dans le monde, en particulier en Asie (21,4 millions, 41 % du total mondial) et en Amérique Latine (19,6 millions, 37 %), deux régions du monde où les inégalités sociales sont très importantes, comme nous le rappelle le quotidien québécois Le Devoir.
Elles sont particulièrement vulnérables, sans contrat, parfois maltraitées, passeport confisqué, et jusqu'à être assujetties sexuellement au nom du sempiternel droit de cuissage, mises en esclavage, objets propriétés des puissants, qui en usent, en abusent et disposent de leur vie, comme des "affaires" ont pu le montrer dans certains pays du Golfe. Domestique, qui par son étymologie appartient à un domicile, taillable et corvéable à merci.
A retrouver sur les maltraitances aux domestiques dans Terriennes :
> En Arabie saoudite, Mbayang Diop, domestique sénégalaise, risque la décapitation
> Melirose ou le courage d’une domestique philippine
> Des domestiques africaines séquestrées au Liban
> Frappées, voire torturées, les domestiques immigrées de Hong Kong se révoltent
> Russie : des travailleuses réduites à l'état d'esclaves
Les quelque 15% d'hommes de ce secteur y occupent des fonctions "nobles", nous dit encore l'OIT : jardiniers, chauffeurs ou majordomes, loin des immondices à éliminer, des enfants à servir, des animaux (eux aussi dits domestiques) à promener, des personnes âgées à nettoyer, des vêtements à laver, des repas à préparer, etc, etc.
On les appelle aussi employées de maison, mais c'est pour camoufler leurs très bas salaires, des horaires de travail excessifs, l'absence de jour de repos hebdomadaire garanti, les entraves à leur liberté de circulation. Selon l'OIT, "L’exploitation des travailleurs domestiques peut être attribuée en partie aux lacunes de la législation nationale en matière de travail et d’emploi et reflète souvent des discriminations à raison du sexe, de la race ou de la caste."
Et pourtant le 16 juin 2011 (avant de devenir une journée internationale donc), 24 pays, de tous les continents, mais plus particulièrement d'Asie ou d'Amérique latine, les régions natales de ces femmes invisibles, signaient et ratifiaient une Convention internationale sur le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques à la Conférence internationale du Travail de l’OIT, à Genève - Suisse. On a envie de dire 24 pays seulement, sur 197 Etats reconnus dans le monde, à peine plus de 10%... Parmi lesquels la Belgique, l'Argentine, l'Allemagne, la Suisse, l'Afrique du Sud ou encore les Philippines et la Guinée. Mais pas la France, pas les Etats-Unis, ni l'Arabie saoudite, la Russie, l'Inde, la Chine ou le Brésil...
La France justifie, en partie, son refus de ratifier en indiquant que des statuts existent déjà pour "protéger" celles que l'on appelle en général "employées de maison" pour réévaluer leur condition - comme les chèques emplois service par exemple destinés aux particuliers employeurs -, mais aussi au motif qu'on ne pourrait garantir les même droits aux migrantes légales et aux illégales... Curieux arguments.
Il fut un temps où les domestiques se voyaient privés du droit de vote, ils se trouvaient à la merci de leurs employeurs
Geneviève Koubi, chercheure
L'universitaire (CNRS) Geneviève Koubi voit pourtant dans cette Convention internationale une "reconnaissance du droit du travail". La chercheure écrit : "« Il fut un temps où les domestiques se voyaient privés du droit de vote, ils se trouvaient à la merci de leurs employeurs ; ils auraient été esclaves s’il n’y avait eu quelques règles bienpensantes destinées à éviter l’opprobre ; ils ne disposaient d’aucune représentation syndicale ; etc. L’OIT s’empare du problème. L’article 3 2. de la Convention oblige ainsi une prise en considération des droits des travailleurs domestiques : il est enjoint de « respecter, promouvoir et réaliser les principes et droits fondamentaux au travail, à savoir : la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ; l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ; l’abolition effective du travail des enfants ; l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. ; l’article 3 3. stipule : « Lorsqu’ils prennent des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques et les employeurs des travailleurs domestiques jouissent de la liberté syndicale et de la reconnaissance effective du droit de négociation collective, les Membres doivent protéger le droit des travailleurs domestiques et des employeurs des travailleurs domestiques de constituer leurs propres organisations, fédérations et confédérations et, à la condition de se conformer aux statuts de ces dernières, de s’affilier aux organisations, fédérations et confédérations de leur choix. » L’article 16 prévoit pour sa part : « Tout Membre doit prendre des mesures afin d’assurer, conformément à la législation et à la pratique nationales, que tous les travailleurs domestiques, seuls ou par l’intermédiaire d’un représentant, aient un accès effectif aux tribunaux ou à d’autres mécanismes de règlement des différends, à des conditions qui ne soient pas moins favorables que celles qui sont prévues pour l’ensemble des travailleurs. »"
Le 16 juin est donc devenu, depuis six ans, l'occasion de rappeler que ces oubliées du droit social méritent toute notre considération. Et de redemander à ceux qui ne l'ont pas encore fait, leur ratification d'un texte qui, à première vue, va de soi... En France, pour la première fois depuis 2011, des organisations se mobilisent le samedi 17 juin 2017 et appellent à un rassemblement sur l'emblématique place du Trocadéro , à 16 h, qui est aussi "le parvis des droits de l'homme" (on préférerait droits humains, un genre neutre beaucoup plus approprié en l'occurrence).
Difficile le nombre exact de personnes concernées, entre travail au noir, et travailleuses clandestines, les statistiques sont difficiles à établir. Selon IPERIA l'Institut, le "portail de la professionnalisation des emplois de la famille", il y aurait plus d'1.5 million d'assistant·e·s maternel·le·s et employé·e·s de maison salarié·e·s en France, dont près de 40% localisé·e·s en Ile-de-France et une majorité de femmes
Parmi les cinq organisations syndicales et associations qui appellent à rejoindre ce mouvement (syndicat CFDT des assistantes maternelles et salariés des services à la personne, UNSA - Syndicat National des Auxiliaires parentales et les Salariés du Particulier Employeur, Fédération CGT Commerce et Services, Amicale d'auxiliaire parentale et humanitaire, et ActionAid France) nous avons demandé à Mégane Ghorbani de ActionAid France, une association de solidarité internationale, de nous expliquer les difficultés à faire reconnaître les droits économiques et sociaux de cette catégorie professionnelle-là.
Le « care », le soin à la personne est d’abord confié aux femmes. Il leur est attribué « naturellement »
Mégane Ghorbani, ActionAidFrance
"La majorité des pays qui ont ratifié la Convention 189 sont plutôt des pays d’Amérique du Sud, ou d’Asie du Sud Est, ces régions où sont « concentrées » la plupart des travailleuses domestiques, même si le Parlement européen a recommandé en 2016 aux pays membres de l’UE de la ratifier. En juillet 2016, la France a justifié sa non ratification en invoquant la non différenciation de la Convention sur les statuts de migrants, qu’ils soient « légaux » ou en situation irrégulière, et en mettant en avant les protections déjà existantes. Or selon nous ces dispositifs ne sont pas suffisants, en particulier pour les jours fériés.
Pour nous les arguments avancés sont fallacieux, ils conduisent à une vulnérabilité encore plus forte des travailleuses, avec des contrats pas toujours adéquats, un travail non reconnu qui empêche toute régularisation et les maintient dans un cercle vicieux.
Les rapports successifs de l ‘OIT montrent que l’emploi décent n’est pas encore là pour ces travailleuses domestiques. C’est pour cela qu’il faut ratifier la Convention, pour qu’elles aient le droit de se syndiquer par exemple. Dans certains pays, dans la région du Golfe, par exemple, les travailleuses domestiques sont considérées appartenir à leur employeur.
Le maintien de ces travailleuses dans une situation de non droit est lié à ce sentier du « care », du soin à la personne, d’abord confié aux femmes, qui leur est attribué « naturellement ». Et donc, elles sont doublement « domestiques » en ce sens : elles sont en charge du « care » chez elle, et en dehors de la maison, chez leurs employeurs. Ce que l’on demande, c’est aussi que soient développés les services publics de ce secteur."
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1